jeudi 30 avril 2009

Opération bikini


Souvent, dans la vie, les évènements suivent une logique en forme de W, ou de O, selon que l'on se sent une préférence pour les voyelles ou pour les consonnes.
En général, je préfère les voyelles, je les trouve plus ludique, allez savoir pourquoi, mais là, le W me parle plus. En fait, l'avantage du W, c'est qu'on ne recommence pas toujours la même route. L'inconvénient, c'est qu'on se prend les angles assez violemment à chaque tournant, puisque les angles du W sont bien plus aigus que ceux du O (j'ai gardé des bases assez solides en géométrie, toujours terrifiée à l'idée que certaines boîtes, parmi les plus branchées, comme la Platonlive Fever, refusent l'entrée à ceux qui ne sont pas géomètres, même si elles sont munies d'une jupe de forme rectangulaire et de deux jambes parfaitement parallèles, ce qui n'est déjà pas mon cas... ). Mais je parle, je parle, et nous nous égarons. La suite devrait vous éclairer sur ce que sont les angles aigus du W.

Samedi soir, j'avais reçu un message de mes futurs employeurs, qui avaient sollicité mes services au sein de leur entreprise, pour ouvrir à celle-ci des perspectives françaises en plein contexte d'absence de perspective, sous forme de classes collectives de français à leurs employés grands débutants.
Tout est une question de perspective, et d'ailleurs quand on perd de vue le point de fuite sur la ligne d'horizon, on perd les perspectives au passage. C'est comme ça, pour avoir le relief, il faut envisager la fuite.
Donc, des perspectives françaises dans une entreprise, que je me réjouissais d'aller ouvrir, parce que l'entreprise, c'est un autre théâtre, et tout nouveau théâtre est bon à prendre.
Le message que je reçus samedi me disait qu'en fait, on allait s'en tenir là question perspectives, parce que les 30-40€ que je demandais par heure n'étaient pas à la portée de leur bourse. Samedi soir, j'étais tout à la fois surprise et peinée de cette rupture pré-natale de mes relations avec l'entreprise.

Lundi, j'étais donc en petite forme, en bas du W, dans le creux de la vague, les pieds loin de mon assiette, les fesses sur la selle, et le nez au vent sur une bicyclette, pour être plus précise, car Eve et moi avions pris la belle décision d'aller brûler quelques calories au soleil d'avril (qui crâme plus qu'un soleil d'août à Paris), munies du joli prétexte d'aller refaire les réserves de citrons et d'oranges de l'appartement.
Au retour, je sortis mon téléphone de mon sac, et ne fus pas peu surprise de voir qu'un numéro que je n'avais pas alors le plaisir de connaître avait passé la matinée entière à tenter en vain de me joindre. Une telle insistance ayant piqué ma curiosité, j'appelai à mon tour.

Voilà plus ou moins résumée-romancée la conversation que nous eûmes alors:
"_ Allo, bonjour, vous m'avez appelée ce matin...
_ Oui oui oui, nous sommes le collège de Santa Maria de la Paz à Murcia, on est grave en galère de prof de français. T'as un taf ces temps-ci?
_ Pantoute pantoute...
_ Bon, alors ce serait pour 10 heures par semaine, des cours de français.
_ ... A partir de quand?
_ Hem hem... euh... demain matin?
_ OK... ben c'est l'fun... moi je suis partante, mais je voudrais bien passer vous voir un peu avant tout de même, parce que là, c'est violent...
_ Ouais, un peu, on sait, on est désolés..."
La suite de la conversation concerne principalement la fixation d'un rendez-vous deux heures plus tard, détail trivial qui n'intéresse personne.
Car la vie est majoritairement composée de ce genre de détails triviaux qui n'intéressent personne, fort peu photogéniques, mais qui sont le ciment des miracles et catastrophes que nous attendons tous avec une impatience non dissimulée.

Avec une excitation inquiète, je chaussai mes lunettes, choisis une tenue la plus sérieuse possible, et enfourchant la bicyclette, je partis vers le collège.

Là, on me vit arriver avec un soulagement mêlé de scepticisme et de condescendance. Ben oui, je ne fais pas mes 18ans... Après une visite expéditive du collège, la responsable me laissa au secrétariat où l'on me fit savoir qu'il allait falloir que je réunisse le plus vite possible:
_ la version originale des diplômes que je me targue d'avoir domptés
_ un numéro de sécurité sociale
_ un numéro de compte
_ un NIE (numéro d'identité des étrangers)
_ un certificat de résidence

Je parvins à négocier la présentation de mes diplômes en version scanée dans un premier lieu. Pour le tout le reste, commençait une course contre la montre et contre le bon sens et la logique.

Sécu:
On me fit savoir qu'il fallait un pré-contrat pour avoir un numéro de sécu. Je retournai donc au collège où l'on me répondit que c'était bien la première fois qu'ils entendaient pareille sottise, mais qu'ils allaient se plier à cette exigence si ça faisait plaisir à Dame Sécu.
Je retournai donc à la sécu une ou deux heures plus tard, et l'on me fit mon numéro de sécurité sociale espagnole, que je pus aller transmettre au secrétariat du collège, où l'on n'attendait que moi et mon numéro pour me lancer officiellement sur le marché de l'emploi espagnol.

NIE et certificat de résidence:
J'avais déjà tenté de me faire un NIE en février, avec un enthousiasme plutôt démotivé. L'accueil à la maison des étrangers avait achevé de dégonfler la baudruche molle de ma motivation, et j'avais lâché l'affaire quand, après quelques siècles d'attente on m'avait fait savoir qu'il fallait payer 16€ pour avoir ce numéro de rien du tout. Mettre des chiffres les uns après les autres, je ne suis pas une flèche en maths, mais je suis capable de le faire. Pffff!!
En effet, je pensais très naïvement que le NIE n'était qu'une formalité administrative à laquelle devaient se plier les européens. Eh non! c'est une formalité administrative payante! une FAP. A l'envers, ça fait PAF. Et c'est effectivement comme un PAF dans la gueule que je me le suis pris cette semaine. Déjà, j'ai fait un scandale dans le bureau, clamant, du haut du palatin de ma conscience de citoyenne qu'il était inadmissible d'avoir à payer au sein de la communauté européenne pour un simple numéro d'identification, que moi, je m'identifie très bien sans numéro et que c'est bien hypocrite, ça, dans une politique d'ouverture des frontières!! Les trois policiers qui organisent l'accès aux bureaux et le mec du guichet principal me regardaient avec une exaspération amusée.
Mais le système est généralement le plus fort, et je partis à la banque, la queue entre les jambes et la rage en boule dans la gorge, payer ces malheureux 16€, en maugréant comme une vieille des malédictions sur les députés qui ne font pas leur travail et les démocraties malades.
Lorsque je revins on me fit passer en priorité, sous une pluie de quolibets: "Eh t'as de l'argent, cette fois??!!" "ça va te faire cher! Jeje". Nan, mais l'humour espagnol, c'est une autre culture... On me fit mon NIE en deux temps et trois mouvements. Le vieux du guichet me dit qu'en Espagne, tout se paie, même les cartes d'identité obligatoires des espagnols, et qu'il n'y était pour rien. Nous nous quittâmes bons amis, et nous nous retrouvâmes très vite, puisque au collège, on trouva bizarre que mon numéro commence par un "y" et non par un "x", et on me somma de retourner m'enquérir de ce qui était sûrement une erreur d'inattention.
Une demi-heure plus tard, à la porte de la casa de les extranjeros, on m'expliquait donc avec une ironie acide que mon numéro commençait par un "y" parce que les "x" étaient épuisés, et qu'en toute logique, on avait choisi de suivre l'ordre alphabétique.
Je revins une fois encore le lendemain pour prendre le formulaire pour le certificat de résident, que j'avais complètement oublié la veille, et qui allait me coûter encore 10€, puis je revins encore trois fois ce matin:
_ pour le numéro de résident, payé par moi et tamponné par la banque
_ pour ajouter la photo d'identité manquante à mon dossier de résidente
_ pour photocopier la loi qui explique comment et combien il faut payer pour obtenir quels certificats qui donnent droit à quoi.
On s'est quittés tellement amis qu'on se serait presque échangé les numéros pour se télébouffer un de ces jours.
Cette Odyssée fut ponctuée de réguliers aller-retours au secrétariat du collège pour déposer les papiers, informer de mes démarches, rassurer sur mes compétences administratives en plus de mes compétences professionnelles ...

La banque
La dame du bureau m'a ouvert un compte sans me dire une seule parole sur les conditions d'ouverture, d'utilisation et de clôture. Elle avait d'avantage envie de me parler de Paris où elle avait passé quelques mois pour son travail, mais qui, malgré tout son charme, était tout de même sensiblement plus froid que Murcia. Ah oui, ça ma bonne dame, vous avez mille fois raison.


Pour clore la course aux papiers, je fis un dernier aller-retour au secrétariat du collège, où je franchis sous les acclamations passionnées du public la ligne d'arrivée, prouvant par là au monde sceptique que le marathon de "la maison qui rend fou" peut se gagner en moins de trois jours, et en vélo, s'il vous plaît!

"Mes impressions? Ben... beaucoup de sueur, ouais, et quelques passages difficiles, quand même. Ben , quand il a fallut retourner pour la cinquième fois en moins de deux jours à la casa de los extranjeros, c'était pas facile, mais bon, j'ai réussi, et je suis fière,... je crois que c'est un bel exploit qui représente un vrai travail d'équipe, parce que bon, ce titre, je l'ai pas gagné toute seule, c'est clair!! ... Je tiens à remercier les policiers de la casa de los extranjeros pour leur humour et leur soutien dans les moments difficiles, et les secrétaires du collège, qui n'ont pas hésité à me pousser au delà de mes limites en me fixant des moratoires tous les quart d'heure chaque fois que je montrais moins de motivation, quoi... , ou en m'appelant sur mon portable autant de fois que c'était nécessaire pour que j'oublie pas le challenge...Euh... Ben à tous, un grand merci et un grand bravo, je penserai bien fort à vous sur la plage, avec ma taille de guêpe et mes cuisses de lutteur gréco-romain!!!"

dimanche 26 avril 2009

Pause





Il n'y a pas d'amour heureux
Texte de Louis Aragon, chanson de Georges Brassens

Rien n'est jamais acquis à l'homme. Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur. Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il veut serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n'y a pas d'amour heureux

Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désarmés incertains
Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes

Il n'y a pas d'amour heureux

Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi ces mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent

Il n'y a pas d'amour heureux

Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l'unisson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare

Il n'y a pas d'amour heureux

vendredi 24 avril 2009

Combien de planètes?...



Chers citoyens conscients et responsables qui lisez régulièrement ce blog, vous trouverez ci-joint un lien vers un site subventionné par wwf.
Ce site vous propose de calculer, selon votre mode de vie, le nombre de planètes qu'il faudrait si l'ensemble des terriens vivaient de la même façon.
Le questionnaire est en anglais, il en existe peut-être une version française, mais votre humble servante ne l'a pas trouvée lorsqu'elle a fait le test. Et puis ça vous fera pratiquer, bilingues du dimanche! Les questions sont plus ou moins précises, mais l'intérêt de ce lien vient surtout des informations qu'il donne au fur et à mesure des sujets abordés et qui permettent de comprendre l'importance et l'impact d'un certain nombre de points que les néophytes comme vous et moi ne maîtrisent généralement pas.

Moi, il me faudrait 1.8 planètes pour cette année franco-québecoiso-espagnole.
Et vous?


http://www.myfootprint.org/fr/

El entierro de la Sardina

Force est de constater que ces derniers temps, vous avez été très sages: pas de mépris pour mes longs messages écrits qui tentent maladroitement de remplacer les images, car comme on le sait il faut mille mots pour une image, et réciproquement (surtout récirproquement).
Vous avez donc bien mérité ce message tout en images qui relate "el entierro de la sardina", autrement dit, "l'enterrement de la sardine". Comme l'espagnol, c'est dur pour tout le monde, y compris pour les espagnols, lors de l'enterrement de la sardine, il n'est probablement pas inutile de préciser qu'en fait on brûle la sardine. On n'enterre rien du tout, à part peut-être quelques illusions, quelques vies de garçon ou de jeune fille, quelques sombres mensonges, et autres affaires louches dont je ne veux rien savoir. Mais on n'enterre pas la sardine, que ce soit clair.

Qu'est ce donc alors que cette étrange cérémonie? Pourquoi une sardine? Quel détours historiques a suivi cette coutume pour en arriver là? Alors la sardine, c'est en raison de la mer, qui est de l'autre côté des montagnes, et qui, par le fleuve, lorsqu'il était encore navigable, apportait des richesse à Murcia, sous forme de bateaux et de perspectives commerciales multiples.
L'enterrement de la sardine vient clore la longue semaine des fêtes de printemps, que précédait la semaine sainte.
Une grande sardine avec un joli sourire, est dressée sur la place de la mairie, et l'idée de la brûler aura très certainement été inspirée par l'habitude qu'ont prise les valenciens de brûler leurs Fallas. Comme les Fallas avaient beaucoup de succès, les murciens se sont dit: ni vu ni connu je t'embrouille, nous, on va brûler une sardine, et plein de gens avec plein de sous viendront en profiter aussi!
Et comme les voies des festivités populaires sont pénétrables, mais sûrement pas guidées par la logique, on peut préciser que l'on ne brûle pas la sardine depuis longtemps: les premiers barbecues ont eu lieu vers les années 60. Mais par ici, les grand-mère tenteront de vous persuader qu'on brûle des sardines depuis que les sardines existent, et c'est comme ça parce que c'est pas autrement. Il en va d'ailleurs de même pour le Bando de la huerta que je ne vous racontais pas plus haut. C'est aussi une coutume très récente. Comment est la relation entre l'identité murcienne et ces coutumes récentes, et dont on ne peut se cacher longtemps l'odeur un peu artificielle? Eh bien pour l'instant, elle est avant tout conflictuelle.

C'est cependant une cérémonie sympathique, mais qui en jette moins que les Fallas de Valence, ne serait-ce que parce que copier donne rarement des résultats très authentiques...
En revanche, ce qui est beaucoup plus murcien et qui en jette un peu plus, c'est le défilé qui précède le crâmge cérémonieux de la sardine.
Une première partie carnavalesque, ou des personnages grotesques passent en jouant avec le public: faire circuler à bout de bras des ballons gigantesques, faire monter les enfants dans des engins sortis tout droit de romans de Jules Verne ou d'un cirque...

Une seconde partie où le public devient personnage: des chars lumineux, décorés et musicaux passent en jetant des babioles que les gens s'arrachent. Des adultes respectables libèrent soudain l'enfant en eux et se battent pour un ballon en plastique ou une poupée dont la laideur n'a d'égal que le mauvais goût et la mauvaise qualité. Rien à foutre, là n'est pas la question. L'important et de ressortir de là les cheveux en bataille, les joues rouges, les souffle court, un oeil en cocarde, quelques boutons arrachés, quelques coutures craquées, et une camelote à la main, que l'on peut brandir en trophée, et qui dès le lendemain ramassera la poussière dans un recoin perdu. Pendant quelques heures, ces objets rayonnent d'une valeur de porte bonheur, puisque entre tous les gens qui étaient là avec leurs mains tendues, c'est "moi" que l'objet lancé du camion dans un acte rare car gratuit a choisi (bon, "j"' ai un peu aidé, c'est vrai, mais quand même...).

Je n'ai rien gagné. Mais j'ai un peu rechigné à essayer aussi, donc c'est normal.

Pendant toute la période des festivités, les rues se remplissent de vendeurs ambulants de churros, chocolate, gaufres, et autres délicatessen fines, frites et sucrées. On est donc absolument certain que même si toutes les boutiques sont fermées pour cause jour férié, on trouvera tout de même le moyen de se sucrer le bec à toute heure du jour ou de la nuit, pourvu que l'on soit muni de quelques euros.
Prix normal: entre 1,5 et 2€ la portion de churros.
Le spectacle de la préparation et cuisson des churros est gratuit. Il est toujours fascinant de voir une main habile travailler, aussi, pour la plus grande consternation de ceux qui m'accompagnent, je peux rester de longues minutes immobile à voir couler la pâte dans l'huile, coupée au fur et à mesure par le churrero... (c'est comme un torrero, mais avec des churros).



Cette chose bleu clair au centre de la photo, c'est la sardine qui regarde s'accumuler la foule venue assister sur un air de fête à son imminente immolation.












On ne croirait pas comme ça, mais ça brûle très bien, une sardine!!
Là où Murcia remporte un point sur Valence, c'est que la sardine de Murcia est en bois, sa combustion libère donc du carbone, c'est bien normal, mais c'est à peu près tout. Les Fallas de Valence sont en polyester. En brûlant, c'est une véritable catastrophe pour les poumons des gens, des animaux et des plantes.







Comme c'est bien souvent le cas sur la côte méditerranéene, la fête s'achève sur un feu artifice, histoire de défier la foudre et de faire comprendre à la nuit que l'on n'est pas dupes de son obscurité et de son silence.

dimanche 19 avril 2009

"le vide communicationnel" - conclusion sur le Bando de la Huerta

Voilà cinq jours que j'ai commencé à rédiger le récit du Bando de la Huerta, et je rame.
Je rame, je rame.
Le cœur n'y est pas?
Que se passe-t-il me demanderez-vous avec des tremollos inquiets dans la voix?
Avant de vous répondre, merci pour votre sollicitude, qui me va droit au cœur.
En parlant de cœur, je vous disais justement qu'il n'y est pas.
J'ai rédigé un très long article plein de détails que je croyais truculents, de micro-anecdotes cocasses. Mais si je m'ennuyais un peu en l'écrivant, ce n'était rien comparé à l'épuisement soudain qui me saisit en le relisant. Et si moi je baillais, je n'ose pas imaginer dans quel état de sommeil profond vos proches auraient fini par vous retrouver après quelques jours de silence radio.
En fait, le Bando de la Huerta, ça n'est tout simplement pas intéressant.
Pas du tout intéressant.

Certes, il est très drôle de voir une ville entière sortir dans la rue en jupe-culotte et jarretelles en dentelles blanches pour se mettre minables sur le trottoir.
Certes, il est divertissant d'assister à un défilé de plus d'une heure au cours du quel des murciens dans des chars à feuilles lancent des morceaux de saucisse et de pain à des gens qui se battent pour les attraper au vol.
Indéniablement, il est impressionnant de voir les rues se transformer au fil des heures en décharge digne des plus beaux spécimens du Tiers-Monde, et les caniveaux se remplir de fleuves d'urine, un peu comme les trottoirs d'Hyderabade au début de la saison des pluies, mais en plus répugnant.
Indubitablement, il fallait voir au moins une fois dans sa vie une ville organiser officiellement un concours de comas éthyliques ("Allez les enfants, l'année dernière on en a eu 15, c'était bien, mais on peut faire mieux! beaucoup mieux!! on n'est pas des pucelles, nous!! on va leur montrer! Pensez à la crise économique! Pensez à l'absence totale de perspective professionelle pour vous! Et vous verrez, ça va venir tout seul!!!! Allez, une ptite bouteille avant la dernière qui précédera la prochaine!!! On tient!! Cette année, on met haut la barre, on vise les 30 comas et 5 morts! OK?"). A 11h, on faisait sauter les premiers bouchons. A 15h, 30% des gais lurons étaient déjà bien ronds, à 18h, on atteignait tranquillement un petit 50%, à 21h, c'était l'hécatombe, la ville ressemblait à une fleur des champs bouillie. A 23h, quelques guerriers tenaient encore un peu le coup, juste pour l'esbroufe.

Mais on ne peut pas se le cacher bien longtemps, cette fête souffre d'une grave carence de sens. Pourquoi descend-on dans la rue armés de chariots, de baignoires, de piscines d'alcool? Pourquoi prend-on plaisir à transformer une belle journée en course effrénée à la gueule dans le caniveau? Pourquoi doit-on avoir l'air de trouver ça génial de n'avoir rien à dire à son voisin, et de lui resservir un wisky-cocacola pour combler le vide communicationnel? Pourquoi doit-on faire comme s'il était normal de ne pouvoir apprécier la fête que lorsqu'on la voit en triple exemplaire? Pourquoi un exemplaire ne peut-il pas suffire?
Fête du printemps? mais pas un mot n'est prononcé à ce sujet, pas un rituel n'est célébré, pas un élément fédérateur n'est convoqué en dehors de la très sainte ivresse et du très laid costume.
Consommer à outrance et salir une ville, ça n'a rien de printanier, rien de traditionnel, rien de poétique.
Vider le tube de lubrifiant, ça ne suffit pas pour s'amuser, car "s'il n'entend le cœur qui bat, le corps non plus ne bronche pas".
Je crois qu'on peut faire mieux.

C'est pourquoi je ne vous raconterai pas le Bando de la Huerta.

vendredi 17 avril 2009

Au coin de la rue

En passant dans la rue près du fleuve, je viens de voir une paella-piscine. Dans le plat gigantesque, on aurait pu faire patauger à l'aise l'effectif d'une crèche. Avec le feu qu'il y avait en dessous, en plus, ils n'auraient pas eu froid! Et on veut nous faire croire que les cannibales sont en Afrique!!!
Une foule de spectateurs émus regardait, avec force grognements d'estomac et commentaires olfactifs, des marmitons qui semblaient tout petits, munis de cuillers grandes comme eux, remuer les légumes et la viande.
S'il est une chose commune à tous les espagnols, c'est bien la mise en scène. Tous des enfants de Calderon de la Barca!

mercredi 15 avril 2009

"symboliquement beaux" - Introduction au Bando de la Huerta

Mardi 14 avril, c'était "el Bando de la Huerta" à Murcia.

Il s'agit de la fête du printemps. Calmez vos trépignement de joie: non, ce n'est pas le Sacre du printemps, on ne va pas sacrifier une vierge. Ne soyez pas trop déçus non plus, c'est très drôle quand même, car à défaut de sacrifier des vierges, on leur bourre la gueule jusqu'à ce qu'elles ne se souviennent même plus de la couleur de leur peau.
Voilà une introduction haute en promesses, non? Vous en avez les yeux qui salivent?


Une ambiance tranquillement fébrile planait sur la ville ce matin là. Des régiments de jeunes, vêtus du costume traditionnel murcien faisaient la queue dans les épiceries pour acheter des kilos de glace, et traînaient des chariots remplis jusqu'à la garde de whisky, bière, sodas, vodka, et autres rafraîchissements indispensables pour s'hydrater si l'on compte passer la journée le nez au vent et au soleil, entre un arbre mourant et un boulevard. Et c'était charmant et émouvant de voir toute cette jeunesse se mobiliser d'un commun accord pour promouvoir et défendre la culture de leur terre!
Le costume murcien se compose de:

Femmes:
_ Une coiffure nattée avec des nœuds et des rubans
_ Un châle brodé et une chemise blanche
_ Une grosse jupe raide de toile noire ou multicolore
_ Un jupon de dentelle blanche
_ Des jarretelles en dentelle blanches
_ Des sandales avec la semelle en corde, retenues au pied par des bandeaux de tissu, noir, blanc ou rouge.

Hommes:
_ Un chapeau
_ Une chemise blanche recouverte d'un veston noir ou brun avec des motifs de feuilles, qu'on laisse généralement ouvert, dans un négligé artistiquement étudié
_ Une écharpe pour ceinture, bleue, rouge, noire ou verte, enroulée autour des hanches, de façon à souligner la ligne mince et souple des jeunes, et la bedaine ronde et raide de ceux qui ont déjà une grosse quinzaine de bando de la huerta derrière eux.
_ Une jupe-culotte blanche qui se termine à mi-mollets
_ des jaretelles en dentelle blanches
_ des sandales avec la semelle en corde. Les mêmes que ces dames.
D'ailleurs bien souvent, les femmes adoptent le costume des hommes. La réciproque n'est pas valable.

Mixte:
_ Un chariot de supermarché ou une cuvette en plastique, subtilement vêtu de feuillages, pour rappeler qu'il s'agit bien de la fête du printemps, de la nature et des vitamines, rempli de boissons.

Quelques réflexions personnelles au sujet du costume murcien:
Tout d'abord, le costume murcien n'est pas pratique. Pas une personne au monde ne voudra croire qu'on peut mener à bien les travaux quotidiens de la ferme avec ces sandales, ce veston etc..., contrairement à ce qu'essaient de faire croire les murciens. C'est peut-être, d'ailleurs, la raison pour laquelle l'agriculture murcienne n'est pas franchement florissante. Les sandales de corde, par exemple, offrent un nombre d'incommodités record pour de si petits objets. La corde absorbe le liquide, et met longtemps à sécher. Si l'on marche dans l'eau, la boue, la pisse, etc... on a le pied mouillé immédiatement, et aucun espoir que ça sèche avant les trois prochains mois, ce qui signifie qu'on peut jeter les chaussures, puisque d'ici trois mois, elles auront atteint un point de putréfaction qui rendra leur simple évocation vomitive. La corde n'a pas une forme lisse. Avec les heures qui passent, le pied se fatigue de prendre la forme des nœuds de la corde, et la peau s'irrite. Les pieds gonflent, deviennent rouges, chauds et douloureux. Le tissu qui retient le pied dans la chaussure n'est pas confortable, car il ne s'adapte pas à la forme du pied. On a donc les orteils esquichés, les ongles qui s'incarnent, la peau qui déprime. En fait, après une journée dans ce genre de chaussure, on peut être porté à un certain nombres d'extrêmes pour que cesse la douleur:
_ se couper les pieds avec une cuiller à soupe
_ vendre son exploitation agricole, pour pouvoir recommencer à s'habiller normalement
_ crâmer la maison et la famille du tabarnak de ciboire de connard d'hijo de puta qui nous a vendu cet outil de torture. Ca ne fait pas cesser la douleur, mais d'une certaine façon, ça soulage.
Ensuite, le costume murcien est laid. Très laid. La jupe ressemble à s'y méprendre à un sac. La jupe-culotte met principalement en valeur les protubérances, et rend la silhouette plus trapue, lourde, et sans élan. Et les jarretelles de dentelle sont un peu surprenantes sur les jambes velues de ces messieurs... Je ne me suis pas lassée, pendant toute cette journée, de voir de jeunes garçons réajuster à mi-cuisse le ruban blanc qui retenait leur dentelle...
Ceci étant dit, il est formidable de constater l'enthousiasme des gens d'ici, qui n'hésitent pas à donner de leur personne pour garder vivante l'identité de leur ville. C'est pourquoi, trêves de médisances, nous considérerons que les murciens vêtus en murciens sont "symboliquement beaux".

Varshké rit...



Vous aurez peut-être remarqué qu'il est souvent question de nourriture, sur ce blog?

Ca vous pose un problème?

Moi ça va.

Voici donc un nouvel épisode anodin, sans intérêt ni conséquences intersidérales, de ma vie à Murcia. Si anodin, et pourtant, comme dit le chanteur "le bonheur ça se trouve pas en lingots, mais en ptite monnaie".

En décembre 2006, j'étais allée passer une semaine à Vilnius, chez des amis. Pendant cette semaine, comme il faisait froid dehors, j'avais sans doute passé plus de temps à musarder dans les rayons de supermarché qu'à compter les pierres des vieilles églises. Shame on me.
Or, puisqu'on parle de pierre, ne me la jetez pas trop vite, car nous venons au fait. Dans les rayons des supermarchés Lituaniens, il y a des choses très intéressantes. Par exemple, au rayon frais, de petites barres de fromage sucré, un peu comme du fromage blanc, mais beaucoup plus sec, donc beaucoup plus fondant et gras, et à plein de parfums différents: fraise, vanille, amandes, vanille-amandes, chocolat, chocolat-amandes, fruits exotiques, pêche, pamplemousse, pomme verte... Les lituaniens appellent ça, je ne sais pas pourquoi, des "vrarshkés surélis" (alors qu'il serait tellement plus simple de les appeler "petites barres de fromage sec aromatisées et enrobées de chocolat" car les "varshkés surélis" sont enrobées de chocolat). Pendant mon séjour en Lituanie, j'avais fait de très gros efforts pour ne pas en manger plus de deux par jour.
Mais depuis la Lituanie, j'avais du mal à tenir le rythme de deux par jour, parce que je n'en trouvais plus nulle part. En fait, j'avais fini par en oublier jusqu'à l'existence.
Il y a quelques jours, je suis entrée acheter du kéfir dans un supermarché slave. Il y a une importante communauté slave à Murcia. Je dis "slave", et je le pense, parce que je ne suis pas sûre que ce ne soit que des russes. Et les slaves non-russes n'aiment pas toujours qu'on les assimile à ce peuple au passé légèrement boulimique en matière d'extension territoriale.
Il n'y avait plus de kéfir. Par réflexe, je profite d'être au rayon frais pour jeter un coup d'œil: non, pas de "varshké surélis", c'eût été trop beau. En furetant, j'arrive juste devant le congélateur. Et là, mon sang ne fit qu'un tour, mon cœur ne fit qu'un saut: tout un compartiment de "varshkés surélis", guillerettes et colorées, n'attendant qu'une main chaude pour les attraper... rayon frais, rayon froid, finalement, quelle différence? un manteau, deux manteaux, qu'est-ce que ça change?


Voilà, à trois minutes de chez moi, il y a un morceau de Lituanie dans un congélateur, pour 55 centimes d'euros pièce, tout froid, gras et sucré.
C'est beau, la mondialisation... non?

Les pingouins de Murcia

Le 30 mars 2009, ma colocataire Eve expérimentait son baptême d'exposition, c'est à dire que c'était le premier jour de sa première exposition de toute sa vie.
Eve fait des miroirs, des tables, des arbres, des girafes, des oiseaux, et très prochainement, des lampes et des chevaux. A la voir faire, c'est très simple: il suffit d'ouvrir toujours les yeux dans la rue, et de repérer tous les objets abandonnés et récupérables qui traînent leur mélancolie de poubelle en poubelle: des tréteaux, des pieds de table, des tables, des chaises, des lampes, des planches, des carrés de carrelage... dès qu'on ouvre les yeux, on est étonnés de tout ce qui se promène en parfaite santé dans la rue.
Eve m'avait chargée de préparer de quoi aiguiser l'appétit des visiteurs (sans pour autant leur permettre de l'assouvir, parce que pour ça, y'a des restaurants ("pectopan" en russe, pour le très hypothétique russophone qui ne manquera pas de lire ce blog)!!!). Je cherchais donc des choses à grignoter ayant un rapport avec l'art d'Eve, qui est tout plein d'animaux et de couleurs.
Moi, je ne mange pas d'animaux, sauf un moucheron par ci par là, endormi dans le val entre deux feuilles de salade. Le moucheron du val.
Prenant la chose fort au sérieux, j'ai donc entreprit des recherches pour trouver comment manger des animaux sans manger de viande. J'ai interrogé Petinga, mais elle était occupée à répéter une scène de Croc Blanc avec Luna, celle ou Croc Blanc se bat avec un autre chien, et lui explose la jugulaire... Ah ben oui, c'est pour ça qu'il n'y pas d'enfants dans notre appartement: tout n'est pas rose et tendre!! J'ai donc laissé les jeunes s'amuser innocemment et me suis plantée en face de mon ordinateur, ce qui est la position constructive du sage moderne. Quelques sites internet plus tard, je suis tombée sur LA recette qui tombait à pic: les pingouins apéritifs.
Le pingouin apéritif se présente avec:
_ des pattes en carotte
_ un ventre en olive et en fromage à tartiner
_ une tête en olive et un bec en carotte
_ une colonne vertébrale en cure-dents.
Adorable. On en mangerait.
J'ai donc capturé des olives dans les rayons du mercadona, cultivé du fromage à tartiner, et piégé des carottes qui faisaient les malignes sur un étalage du marché... (J'aime autant vous dire qu'elle étaient moins fières en rondelles!!) et j'ai dressé une armée de pingouins. Ah! ils étaient beaux, mes fiers pingouins, prêts pour la bataille, la fleur au fusil, et l'oeil conquérant! C'était pas une armée de tafiottes, mes pingouins!!
La seule chose que je n'avais pas prévue, c'est que les pingouins, ça n'a pas l'habitude de voyager en voiture... Angel a fait tout ce qu'il a pu pour conduire suavemente, suavemente, mais quand on a sorti l'assiette, presque tous les pingouins avaient été malades, le bec dans l'eau, carrément! une bérézina de pingouins dans une assiette ikea...
J'ai fait savoir à mes troupes ce que je pensais de leur façon de résister à l'adversité, et quelques uns, dans un sursaut de dignité se sont remis au garde à vous. C'est bien dans les situations de crise que l'on fait la différence entre les braves, ceux qui ont le sens du devoir et de la persévérance, ceux qui ont du courage jusqu'au bout du bec de carotte, et ceux qui sont venus là juste parce qu'il y avait de la lumière, les touristes avec leur cure-dent tout de travers et du fromage qui dépasse sur l'olive...
Par la suite, je les ai gardés à l'œil, et ils voyaient bien que je ne tolérerais pas d'autre écart à la discipline, mais le moral des troupe était franchement entamé, et la fleur au fusil avait fait place à de sombres orties dans les quels ils auraient volontiers poussé mémé s'ils avaient eu des pattes avant, ce que je m'étais bien gardé de leur fournir.
Mes pingouins rongeaient leur frein.

Quoiqu'il en soit, deux semaines plus tard, nous avions depuis longtemps liquidé cette adorable armée de couards, et je n'y pensais plus, lorsque, revenant d'une course quelconque, je poussai la porte de ma chambre et trouvai, souriant sur mon bureau, un gros pingouin sur une banquise de polystyrène, surveillant une bougie dans un bougeoir en fleur. C'était un pingouin cadeau de Eve, en mémoire du pingouin inconnu mort bravement (ou pas) lors de la bataille du 30 mars 2009.

dimanche 12 avril 2009

Le grand air 1

Le week end, il y a deux semaines, j'étais très lassée des bruits de la ville, des odeurs de la villes, des gens de la ville, des voitures de la ville, des couleurs de la ville, des lumières de la ville... je voulais aller savourer les bruits, les odeurs, les gens, l'absence de voitures, les couleurs et les lumières de la non-ville, qui affirme davantage son importance à travers un nom qui lui est plus propre: la campagne.
J'ai pris contact avec le responsable du réseau alternatif de Murcia, qui proposait à qui avait des mains et de la bonne volonté de venir réparer une maison de paille dont un mur avait brûlé à l'automne, dans le domaine qui apparient au réseau, à une petite heure de voiture de Murcia.
Je ne connaissais ni les gens ni les lieux, mais il faut bien ne connaître ni les gens ni les lieux à un moment, si on veut pouvoir les connaître après? Que je me souvienne, il n'y a ni lieux ni gens (à quelques exceptions près, que votre imagination et votre grande connaissance de la vie vous suggéreront sans difficulté) que j'aie toujours connus!!
Le samedi matin, à 9h, j'avais donc rendez-vous avec Elias, que je devais retrouver sur la place de l'Eglise du Carmen (c'est mon quartier). J'avais un petit sac avec quelques affaires indispensables (une brosse à dents et du dentifrice, un pull, un gâteau oriental au miel et aux noix, une photocopie de mon passeport pour pouvoir identifier précisément mon cadavre si je meurs brutalement, un carnet de notes et un stylo), et un sac de couchage prêté par Eve. Je tiens à préciser que ce sac de couchage a visité la Mongolie il y a 3 ans. Il ne s'agit donc pas de n'importe quel sac de couchage. Elias avait un pantalon multicolore et une voiture rouge remplie à craquer de planches et de bazard.
En chemin, il m'a un peu raconté l'histoire de Murcia alternativa, réseau qu'il a crée en 1994, et qui ne cesse de prendre son envol. Avec des amis, ils ont acheté un terrain dans le parc régional au nord de Murcia, où ils doivent maintenant, et c'est normal, obtenir un permis chaque fois qu'ils veulent construir quelque chose dessus. L'idée à terme est de devenir suffisement autonomes en production agricole et énergétique pour qu'une communauté relativement importante puisse y vivre dans la paix et la tranquilité.
Elias, qui se définit lui-même comme un rat des villes considère qu'il est indispensable de revenir à ce genre de vie simple, et compte les années qui lui restent à vivre en ville avant de venir s'installer à la "finca". Au son de sa voix, on sent que bien que ce projet soit son bébé, la perspective de vivre à la montagne loin de la ville lui flanque une frousse noire. Il a d'ailleurs vécu 6 mois à la "finca", mais ne supportait pas la solitude, et a repris le chemin bruyant de la ville. En fait, il n'y a que 3 ou 4 personnes qui vivent réellement là à l'année.
Dans la finca, toutes les maisons sont artisanales. Soit en paille, comme celle que nous allons restaurer, soit en bois. Elias préfère la maison en paille, car sa construction est moins dispendieuse en argent et en ressources naturelles. On ne peut pas lui donner tort.
Une maison en paille, qu'est-ce exactement?

Vous pensez tous aux trois petits cochons, maintenant.
Eh bien en fait, le loup aurait besoin de beaucoup plus de souffle qu'il ne semble lui en en coûter dans le conte traditionnel pour soulever celle-ci.
Les murs sont effectivement formés de bottes de paille empalées sur des barres de fer, et pressées jusqu'à devenir très compacts. Cela permet une meilleure isolation, une propagation bien plus lente du feu si le feu prend (puisque plus la paille est serrée, moins l'air passe, et le feu est comme vous et moi, sans air, il tousse et s'étouffe), et une résistance plus grande du mur aux pressions du toit et du vent.
Les parois internes et externes du mur sont enduites de chaux liquide puis d'une couche d'un revêtement de plâtre, ou de boue, qui les rendent lisses, solides, et utilisables pour l'habitat. On parle d'une maison de paille parce que les murs sont de paille, mais en apparence, elle ne se différencie des autres que par l'épaisseur des murs et une légère irrégularité dans ses formes.
Le parc régional où nous nous trouvons était à l'origine une vaste et belle forêt de chênes, mais comme il est arrivé bien souvent dans la belle est grande histoire de l'humanité, les beaux chênes furent un à un abattus pour construire des bateaux, des maisons, des chevaux de bois, des gueules de bois, des sabots de bois, des chèques en bois, etc... et un matin, il ne restait plus qu'un bûcheron planté comme un con avec sa hache sur des montagnes écorchées vives. Commença alors une sombre époque où chaque pluie entraînait des inondations catastrophiques et des glissements de terrain, parce que bien sûr, comme il n'y avait plus rien pour retenir la terre, celle-ci ne se gênait plus pour venir voir ce qui se passait en bas dans la vallée.
Un jour, les autorités, lassées d'envoyer des missions humanitaires dans la région après chaque crachin envoya plutôt des experts, pour changer, et pour voir quel genre de forêt on pourrait replanter là. Les experts déclarèrent que la terre était dorénavant trop abîmée pour planter autre chose que des pins. On planta donc des pins. Ils brûlèrent plusieurs fois, parce le pins, ça brûle bien, mais laissèrent chaque fois des graines qui premirent qu'aujourd'hui, on a l'impression de passer dans une forêt de pins comme toutes les forêts de pins.
Elias est ingénieur agronome.
Arrivée à la "finca":
Quelqu'un travaillait à frabiquer une maison de bois. Sylvain. Un français récemment débarqué en Espagne: tout juste 20 ans.
Quand au mur brûlé de la maison de paille, une fois que nous eûmes dégagé les débris, il fallut se rendre à l'évidence: faute de paille fraîche pour remplacer la paille roussie, nous allions nous retrouver au chômage technique.
Pour meubler les 24 heures qu'il me restait à passer là, je fis une promenade vers les cimes les plus proches. Quelle vue!! des roches, des nuages, des oiseaux de proie, des perdrix, des fleurs, des chants d'oiseaux, des bourdonnements d'insectes, et tout en bas, les maisons de la "finca", toutes petites, avec les silhouettes de Sylvain, Elias et Annie (la fille de Sylvain) encore plus petites qui allaient et venaient. Je me sentais comme la chèvre de M.Seguin qui sort de son étable, et du haut de la montagne, ne comprend plus comment elle pouvait être assez petite pour entrer dans un si petit abri et se dit qu'il n'était vraiment pas étonnant qu'elle s'y sente à l'étroit.
Il me coûta à peu près autant de décider de redescendre qu'il peut coûter à un pied douloureux de décider de retourner dans ses trop petits souliers.

Tous les matins de Murcia


En général, dans mon appartement, on se lève dans l'ordre non-alphabétique.

Vers 7h00 du matin, Luna a faim, et vient m'en faire part en ronronnant à côté de mon oreiller, puis en passant de moins en moins discrètement autour de ma tête, voire en se vautrant sur une épaule ou en tentant d'escalader la cage thoracique. Je tente dans un demi-sommeil de lui faire comprendre qu'à cette heure là, elle peut manger ses pattes, mais pas compter sur moi pour bouger un orteil pour lui donner des croquettes, mais à cette heure là, je n'articule pas très bien, et du coup, elle ne comprend pas, et devient de plus en plus insistante.
C'est pourquoi vers 9h, quand sonne mon réveil, je suis généralement prête à me lever. Je jette un oeil sur les plantes qui sont sur le rebord de ma fenêtre, nourris Luna, et pars vers la cuisine faire chauffer de l'eau pour le thé.
En chemin, je toque à la porte de Eve, ce qui déclenche systématiquement l'enthousiasme bruyant et peu communicatif de Petinga. Les jours où il devient urgent que Eve se lève (lève-toi et danse avec la vie), il suffit d'entre-ouvrir pour laisser passer Petinga, transformée en furie, et La Belle au Dormant elle-même ne parviendrait pas plus de 3 minutes à rester accrochée aux bras de Morphée.
En fait, Petinga, elle fait peur à Morphée.
Je mets le thé à chauffer et fais le tour des plantes du patio, je regarde le ciel pour voir quel temps il va faire, et je retourne en grelotant chercher un pull dans ma chambre, parce que tous les matins, j'oublie qu'il fait plus froid dans la cuisine que sous ma couette.
Lorsque le thé est prêt, deuxième appel à Eve-lève-toi, cette fois armée d'une tasse de thé brûlant. C'est l'argument choc.
Le thé est l'or brun, vert ou rouge de notre appartement.
Lorsqu'il me l'a explicitement demandé la veille, et puisqu'on ne change pas une équipe qui gagne, je débarque alors dans la chambre d'Angel, une tasse à la main, et Petinga dans les pieds, et retourne dans ma chambre lancer la première "playlist" de la journée.

On peut alors officiellement considérer que la journée a commencé chez nous. Selon que c'est Eve ou Angel qui pose le premier le pied dans la cusine, les premiers mots de la journée seront pronnoncés en français ou en espagnol.

Le plus important, pour avoir une hygiène de vie rigoureuse, comme cela ne vous aura sans doute pas échappé à la lecture de cet article primesautier, c'est d'avoir des rituels.
Comme dit le sage belge: "une bière le matin ferait lever un martien"
Comme dit le sage espagnol: "un thé le matin ferait lever un murcien".

samedi 11 avril 2009

Pain perdu et retrouvé: le gâteau de pain

Quand je disais que dans mon appartement "rien ne se crée rien ne se perd tout se transforme", je pesais mes mots.

Ne jetez plus le pain dur, montrez au monde entier que vous avez plus de ressources qu'une poubelle!!

Gâteau de pain:

Ingrédients:
Entre 1/2 et 2/3 de saladier de pain dur, bien dur en morceau (brisez à la hache, à la massue, à la tronçonneuse s'il le faut)
4 ou 5 œufs
Entre 3/4 de L et 1L de lait
Du sucre
Des épices

Préparation:

Attention, c'est TRES TREEEEES difficile à faire comme gâteau!
Dans un saladier, battez les œufs avec le sucre (là, ça dépend de si vous aimez bien sucré ou juste un peu... je dirais que entre 1 tasse et 2 tasses, c'est raisonnable), ajoutez le lait en remuant toujours.
Ajoutez l'épice ou l'arôme de votre choix: cannelle, vanille, kirsch, cointreau, eau de fleur d'oranger, eau de roses, ... D'expérience, je peux vous dire que la vanille et la cannelle vont très bien.
Balancez le pain dur dans là dedans.
Laissez infuser au moins une heure, voire deux ou trois. Vaquez à vos occupations comme si de rien n'était, car, comme je l'ai appris récemment, ça ne va plus vite si on reste à regarder le pain tremper, ou l'eau bouillir... selon quelques spécialistes, ça va même moins vite... Allez savoir!
Si vous tenez absolument à faire quelque chose de plus parce que vous n'avez rien à faire chez vous, allumez le four à température assez basse ( entre 130° et 150°).
Deux ou trois heures plus tard, revenez silencieusement dans la cuisine, si vous avez de la chance, vous pourrez surprendre le pain en plein travail d'imbibation... ah, que c'est beau, le pain dur qui s'attendrit dans un bain sucré...
Sans faire de bruit, sortez le mixeur, branchez-le, et vlan, mettez fin d'une pression de doigts à cette tendre et primesautière scène d'amour culinaire.
Quand c'est bien mixé, versez la pâte dans un moule beurré ou recouvert de papier cuisson.
Mettez-moi ça dans le four, et plus vite que ça.
Laissez cuire entre 40 minutes et 1 heure. La pâte doit être très légèrement dorée sur le dessus, et ne pas coller à la lame du couteau si vous venez asticoter le gâteau pendant qu'il se dore la pilule.

Ce gâteau, moi je trouve qu'il est encore meilleur 2 ou 3 jours après, avec de la confiture, du sirop d'érable, du miel, de la compote...

Pourquoi le gâteau de pain? Pourquoi tant d'imprécisions dans les chiffres de cette recette? Mes petits agneaux gourmands, c'est parce que cette recette trouve son origine dans une tradition française. A l'époque où on n'avait pas les moyens de jeter tout ce qui restait sur la table à la fin du repas, on gardait le pain dans une huche, et le dimanche, quand le four était encore chaud d'avoir fait cuire tout le pain et tous les ragoûts de la semaine, on profitait du long rayonnement de la chaleur pour faire doucement cuire le gâteau de pain, dernier né de la fournée familiale dominicale. Pourquoi tant d'imprécisions? Parce que ce gâteau est aussi populaire que le conte du Petit Chaperon Rouge: chaque région, chaque famille en a une version différente, selon qu'on aime beaucoup le sucre, qu'on le veut compact, ou que...
A vous de trouver votre nuance personnelle du gâteau de pain, et vous verrez comme votre perception du monde et de vous même s'en trouvera épanouie... ou au moins, vos papilles et votre estomac.

lundi 6 avril 2009

Ce qui vit dans mon appartement


Dans mon appartement, vivent ostensiblement trois classes d'être vivants:
Mes colocs et moi
Une chienne et une chatte
Pas mal de plantes.

On suppose que d'autres genres de vies passent par là aussi, parce que la chatte n'arrête pas de fixer les murs et le plafond avec ses yeux pointus qui voient des choses que nous ne voyons pas.
Par ailleurs, je vous épargne les bactéries, les virus et autres micro-organismes qui ont beau faire des "party" de ouf tous les samedis soirs, ne parviennent pas à nous faire perdre le sommeil et la tranquillité.

Ah oui, il y a aussi une télévision. Mais chez nous, la télévision ne vit pas. Elle est cloîtrée dans sa niche, dans un coin du salon, et on ne lui demande généralement pas son avis. La majorité d'entre vous s'esbaudit déjà: "mais comment? ils ont une télévision et ils ne l'utilisent pas? Enfin, quand on en n'a pas, je comprends, mais là, ils en ont une!! On n'est plus au Moyen Age, époque maudite des télés en bois, avec une réception et un son pourris!! Ils vivent comme des barbares, ma parole!! Encore de jeunes cons!!"
On se calme.
Rien de tout ça. Rassurez-vous. Ce n'est pas que nous repoussions la nourriture spirituelle que Dame Télé daigne nous balancer à la gueule toute la sainte journée dès qu'on lui donne la parole!! point pantoute!!
C'est que chez nous, comme l'explique souvent Eve aux oreilles avides d'explications, on a déjà toute la nourriture spirituelle nécessaire.
Chez nous, il suffit de se poser avec un verre de thé sur le balcon à l'heure où tape le soleil et de regarder le petit parc en bas. Il y a la mère décolorée qui passe deux fois par jour avec son fils de 8 ans décoloré, il y a le gros plein de soupe qui laisse chier son chien exactement en plein milieu du trottoir et qui fuit en vérifiant que personne n'a rien vu, il y a les deux copines qui passent en refaisant le monde, l'une des deux tellement enceinte qu'on dirait que le monde, il est déjà en reconstruction entre le rein droit et le rein gauche, il y a le jeune couple qui s'assoit sur un banc, s'embrasse, puis le garçon se lève, et s'éloigne, et la fille jette un coup d'œil à droite, un coup d'œil à gauche, et part en courant, il y a les petites filles qui s'entraînent en cercle à refaire les chorégraphies de la baila-academia locale, et les petits garçons qui sont tous champions de foot quelques secondes chaque fois qu'ils tapent dans le ballon, ils y a les clochards cuits par l'alcool, complètement rouges et gonflés, qui gueulent sur un banc, il y a le jeune dealer qui débarque avec sa caisse tunnée et rutilante, la musique à fond, discret comme un miroir de bordel en plein soleil, gominé, jean moulant, la réincarnation de James Dean, mais avec une coupe de cheveux espagnole, et qui attend que défile sa clientèle quotidienne, avec laquelle il échange moult embrassades et poignées de main très louches (embrassade n°1:
_ "T'as quoi de beau aujourd'hui?
_ T'as même pas idée, que des bonnes choses
_ OK, ben pour moi, ce sera 50 grammes, et 50 autres pour ma mère.
embrassade n°2:
_ Et avec ceci?
_ Ce sera tout, merci!
poignée de main n°1:
_ Tiens, ça fera 50€
poignée de main n°2:
_ Merci, je te rendrai la monnaie la prochaine fois, là j'ai pas de liquide sur moi... j'ai que de l'herbe séchée et de la poudre... PFFFFFFF!!! jajajajajaja elle est bonne!! pas de liquide!! que de la poudre!!!! jajajajaja!!!
Vu de l'extérieur, ça ne ressemble pas exactement à ce que c'est vraiment, des mecs qui se tiennent embrassés trois ou quatre fois pendant de longues secondes...)
... Alors une télé, pour quoi faire?
Quand on est lassés des faits divers, on a le grand cinéma à l'intérieur de l'appartement. Le grand cinéma est affaire de Luna et Petinga, deux mamifères femelles à quatre pattes que les caprices du destin ont déposées dans l'appartement. Leur morceau de bravoure, c'est "Tigre et Dragon". Elles nous font admirablement bien les scènes de combat: "Moooooooaaaouuuuuuu" "Yaééééouuuuu". Et ça court, ça bondit meuble en meuble, gestes rapide et légers, et puis soudain, arrêt sur image, les deux adversaires immobiles se pèsent du regard, qui va attaquer? Une patte lancée, pour tester l'adversaire. Esquivée: adversaire au taquet. Re-coup de patte, re "MooooooaooouuuuUUUUUU!!!", re-course poursuite de meuble en meuble.
Quelques fois, c'est en mode Godard: les deux posées l'une a côté de l'autre se tâtent des yeux, une qui miaule interrogativement, une qui jappe affirmativement...
D'autre fois, c'est Hitchcock au menu: La mort au trousse au détour d'un couloir, Luna court pour sauver sa vie, bouscule les meubles, déplace les chaises en dérapant dans les tournants. Petinga, se vautre, rate une boucle, redémarre sur les chapeaux de roue, le regard fixé sur sa proie... On entend des cavalcades, débauche de pattes glissant sur le carrelage.
Non mais vraiment, une télé, pour quoi faire?
Malgré tout son talent, Dame Télé n'arrive pas à la cheville de ce que nous avons chez nous.

Et puis il y a les plantes. Ici, on tente de faire tout pousser: les poivrons, les courges, le quinoa, les avocats... Nous développons le principe du patio bio. Tous les matins, après avoir salué Luna et Petinga, je salue les plantes, je regarde qui a poussé pendant la nuit, je vérifie que personne n'a fait de mauvais rêves à base de sécheresse, de parasites et d'inondations. Peu à peu, les plantes gagnent de la place sur la superficie du patio. Encore quelques plantations, et ici, ce sera la jungle, on pourra lancer un remix de Tarzan avec Luna et Petinga.

Dans mon appartement plus encore qu'ailleurs, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme, et nous ouvrons toujours la porte aux chats perdus. Avis aux chats perdus.