mardi 30 juin 2009

La moti-punition


Comme l'a très bien dit Jennifer, un jour à midi, alors qu'elle était assise à côté du patron et en face de nous: "alors là, les vendanges, c'est pas une question d'expérience, c'est une question de motivation!" Elle répondait à une anodine réflexion de ma co-vendangeuse Maureen, qui lui faisait remarquer que si elle allait plus vite que nous, c'était peut-être parce que indéniablement, elle n'était pas tombée de la dernière pluie en matière de sectionage de raisins. Le patron lui-même eut un moment de doute devant une attaque aussi gratuite, violente et salope.

Alors les enfants, le français, c'est pareil: "c'est pas une question de difficulté, c'est une question de motivation". Et ceux qui ne me croient pas iront couper du raisin huit heures par jour pendant 6 ou 7 jours, avec obligation de tracer sinon ça va ch...!!!!

Peut-être aurait-il été pédagogiquement plus intéressant de répondre ça aux enfants qui soupiraient en me regardant tristement: "le français c'est trop difficile, profesora!". Mais je n'ai pas eu cette élégante présence d'esprit. Au lieu de ça, après avoir vainement tenté d'entamer la nouvelle leçon pendant plus de deux semaines avec les 2°D, je suis allée voir leur prof principal, et je lui ai fait part de mon impuissance et de mon amertume, je lui ai ouvert mon cœur avec la simplicité et la sincérité de la prof novice face au vieux singe.
Et que me répondit le vieux singe, qui jouissait visiblement de la tranquillité qu'il opposait à ma déréliction?
"Tu veux récupérer des heures?"
La conscience professionnelle étant le moteur qui guide mes actions, je répondis sans hésiter "Ah ben oui, en voilà une bonne idée qu'elle serait bonne!"
En deux temps et pas de mouvement, c'était arrangé: la joyeuse bande de petits cons rirait moins quand ils sauraient qu'ils allaient passer quatre heures avec moi cette semaine au lieu de deux. Une heure supplémentaire vendredi à la place d'une heure de permanence, et une heure purement et simplement poussée comme une verrue dans leur emploi du temps le jeudi de 14h à 15h. Le vieux singe riait dans ses rides de la bonne blague qu'il allait faire à ses petits protégés, et jubilait presque indécemment du discours qu'il allait leur servir.

"Alors voilà comment vous traitez la pauvre Mar qui rame déjà tellement dans ce pays étranger qui n'est pas le sien? Eh ben bravo, c'est du propre, belle mentalité! Mentalité de petits bourgeois pourris gâtés! Moi je n'ai pas eu l'opportunité d'apprendre deux langues. Moi, l'école, il fallait la payer. Mon père il s'est saigné pour me payer l'école, et mes copains, ils n'ont même pas pu y aller. Nous quand on pouvait y aller, en payant, on en profitait. Vous on vous paie tout:
bâtiment: gratuit
électricité: gratuit
mobilier: gratuit
professeurs: gratuits
et comble du luxe: livres: gratuits
Et vous n'en n'avez rien à carrer, vous considérez que tout ça vous est dû, et que c'est bien trop désagréable d'apprendre!
Eh bien on va vous le faire entrer au marteau, puisque c'est la seule chose qui marche avec vous. Le bâton, il n'y a que ça de vrai, on dirait, hein? Vous avez intérêt à vous tenir à carreau, parce que si Mar me dit que quelque chose n'a pas été bien, ben ce sont deux autres heures supplémentaires qui vont vous tomber dessus. On ne va pas se décourager, vous savez, on vous en mettra autant qu'il faudra, des heures de français! ( Euh... ouais, "on" ne va peut-être pas de décourager, mais moi si, peut-être...). Et asseyez-vous bien! ça ressemble à quoi cette classe? Les sacs sous les chaises, pas dans l'allée. Paquet de crâdes!!!"




Moi aussi, j'étais muette en écoutant le vieux singe, mais moi aussi, j'avais très envie de m'enfuir en courant, de passer par la fenêtre, ou de faire une course de glissades en chaussettes avec les élèves dans le couloir désert.

Mais on a fait du français, comme si de rien n'était.

lundi 29 juin 2009

Végéto-voyage

Après quelques semaines de pause, on peut se demander quels mots seront à la hauteur d'un retour fracassant...
A défaut de pouvoir y répondre, je propose de commencer en douceur, en effleurant du bout des doigts quelques pensées qui sont passées par là ces temps-ci.
Une fois de plus je me suis surprise à méditer sur le voyage. Chez moi c'est chronique.
Je regardais le temps qui passe, et jetant un coup d'œil à mes racines, je me rendis compte à quel point le paysage avait changé depuis la dernière fois que je leur avais accordé un instant d'attention. Un grand nombre de racines, longues et anciennes, pendaient désormais, séches et rigides prêtes à rejoindre le monde du biodégradé. Mais d'autres racines, souples et blanches, avaient tranquillement entrepris de tenter leur chance. Et moi qui n'avais rien remarqué, rien noté, rien senti!... Ces racines, ce n'est pas avec la terre qu'elles vous attachent et vous nourrissent comme un cordon ombilical, mais avec la vie.
Ce n'est pas dans Murcia que ces nouvelles racines creusent leur chemin, mais c'est de Murcia qu'elles me nourrissent.
Quelles étranges plantes nous sommes! Quel étrange terreau est le nôtre... Nous pouvons nous alimenter de tout, de la lumière, du lieu, des odeurs, des gens, des spécialités culinaires locales, de la musique, des livres, des bibliothèques, d'une voiture sans climatisation qui file sur une route brûlante entre deux champs de cailloux et de sacs en plastique orphelins, du temps qui glisse sur les journées de canicules comme un ruisseau frais sur les pierres rondes... Le tout est de trouver le bon terreau pour chacun au bon moment.
Quelles étranges plantes nous sommes! Probablement les seules plantes de la création qui aient besoin de voyager. Certaines plus que d'autres, bien sûr.
Les seules plantes qui puissent faire engrais de tout, que ce soit virtuel ou réel, que ce soit une soirée trop arrosée, ou une agression à main armée un soir au bord d'un fleuve, que ce soit une matinée à la piscine ou une séance de cinéma pimentée de batailles d'eau, de riz et de confettis, que ce soit un lait-battu "rhum-miel" ou un lait-battu "sommeil-veille" (vieille recette baroque inventée par Calderon de la Barca)...


A ce niveau là, ce n'est plus de la photo-synthèse, c'est de l'omni-synthèse.
Non?

jeudi 4 juin 2009

Déjà la tête en juillet

Depuis deux semaines, mes têtes blondes ont bien du souci à se concentrer.




Mon accent français leur provoque de fréquents fous rires, la perspective des examens anime en eux des fibres de révolte et de pilier de syndicat qu'ils ne se soupçonnaient pas, et la très douce approche des vacances vient souvent leur caresser des recoins du cerveau de moins en moins secrets.
Les sirènes de l'été chantent déjà de leur voix la plus suave et la plus forte, et dans les couloirs du collège, j'aime autant vous dire qu'ils sont peu nombreux ceux qui tentent de leur résister.
Dans le collège, nous avons tous déjà la tête en juillet, nous sommes tous déjà complètement envoûtés par la brise du soir venant effleurer une chaude après midi de juillet ou d'août. Même si étrangement, personne n'en parle pour le moment. On le sent pourtant, parce que ça ne rit plus beaucoup dans la salle des profs, maintenant. Il y a une épidémie de "partes de disciplina", l'un des plus hauts degrés de sanction des élèves avant le conseil de discipline: ni les profs ni les élèves ne se sentent disposés à la patience. C'est comme si on espérait qu'en parlant plus pendant chaque heure de cours, on ferait arriver plus vite l'ultime sonnerie, celle qui libérera, du moins aime-t-on à le croire, des tsunamis d'endomorphine et de dopamine dans nos organismes asséchés par le stress et la fatigue du dernier mois de classes.
Moi-même, ces temps-ci, je me rends compte que nombreux sont mes mots qui perdent des syllabes. Tels de petits cabris sauvages et indomptables, profitant de mes fréquents instants d'inattention, des syllabes s'échappent du troupeau de la phrase, prennent la clé des champs et sèment de la poudre d'escampette comme s'il en pleuvait.
Et sans vouloir vous vexer, chers lecteurs habituellement pendus à mes mots, je vous sens vous aussi déjà un peu partis. Vous aussi, vous avez tellement le regard perdu sur les estivaux horizons qui nous pendent au nez qu'il vous coûte beaucoup de le fixer sur un écran tristement fidèle à lui-même.

En fait, plus personne n'est là. On s'ennuie tous devant l'ordinateur, ces temps-ci. L'ordinateur ne change pas selon les saisons, il brille pareil, il chauffe pareil, il beugue pareil, il n'a pas de cerises qui lui poussent sous les touches ou sur l'écran.

Alors à quoi bon se forcer?
Offrons-nous une pause.
Je n'ajouterai aucun article dans les deux ou trois ou quatre semaines qui viennent.

Nous nous retrouverons lorsque j'aurais rejoint ma tête, avec plein d'articles passionnants. Il y en aura pour tous les goûts: des aventures, des recettes, des coups de gueule écologistes et économiques, principalement guidés par une ignorance absolue des sujets, des exposés sur les alternatives qui existent déjà pour pallier à deux ou trois des milliards de soucis qui pourrissent la vie de milliards d'humains, et plein de grands défis dans ce genre, pour améliorer la vie, "parce qu'à part moi personne n'y pense".








En attendant, rêvez bien.








Hasta Ciao!