dimanche 28 novembre 2010

Argelès sur Mer

Le temps est gris. Pas franchement moche. Enfin, c'est une question de point de vue: ceux qui viennent du nord diront qu'il fait presque beau, puisqu'il ne pleut pas. Les autres feront une grimace éloquente et marmonneront entre leurs dents qu'il fait un temps d'apocalypse, puisqu'on a du mal à deviner le soleil derrière les nuages.
Une chose est sûre: on est hors saison. La ville est à peu près déserte, plus du trois quart des volets sont baissés.
C'est d'ailleurs une ville côtière assez laide. Une rue principale bordée d'immeubles neufs, blancs, aussi personnels et jetables qu'un paquet de kleenex, qui cachent la mer, cent mètres à gauche. 
Nous marchons dans cette rue avec l'espoir d'en voir un jour la fin. On a l'impression de marcher là depuis des mois. En fait, ça fait juste dix minutes. Mais c'est un jour lent depuis le matin.
A l'entrée d'un parking, à droite, il y a un groupe d'hommes en pleine conversation. Ils s'allument des cigarettes, échangent des points de vue, et semblent indifférents à ce qui les entoure. Ce sont des vas nus pieds jeunes et vieux, ils ont de grands chiens paisibles, et rien ne permet de savoir s'ils se connaissent bien et ont l'habitude de se retrouver là pour se donner des nouvelles de l'underworld qui est le leur, ou s'ils viennent de faire connaissance, et, n'ayant rien à perdre, ont tout de suite ouvert toutes les portes de la jovialité et de la convivialité.
Ils ne sont pourtant pas aussi coupés du monde qu'ils en ont l'air. Au moment où nous passons, l'un d'eux nous crie: "Et vous allez où comme ça?
L'occasion était trop belle, je lève mon bras droit au bout duquel se trouve la réponse:

Nous aussi, on frôle l'underworld de temps en temps.

samedi 20 novembre 2010

histoire sans fin


Ce soir, ou demain, ou hier, quelques étrangers vont célébrer l'arrivée du Beaujolais nouveau. Déjà?
Hmm laissez-moi regarder, ... mi-novembre bien sonnée, une moitié de l'automne déjà avalée, donc oui, déjà.

L'automne est une saison assez peu à la mode. On aime ne pas aimer l'automne, car c'est la saison qui assure la tâche ingrate d'éloigner l'été et de faire tomber les feuilles, la température et les jours plus tôt.

Au XXIème siècle, dans les pays occidentaux, les supermarchés sont abondamment approvisionnés toute l'année. On a donc perdu l'habitude de voir chaque saison avec son estomac. Avant l'industrialisation, on n'aimait moins qu'aujourd'hui le printemps. C'était la saison des greniers vides, de l'herbe courte et noire, du bétail efflanqué, ... On préférait l'automne: les greniers étaient pleins, les fruits et légumes ne cessaient de mûrir, et on engrossait la terre d'espoirs d'abondance pour l'année à venir.

Si on donnait un rôle à l'automne aujourd'hui, ce serait quoi?
Un retour sur soi après le carnaval de l'été?
En été, on met un déguisement: bronzage, alcool, barroudage, bénévolat, maître de cérémonie, ... en automne, on tombe le déguisement et on se regarde.
Ça n'engage que moi. L'automne est la saison des correspondances qui pincent le ventre. En me brossant les dents le soir, pieds nus, je reprends pied en Espagne, sur le carrelage gris et froid d'appartements laids et tristes (mais qu'importe!). En regardant par la fenêtre du RER, je vois la lumière blanche de Valencia qui refuse de céder à l'obscurité et s'accroche à tout ce qu'elle trouve sur son chemin: branches de palmiers, cheveux, linge à sécher sur les terrasses. Le regard perdu sur une vitre embuée de bus, c'est dans la churreria de Madrid, entourée de vieux et d'enfants que je passe dix minutes à rêver chocolat chaud, churros et douche brûlante...



















A l'automne 2006, j'avais le blues de l'expat (1er mal du pays de ma vie). Cette année, j'ai le blues de l'ex expat, et je n'attends qu'une seule chose: que mes ailes repoussent pour devenir à nouveau une ex ex expat. (NPC: expat et ex ex expat).

jeudi 18 novembre 2010

Bilan de compétences


Je ne fais pas d'articles politiques sur ce blog, d'habitude, car je considère généralement que je ne suis pas compétente pour exprimer un avis dans ce domaine (ou dans ces domaines, car la politique, c'est un condensé de philosophie, logique, diplomatie, sociologie, économie, écologie, pédagogie, etc....), et que s'il s'agit juste de se forger une petite opinion, chacun fera très bien ça tout seul.
Ce qui m'inquiète un peu, c'est que depuis quelques temps, il m'arrive de sentir quelque chose comme si l'écart de niveau de compétence entre moi, gueuse lambda sans qualifications ni expérience, et la brochette de pompeux fumistes qui nous sert à l'heure actuelle de classe politique, fondait à toute allure...
Et vous?

Alors voilà, je continuerai à ne pas parler de politique, mais il fallait que je vous dise qu'en ce moment, je me sens agressée par la vie politique. Moi personnellement. Et je me dis qu'ils devraient avoir mieux à faire que d'agresser 60 million de personnes.

dimanche 14 novembre 2010

Dimanche soir, c'est colère noire


En France, le Président de la République est le représentant du peuple, il est élu au suffrage universel direct. Il est la seule entité politique "individuelle" à être élue au suffrage universel direct.

Le Parlement est élu au suffrage universel direct, lui aussi, mais ce sont 577 députés (maximum) qui sont élus, ce qui suppose un découpage territorial des circonscriptions.

Le Sénat est composé de 348 sénateurs (maximum) élus au suffrage universel indirect.

Le Premier Ministre et les membres du Gouvernement sont nommés par le Président de la République.

Nommés. Pas élus. Parce que le Président de la République est seul. Il ne peut donc élire personne en tant que "corps présidentiel" élisant (du haut de l'Elysée) un autre "corps" gouvernant, législatif, juridique ou peu importe.
Il nomme:

Art. 8. - Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.

Sur la proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Le peuple vit, regarde, subit, s'insurge, approuve, s'en fout, bat le beurre, travaille, se lève tôt ou tard, et espère toujours que ses représentants feront preuve d'empathie et de sagesse pour le comprendre et le diriger sans lui marcher sur les pieds.

Avoir un Président de la République qui ne parle ostensiblement pas correctement la France, soit. Avoir un Président de la République qui ne comprend visiblement pas les questions des journalistes dès qu'elles s'élèvent un peu au dessus des pâquerettes, soit. Avoir un Président de la République qui dénigre ouvertement et sans complexe la culture et la littérature française, soit. Avoir un Président de la République qui nous flanque systématiquement la honte dès qu'il pointe le bout de son pied à l'étranger. Soit.

Avoir un Président de la République qui met en scène depuis pratiquement un an une campagne politique de remaniement ministériel qui n'a aucune justification dans les faits ni dans la Constitution, et qui n'a pour unique objectif presque explicite que de masquer le vide absolu de l'action gouvernementale, le manque d'inspiration, le manque d'expérience, le manque d'intelligence, le manque d'empathie, le trou noir de dignité et de sagesse, ça devient difficile à "soiter".

Que les médias prennent le relai et nous le présentent avec le même enthousiasme que s'il s'agissait de réels résultats de réelles élections démocratiques me laisse sans voix.

Parce que dans l'absolu, nous, on s'en tape que ce soit Pierre, Paul ou Mohammed qui prenne ses quartiers à Matignon, puisque de toutes façons, nous n'avons pas voix au chapitre à ce sujet. Mais nous avons voté en 1958 pour une Constitution qui engageait le Premier Ministre à diriger l'action du Gouvernement. :

Art. 21. - Le Premier Ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la Défense Nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires.

Alors on voudrait que le Premier Ministre dirige l'action du Gouvernement. On voudrait que l'action ne se limite pas à braquer le projecteur sur le cousin Machin, puis sur Truc qui passait par là et qui pose des ultimatums aussi inédits qu'insolites, avant de re-éclairer Bidule qui était là depuis le début.
Parce qu'on n'est peut-être pas très malins, mais on a quand même très bien compris, nous, que le poste de Premier Ministre est une vallée des larmes inondable, qui a brisé moult carrières politiques, creusé des kilomètres de rides et fait pousser des hectares de cheveux blancs.

Alors sérieusement, qui sont ces imbéciles heureux qui se battent pour un sacerdoce dont deux des qualités indispensables requises sont l'humilité et l'abnégation?

Ça me plombe le moral, tout ça. J'éteins ma radio et je vais me coucher.

(Articles extraits de la Constitution française de 1958, disponible sur le site de Legifrance: http://www.legifrance.gouv.fr/home.jsp)

samedi 13 novembre 2010

Sentir les couleurs



















Il y avait ce matin sur France Inter une émission entre 11h et 12h sur le handicap ("sur les épaules de Darwin"). L'animateur citait un certain nombre d'auteurs et d'études, en particulier Oliver Sachs ( The Mind's eye Picador 2010), qui présentaient le phénomène peu connu des synesthésies. On connaît les synesthésie de Rimbaud et ses voyelles, de Baudelaire et ses vers, mais il s'agit là d'une particularité physiologique qui touche (c'est le cas de le dire) un peu moins de 4% de la population (dont un grand nombre à leur insu, puisqu'on est rarement amené à se demander: "pourquoi je vois?", "pourquoi je sens?", "pourquoi j'entends?"). Ces personnes voient une couleur ou sentent un goût dans leur bouche à chaque note ou son qu'elles entendent. Une symphonie est pour eux comme une peinture ou une aventure gastronomique. Il y a les sons bleus, les sons rouges, les notes amères ou sucrées... Oliver Sachs dit que s'il perdait cette faculté, il aurait l'impression de perdre un sens à part entière, comme la vue ou l'ouïe.

On dit que les aveugles voient souvent des couleurs lorsqu'ils entendent un son, et ce dès les premiers mois qui suivent la perte de la vue. Lorsqu'ils "sentent une couleur", les zones visuelles de leurs cerveaux s'activent tout à fait, comme pour analyser des informations relatives à la vue.

On dit que les sourds sentent les vibrations. Ils sentent les sons avec la peau, comme par exemple les vibrations du vent passant dans un passage étroit. A quoi ressemble alors ce que nous appelons "silence": absence de bruit, dans la tête d'un sourd?

On dit que tous les bébés sont synéstésistes à la naissance, mais qu'ils perdent ce "sens" en grandissant, et ne se souviennent même pas l'avoir eu un jour. Qu'est-ce qui le chasse? L'apparition de la parole dans leur petit monde?

Dans la cuisine, j'écoutais en épluchant les rutabagas (moi aussi je peux sentir deux choses à la fois! les rutabagas froids et durs dans les mains, l'émission de radio dans les oreilles. Mais si ça compte... au moins un peu, non?), et je me dis que je passe ma vie à analyser, comprendre, enseigner et contrôler des productions du langage sous toutes ses formes. Et alors, qu'est-ce que j'apporte à mes élèves et à moi-même? Un système de communication parallèle au(x) précédent(s), qui leur ouvre des perspectives parallèles à celles de tout langage parlé et qui leur ferme celles bien plus variées de la perception?
La tangente, c'est le monde méconnu de la communication non verbale (même équation, autre point de vue). Mais par inhibition plus que par incapacité, nous y sommes sourds et aveugles.
Il faut admettre que nous sommes toujours le handicapé de quelqu'un. C'est peut-être un peu dommage de se dire que nous sommes si nombreux à l'être pour ainsi dire volontairement.
Ou bien très rassurant de voir qu'il nous reste tant de choses à entendre, goûter et découvrir dans des domaines autrement plus intérieurs et essentiels (comme les huiles "essence", et pas comme les forfaits sms illimités "in-dis-pen-sab-le-s!!!") que l'informatique et la téléphonie mobile.




















D'ailleurs, il fait froid, il fait sombre, je vais aller me prendre un thé rouge en ré-mineur et en vitesse, moi!!