samedi 13 août 2011

Les banquières I: Romantique

Les banquières ne sont généralement pas des femmes qu'on va voir avec un enthousiasme particulier. Mais comme dit la sagesse populaire, c'est quand on attend rien qu'on peut être agréablement surpris. Bon, ce n'est pas toujours vrai, mais de temps en temps, en effet...

A Murcia, il me fallait un compte dans une banque espagnole pour recevoir mon salaire du collège. J'avais pris rendez-vous dans la banque la plus proche de chez moi, ne voyant dans cette démarche qu'une nécessité purement provisoire et alimentaire. Lorsque j'arrivai à la banque, on me fit entrer dans le demi bureau (vivre l'open space!) d'une dame d'une quarantaine d'année, grassouillette, fermée comme une huître, et qui ne me jeta que du bout des yeux un demi-regard pour s'assurer que j'étais bien là.
Je n'en n'éprouvais ni colère ni vexation, ne considérant moi-même cet entretien que comme un épiphénomène destiné à retarder d'une demi-heure le déjeuner.
Et pourtant, à peine avait-elle découvert que j'étais française et que je venais de Paris que la petite femme se métamorphosa: "Ah! Paris!! Que hermoso! Que romantico!" Ses yeux brillaient, elle en oublia un instant de fixer son ordinateur, et son regard se perdit dans la contemplation imaginaire de son Paris, probablement très différent du mien. Elle finit par baisser les yeux vers moi, et je bénéficiai alors de tout l'amour qu'elle venait de déployer pour Paris.
"Y a donde sale Usted en Paris? Tiene que conocer perfectamente la ciudad... Yo solo la Torre Eiffel, el rio Sena, el Luvre... Donde estan las partes mas hermosas? digame..."
Mais elle ne m'écoutait pas.
Ma banquière avait décollé sous mes yeux, direction Paris, mais un Paris qui lui appartenait et qui évoquait pour elle un monde dont j'ignorais tout, mais qui l'avait transfigurée.

Avait-elle jadis vécu une belle histoire d'amour à Paris? Ou une histoire passionnelle avec un camembert? Ou découvert quelque chose de très important sur elle même sous un tilleul du jardin des Tuileries? Ou eu une aventure entre champagne et champignons sur les Champs Élysées?

Elle me quitta en me serrant la main avec émotion, accrochée à son petit nuage, et chaque fois que j'eus affaire à elle plus tard, elle m'accueillit avec la plus grande chaleur et fit tout son possible pour satisfaire mes moindres besoins.

samedi 6 août 2011

Se souvenir de Luna








Une semaine plus tard, alors que j'arrivai à Nice avec des amis, j'ai reçu un coup de fil de Luna qui avait transmis à une vieille dame qui la nourrissait qui avait transmis à la dame du camping de Merano le message suivant: "je suis vivante, je suis seule et abandonnée, mais pas encore sauvage, parce que je mange dans la gamelle d'un autre chat et qu'on me tolère pour l'instant."

Assez embêtée, je constatai qu'une absence totale de sentiment à l'égard de cette nouvelle m'empêchait de prendre la moindre décision quant à la conduite à tenir.
En bonne cartésienne, j'optais pour une méthode dont l'efficacité n'est plus à prouver: la dissertation.

I. Données pratiques relatives à nos positions géographiques respectives à Luna et à moi: 
_ Au moins 700km de distance. Les Alpes en cours de chemin.
_ Argent: un gouffre financier.
_ Temps: une hémorragie d'heures que même un bon livre (en l'occurrence: A l'Ouest rien de nouveau) ne compenserait pas.

II. Emotions:
Le vide.

III. Conscience et devoir: 
Je suis le seul être humain sur Terre responsable de la sécurité de Luna. Si Luna a besoin de protection, c'est donc à moi de m'y coller. Or Luna a besoin de protection. Donc je dois faire le nécessaire pour la protéger.



Conclusion: Il s'agissait de s'assurer que Luna était fidèle à sa gamelle d'accueil, puis de regarder sans trop se poser de questions les horaires des trains pour la première correspondance en Italie, puis de mettre une bouteille d'eau et un livre dans un sac à dos, et enfin, à l'aube d'un beau jour d'août, la boîte de Luna à la main, monter dans un train.


Quelques kilomètres avant la frontière italienne, la vieille dame m'appela pour me dire (en italien) que Luna n'était pas venue depuis plus de 24h, et qu'il ne fallait pas que je vienne. Ma mère immédiatement consultée me fit remarquer que quitte à être dans le train pour Merano, opportunité qui ne se reproduirait plus, il valait mieux aller jusqu'au bout pour se libérer de tout risque de remords, et que chat ou pas chat, la question se règlerait là où nos chemins s'étaient séparés, pas dans le train.

Pendant que ma voiture prenait un repos bien mérité sur la terrasse d'une belle maison beaujolaise, j'enchaînais 8 trains pendant 14h d'une interminable journée.