dimanche 30 décembre 2012

Le fruit défendu

Le Pérou regorge de fruits plus inconnus les uns que les autres en Europe:
_ le lucuma à la chair sèche et moelleuse

_ le camu camu
_ le maïs noir, qui fait la fierté des péruviens et donne la chicha mora morada


_ le mini avocat (un peu amer?)



De tous ces fruits, je n'ai que de bonnes et belles choses à dire, ils sont délicieux et font découvrir aux papilles des univers nouveaux, leur permettant de voyager avec tout l'esprit et le corps.

Et puis il y a aussi les fruits qu'on connaît en Europe, mais qui sont très bons au Pérou:
_ le chrimoya à la douce saveur de poire

_ l'amour en cage

_ la mangue
_ la figue
_ la banane
_ la grenade
_ la papaye
_ le fruit de la passion ou maracuya

Bref, pour les amateurs de fruits, le Pérou offre un terrain passionnant.

Forte de cette certitude, un matin, je me rendis d'un pas assuré au marché, et comme d'habitude, je fis une pause au milieu de mes courses pour consommer une boisson à base de fruits ou de céréales. Les stands en proposant étaient légion, et j'avais toujours beaucoup de mal à choisir.
Je m'arrêtai finalement à celui qui proposait les boissons les plus sérieuses: pour les reins, le foie, la prostate, et tous les petits problèmes du quotidien, et lui demandai très sereinement un jus de noni.

Le vendeur n'en n'avait pas en stock, il partit immédiatement en chercher chez un voisin. Il revint quelques minutes plus tard avec un grand verre rempli à ras-bord d'un liquide épais et blanchâtre dans lequel je trempai les lèvres avec confiance.
Une tempête de toutes les saveurs les plus infectes envahit instantanément mon palais, et je jetai au vendeur un regard désemparé d'animal trahi. Goguenard, il me montra une carafe et m'annonça que quand j'aurai fini mon verre, il aurait de quoi me le re-remplir. En effet, une (excellente) coutume veut qu'au Pérou, lorsqu'on consomme une boisson dans la rue ou au marché, on vous resserve automatiquement un demi-verre ou un verre entier quand vous avez terminé le premier. En l’occurrence, cette nouvelle me désespéra.
Prenant mon courage à deux mains, je re-trempai les lèvres dans mon verre et avalai une gorgée. Imaginez un mélange de vomi, de moisi, de pourri, de vinaigre, de lait tourné, de chaussette longuement infusée, d'eau de flaque en ville, de liquide vaisselle, le tout légèrement fermenté, et donc piquant, et vous aurez une petite idée de la délicate saveur de ce fruit.
Après quelques tentative et le bel exploit de faire visiblement baisser le niveau d'un demi-doigt, je profitai que mon serveur ait le regard tourné, déposai mon verre et une pièce sur le comptoir et filai, penaude.
Le noni, mes enfants, c'est tellement infecte qu'il faudrait qu'on m'annonce que ça apporte la vie éternelle pour que j'accepte de reconsidérer la perspective d'en re-boire une gorgée! Et encore...

samedi 29 décembre 2012

Santé d'enfer!


Les passagers du bus sont à moitié somnolents. On a traversé pas mal de villages pratiquement en ruines, et des bataillons de vieilles femmes sont montées à chaque fois pour proposer des pommes de terre farcies, du porc frit, des gélatines, des bonbons, des fruits secs, et certains passagers ont acheté quelque chose à chaque vendeuse et sont maintenant abrutis par l'effort de la digestion. D'autres passagers, plus raisonnables, n'ont fait honneur qu'à une gourmandise ou deux, mais ils somnolent aussi, car le paysage autour à beau être majestueux par son aspect lunaire et désertique, il n'en n'est pas moins immensément lassant.
Au milieu de rien, le bus s'arrête.
A parte de vue, ni un chemin, ni une maison, ni un panneau de signalisation: que des collines de pierre et de sable, et quelques buissons secs qui défient les lois les plus élémentaires de la survie. Une vieille en costume traditionnel, chargée d'un gros ballot de fleurs accroché à son dos descend lentement. Pourquoi là? Où va-t-elle?
Un homme monte.
Il grimpe à l'étage où sont installés les passagers, se poste directement à l'avant du bus et souhaite à tout le monde une bonne journée.
Les vieilles et les enfants ouvrent une paupière, les mères de famille attendent encore un peu pour montrer de l'attention.
L'homme, proprement vêtu d'une chemise et d'un pantalon noir poursuit sans attendre de réponse. Il nous rappelle que Dieu vieille sur nous, et appelle l'amour et la protection de celui-ci sur chacun d'entre nous, espérant que nous avons en lui toute la foi et l'adoration qui conviennent. Il s'émerveille des beautés et des perfections du monde que le Très-Haut a mis entre nos mains. Mais il constate que bien souvent, nous oublions de prier, nous nous laissons entraîner dans le rythme inhumain et frénétique du quotidien, et ça n'est pas sans conséquences. Qui d'entre nous n'a jamais eu l'haleine chargée au réveil? Mal au ventre après le repas? Un douloureux ralentissement du transit intestinal? Des flatulences? Eh bien ne cherchez plus, tout cela, c'est le mauvais soin que nous prenons de nous-même, parfaites créatures de Dieu emportées dans le tourbillon de la vie!! Et ces petits désagréments pourraient bien devenir la raison de notre perte si nous ne faisons rien: cancer du colon, occlusion intestinale, gastroentérites nous guettent!
Mais Dieu dans sa grande miséricorde ne souhaite pas nous voir souffrir plusieurs jours sans aller à la selle! Dieu a mis sur notre chemin son humble serviteur ici présent qui a dans sa besace le remède qu'il nous faut.

Enfin, les mères de famille lèvent les sourcils. Moi, je bois les paroles de notre orateur depuis qu'il a commencé à parler.

En effet, il a collecté pour nous, au fil de ses voyages et de ses expériences ce que le monde faisait de meilleur pour soigner le système digestif dans son ensemble. Finis les dysfonctionnements! Finies les aigreurs et les humeurs lourdes! Avec cette infusion, nous retrouverons goût à la vie et temps pour la prière! Notre voix portera plus clairement jusqu'à Dieu, et nos amis nous envieront notre teint d'adolescent! Car oui, c'est toute notre vie qui va changer! Le sommeil, la peau, le système immunitaire, tout va croître et embellir! Et comme nous sommes de bonnes personnes et que nous avons de la chance de l'avoir rencontré, il nous fait une offre: les 3 sachets de thé pour non pas 15, non pas 10, mais 8 soles!! Oui mesdames et messieurs, 8 soles!
Il passe entre nous pour déposer à chacun un petit sachet, sans obligation d'achat bien sûr! Je regarde: c'est un sachet de thé vert sencha classique.
Plusieurs femmes en achètent.

Religion et remèdes miracle font très bon ménage au Pérou. Le ganoderma lucidum proposé ici (très cher) était sur une autre pancarte supposé guérir le sida, le cancer, le vieillissement, l'insomnie, la dépression, la tuberculose, et bien d'autres maux...


Après le sachet de thé, viendra l'onguent qui guérit tous les maux, même le cancer de la peau, puis la poudre qui guérit le sida, le cancer, la dépression, le psoriasis, la sclérose en plaques, les piqûres d'insectes, les conflits avec les voisins, l’acné, etc, et enfin la purge à prendre au moins une fois toutes les deux semaines.
Notre charlatan vendra toujours quelques produits à des personnes qui se sont senties comprises et ont reconnu des symptômes dont elles ou leurs proches souffrent, et dont elles espèrent ce faisant venir à bout.




Hé oui, lorsque l’État ne s'occupe pas de la santé de son peuple, n'importe qui peut faire n'importe quoi...


C'est grave, docteur?

En France, de plus en plus de médicaments ne sont plus remboursés par la sécu, beaucoup de soins sont mal remboursés. Mais tout le monde peut avoir une sécu, même ceux qui ne cotisent pas parce qu'ils sont dans une situation délicate.
Au Pérou, avoir une assurance santé est un luxe. Ne pas être couvert est la norme. Il existe bien un régime public de sécurité social, auquel ont droit les citoyens péruviens, mais auquel n'ont pas accès les étrangers. Ils ne perdent pas grand chose, à ce qu'on m'a dit. Les hôpitaux publics ont très peu de moyens, on y est mal pris en charge, mal soigné, et on peut en repartir plus malade qu'on y est arrivé.


 Les Péruviens eux-mêmes les fuient autant que leurs moyens le leur permettent.


 La médecine privée est donc très développée. Un élève m'a expliqué un jour qu'il ne connaissait, ni parmi ses proches, ni parmi ses connaissances plus lointaines, aucune personne qui soit vraiment en bonne santé. Tous cultivent au fil des ans des problèmes chroniques, qui vont en s'empirant tranquillement: les dents, les yeux, les os, des carences, des infections, des problèmes respiratoires, etc. 
Car oui, même ceux qui peuvent se permettre "d'acheter de la santé" pour des problèmes ponctuels ne peuvent pas se l'offrir pour les problèmes chroniques.

Néanmoins, il existe plusieurs alternatives au médecin, au Pérou:
_ Les chamans. Nous en ferons abstraction car je ne dispose à leur sujet d'aucune information.
_ Les pharmaciens. En deux ou trois question, votre pharmacien vous fera un diagnostic et une prescription adaptée à votre situation: vous avez des boutons sur le ventre? une pommade anti-fongique! Mal à la gorge? Prenez vite des antibiotiques! Des soucis gastriques? Antibiotiques! Mal au genou? De l'anesthésiant! Vous toussez? Un tranquillisant et des antibiotiques!
Au Pérou, en effet, les antibiotiques se vendent comme les bonbons: à la demande. Sauf que les antibiotiques c'est mieux que les bonbons parce que ça ne ruine pas les dents et ça ne fait pas grossir!!
_ Les charlatans: ils feront l'objet d'un prochain article.
_ Les vendeurs d'herbes au marché. Au marché, chaque type de produit a son quartier. Du côté des herbes, c'est joli et ça sent un mélange de toutes les essences de plantes représentées. Des montagnes de bottes de feuilles et de fleurs attendent le client qui vient demander conseil aux marchandes: "j'ai mal aux reins!" "j'ai la digestion un peu lourde!"(mange moins de riz avec tes pommes de terre et moins de viande frite et tu verras ça ira mieux!!!) "je ne respire pas bien" (bizarre, moi aussi, dans les rues fréquentées et aux heures de pointe, j'ai du mal à respirer...) "je n'arrive plus à bouger un bras!"... Aussitôt, la marchande s'active, infuse, écrase, mélange et explique la posologie: "trois infusions de ceci, et enduisez-vous le soir de cela."

En France, nous n'avons de fleurs au marché que chez les fleuristes, pour la décoration et les déclarations. Au Pérou, il n'y a de fleurs au marché que pour se soigner... 


Beaucoup de personnes âgées viennent tous les matins au marché boire un dépuratif pour le foie ou pour les reins.
Sur l'efficacité de leur intervention, j'ai quelques doutes et peu d'informations: on sait que les plantes ont de grands pouvoirs, mais on ne sait pas ce que ces marchands savent de ces pouvoirs, ni du corps humain, ni de ses problèmes...  De toutes façons, ils sont beaux à voir, tout à leur affaire, au milieu de leurs plantes, comme des barmans pharmaceutiques! Au moins, l'effet placebo est garanti!!

mardi 11 décembre 2012

Vieux souvenirs

Il y a quelques mois, je vous avais parlé des cantines d'Arequipa.
Celles qui entouraient l'université visaient bien sûr en priorité les étudiants. Mais elles attiraient aussi des employés des entreprises avoisinantes et des personnes âgées.
Lorsque j'entrais dans les cantines, j'étais souvent l'objet de regards mi-interrogateurs, mi-réprobateurs. La présence d'étrangers dans l'intimité gastronomique de la cantine surprenait tout le monde et semblait presque en déranger certains.
Une des personnes les plus impassibles à mon passage était un vieil homme très droit et digne. Il déjeunait seul, silencieusement, vêtu d'un beau costume sombre, il était raide, élégant, sec et fripé, noble, indifférent au monde extérieur. Il me faisait penser à un personnage de bande dessinée, ou de théâtre tant son apparence noble et discrète contrastait joliment avec la simplicité populaire du lieu. Bien souvent, je n'avais d'yeux que pour lui (et pour mon assiette)!
Mais les personnes âgées des cantines étaient des personnes pleines de surprises!
Un jour, une femme vint déposer à la table voisine de la nôtre une centenaire branlante et délirante, qu'elle laissa affalée sur une chaise. L'ancêtre était visiblement impatiente de manger, et tenta de nous communiquer, dans une langue difficilement compréhensible, son enthousiasme. Et puis, déçue de notre manque de réaction, elle se mit à taper franchement sur la table, sa fourchette dressée dans sa main, en criant, pour faire venir plus vite la serveuse.
Elle commanda avec une ferveur remarquable un "pastel de papas" (gâteau de pommes de terre: c'est comme le gratin dauphinois, mais en plus épais et sec), et lorsqu'il arriva, elle se jeta dessus, tendant la tête hors de ses épaules crochues, comme une vieille tortue qui sort de sa carapace pour engloutir une tomate.
Au bout de quelques bouchées, cependant, elle arrêta de manger et commença à récupérer la nourriture à pleine mains pour la glisser directement dans ses poches. Finalement, elle attrapa de gros morceaux de gâteau pour en bombarder les pigeons ravis sur le trottoir.
Entre "Monsieur élégance" et "Mémé Cracra", les personnes âgées valaient mille télévisions, d'où cet hommage tardif aux vieux condors du Pérou! Merci à vous!!!!!