jeudi 16 septembre 2010

Gagner l'aéroport

Chacun veut que se relance l'hélice
Chacun aime rêver de ça

Chacun veut que tous les mécanos réagissent

à la moindre alerte bleue



Hier, nous nous sommes levés au milieu de la nuit pour accompagner ma petite cousine et un ami à elle à l'aéroport d'où un avion devait les porter à Amsterdam, puis de Amsterdam à Portland, sur la côté ouest des Etats Unis.

4h15: C'est étrange de constater qu'on se lève bien plus facilement en pleine nuit: 4h, 5h, qu'aux heures académiques: 7h, 8h. C'est peut-être une simple question de routine. Se lever à 7h pour passer une journée très identique à la précédente donne envie d'échanger son existence avec celle de l'oreiller. Alors que si mon réveil juge bon de me tirer du sommeil à l'heure où il est le meilleur, c'est qu'il se passe quelque chose d'inhabituel dont mon oreiller ne goûterait sûrement pas la volupté (si malléable aux choses extérieure fût-il!) aussi bien que moi, ce qui annule le fantasme de l'oreiller cité plus haut.

4h30: Est-ce parce que l'organisme est excité par le bouleversement de son rythme, ou parce que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt? Toujours est-il qu'à 4h30, en mettant la table pour le petit déjeuner, on se surprend à composer un copieux menu, et on gargouille comme un tuyau de plomberie.
On a:
_l'estomac dans les talons
_ grave la dalle
_ les crocs

5h00: Bon pied, bon œil. Ayé, c'est fait: si on se recouchait, on ne dormirait pas. On s'est préparé pour l'aventure, on en veut pour sa déficience en sommeil!! Du sensationnel, du suspense, de l'émotion, ... On se sent au dessus de ces moutons confits dans leurs haleines fétides de sommeil lourd, ignorant ce monde sombre et silencieux qu'on se sent le cran de conquérir dans le quart d'heure. On se sent en communion avec Giono et son monde de l'aube. On n'est pas du tout gêné par la pluie qui tombe raide et continue. On prend les éléments de haut, on met le contact, on jète un coup d'œil dans le rétroviseur, et c'est parti!

5h20: Ok, bon, d'accord, la pluie, en fait, c'est pas juste un élément du décor. Entre l'obscurité et le centimètre d'eau sur la route, on ne voit plus du tout les lignes au sol, et on se demande avec des poils d'angoisse dans la gorge:
_ comment les nombreux poids lourds qui vous dépassent à tour de bras voient ces p*** de lignes?
_ si les poids lourds qui vous dépassent à tour de bras vous voient BIEN?
_ Pourquoi, ventrebleu, y'a-t-il autant de poids lourds sur l'A86, à 5h00 du matin???

On concède qu'on n'est pas tout à fait le roi de la route, ni le roi de l'aube, et qu'on pourrait tout juste prétendre au titre de roi des lanternes rouges, à 70km/h sur l'autoroute (Ah, ben non, ça non plus, puisqu'on vient d'être obligé de dépasser une camionnette qui roulait à 60km/h).

6h00: On a parfaitement bien garé la voiture, et l'ascenseur s'ouvre sur le hall des enregistrements de départ du terminal 2 de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle.

L'aéroport:

Le terminal 2, c'est celui des compagnies chic et chères. Ambiance clame, compétente, polie. Le personnel, souriant, semble s'être arraché de son lit uniquement pour nous aider à valider les billets électroniques sur les bornes à écran digital tout propre.
Chacun a dans la tête une mission, un programme, une idée, qu'il suit sans discuter. Il y a peu d'endroits où l'on se sente aussi seul que dans les lieux de transports, où chacun semble accroché à un fil comme une perle à un collier, indépendant des autres perles des autres colliers. Et pourtant, il règne à l'aéroport une communauté, au delà des individus: celle de tous les aéroports. Quand on est dans l'un, on pense aux autres, ceux qu'on connaît ou ceux qu'on imagine, avec leurs grandes baies vitrées qui sont votre premier aperçu de la terre nouvelle sur laquelle vous avez été déposé, et déjà, on voyage, qu'on ait ou non un billet.
Dans le hall des départs, j'ai la gorge nouée à la vue de toutes ces valises soigneusement préparées, de tous ces vêtements choisis pour leur confort, de tous ces visages concentrés sur un objectif: tenir, tenir, tenir. Tous ces sommeils bouleversés, ces repas avalés sur le pouce, ces passages aux toilettes, ces regards fatigués, indépendants et complices.
A l'aéroport, les voyageurs sont là pour ouvrir une parenthèse:
Aéroport de Roissy Charles de Gaulle, France - ouvrez la parenthèse: quelques heures essentiellement consacrées à soigner ses besoins les plus élémentaires: respirer, trouver une position confortable, manger, dormir, pisser, boire, ... et laisser tous les besoins plus sophistiqués en suspension. Fermez la parenthèse - Buenos Aires, Le Caire, Berlin, Montréal, Dubaï, New York, ...

Il y a la zone des guichets d'enregistrement. Elle fait un peu rêver parce que c'est là que la valise part, et qu'on est désormais plus ou moins contraint de la suivre. Mais c'est une zone mixte, qui mêle partants et non partants. Les voyageurs ne sont pas encore entre eux, et c'est gênant, tous ces gens avec des trémolos plein la gorge et qui ne partent pas.
Et puis il y a la zone des portiques. Elle ne fait pas exactement rêver, mais elle est indispensable. Humiliation collective, tous égaux face au détecteur de métaux.
Enfin, celle qui fait rêver les non-partants, la zone derrière les portiques, l'au-delà... Plus que des voyageurs. Finis les adieux, finis les doutes, finis les regrets. A la grandeur du toit, on devine que cette zone est large. C'est bien sûr la zone de tous les possibles, linoléum flottant, plus tout à fait là, pas encore partis. Ambiance select, effervescence tranquille, hiérarchie entre les blasés qui sont là comme par concession, et les novices qui frémissent en long en large et en travers. Les voyageurs sont entre eux, ils peuvent enfin n'avoir plus du tout la tête sur les épaules, ni les yeux en face des trous. Certes, ils souhaitent arriver, parce que le voyage, c'est inconfortable, vivement le repos, l'espace, la destination, ah que ne donnerait-ils pour ne plus se sentir la moitié d'eux même, réduite à survivre, sans famille ni amis, ni télé, ni ciné, ni restau, en microcosme allégé, empêtrés dans la mare du provisoire.
Mais cet ermitage de luxe, si nocif soit-il, est aussi excitant que l'appétit avant le repas, ou le désir avant...

Enfin voilà, les aéroports, c'est plus fort que moi, ça me donne faim!

1 commentaire:

  1. Très bien exprimé !
    Tout est vrai et tu as mis des mots sur des choses que je ressentais sans y avoir jamais vraiment pensé, comme le fait qu'il est plus facile de se lever en plein milieu de la nuit, qu'on s'offre alors un super petit-déjeuner, et les sensations à l'aéroport.
    Très bon article vraiment :)

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