samedi 26 décembre 2009

Ce qui me manque le plus en République Tchèque

Pas les croissants ni le fromage: les tchèques produisent ce qu'il faut pour ne pas trop y penser.
Pas le chocolat ni les yaourts: le chocolat on en trouve quand même, et les yaourts, j'en fais.
Pas le métro ni France Inter: le métro ne me manque jamais, et France Inter je l'ai sur internet.
Pas les amis ni la famille: je leur parle et leur écris sur internet aussi souvent que possible, et sais qu'ils pensent à moi presque autant que je pense à eux. Ils me manquent cependant beaucoup, mais pas autant que...










La mer... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...

Qu'est ce qu'elle me manque, la mer! La mer au bout du tramway, que n'y allais-je plus souvent encore lorsque je l'avais? Malgré les grandes marées et le réchauffement climatique, jamais la mer ne viendra jusqu'à moi en République Tchèque...

Vous savez ce que dit le poète:
"Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage
Et la mer est amère et l'amour est amer
L'on s'abîme en la mer aussi bien qu'en l'amour,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orages"









vendredi 18 décembre 2009

Ce soir, en concert Tremblement de Terre présente son dernier album: "Envie de suicide"!!!

Quand ça n'est ni mélodique, ni rythmique, on dit que c'est conceptuel.
Quand on ne peut pas vraiment dire que ce soit un cerveau, on dit que c'est une excroissance de chair, ou une troisième couille, qui met son propriétaire à l'abri des épidémies de méningite et des maladies neuro-dégénératives.
Et quand un groupe de musique "conceptuelle" rencontre un groupe de mecs naturellement vaccinés contre Alzeihmer, ça donne un pogo de trois personnes au milieu d'un public de quinze, perdues dans un océans de décibels déchaînés.

jeudi 17 décembre 2009

La cantine: mode d'emploi


La République Tchèque est un pays compliqué. Le meilleur exemple qui me vienne à l'esprit pour vous expliquer comment c'est compliqué, c'est la cantine.
La cantine, c'est très compliqué. Déjà, pour ne pas y aller, c'est pas simple: pendant plusieurs semaines, tout le monde vous fait remarquer qu'on y mange très bien, mieux que dans un certain nombre de restaurants de la ville, et pour beaucoup moins cher, que c'est aussi un lieu de socialisation qui permet d'établir ou de consolider les liens entre les générations, que c'est de la cuisine traditionnelle tchèque, mais avec des opportunités de plats végétariens, que ce serait manquer de curiosité intellectuelle que de la bouder, etc... de guerre lasse, et aussi un peu pour en avoir le cœur net, vous acceptez donc d'essayer la cantine. Vous vous dîtes: "allons, juste une fois, ça ne mange pas de pain!". Et vous n'avez pas tort: il n'y a presque jamais de pain à la cantine. En revanche, c'est là que les ennuis commencent.
Lorsque vous avez dit "oui" pour la cantine, tout un engrenage se met en marche au dessus de vous, et dont vous n'êtes qu'à demi consciente.
Les professeurs de français se mettent aussitôt à la recherche d'une personne du lycée qui ait une carte de cantine mais ne l'utilise pas. Lorsqu'ils ont cette personne, et que celle-ci accepte de prêter sa carte et son nom à une étrangère pour l'année scolaire, il faut aller sur internet pour choisir les jours et les menus, et réactiver la carte et ses crédits.
Parce qu'on ne se pointe pas la bouche en cœur à la cantine! Pantoute pantoute, mes lapereaux! Il faut aller au bureau de la cantine pour payer ses repas à l'avance une fois par mois. C'est ma responsable qui s'en charge pour moi, et je n'ai pas encore compris comment fonctionne cette opération, car le prix est chaque fois différent, même si j'ai crû comprendre que le nombre de repas que l'on choisit n'est pas important. Ah...
Donc, une fois qu'on a payé ses repas et chargé sa carte, on a deux options: soit on va sur internet pour choisir ses menus de la semaine, mais là, il faut un code spécial, et pour avoir le code, il faut que la titulaire de la carte en personne vienne faire une demande officielle à la suite de quoi le code lui sera envoyé dans les plus brefs délais (à condition qu'elle ait pu venir aux heures ouvrables un jour ouvert), soit on profite d'être dans la cantine pour mettre sa carte dans une machine qui affiche les menus et enregistre les choix de chacun.
En parlant de choix: vous avez trois menus différents chaque jours, composés selon une logique que je n'ai toujours pas comprise. Chaque repas comporte généralement: un plat principal accompagné d'un fruit ou d'une salade ou d'un morceau de pain, d'une soupe, et d'un verre de thé. Il n'y a pas d'eau froide simple, pas de pain, pas de poivre, pas d'huile, et si vous voulez du sel, il faut aller le demander. Si vous voulez une assiette steak lentilles ET une pomme alors qu'on vous propose une banane et que la pomme accompagne l'assiette de galettes de pomme de terre, ben c'est tant pis pour vous. On ne mélange pas les menus, on ne choisit pas ses menus la veille pour le lendemain, et il est parfaitement impossible de changer de menu au dernier moment. Et on ne rigole pas avec tout ça!
Il y a généralement un repas sur les trois qui ne comporte pas de viande, et qui est donc celui que je choisis, avec l'aide d'autres professeurs, pour des raisons de persistante faiblesse lexicale.
Si vous êtes déclaré absent, votre repas est généralement automatiquement annulé. Donc si la dame qui me prête sa carte est absente, c'est tant pis pour moi.
Le réfectoire se situe à un quart d'heure à pieds du lycée, et tous les élèves et professeurs de la ville s'y retrouvent entre 11h et 15h. On voit de tout: des enfants qui ont à peine l'âge de porter un plateau, des vieux qui n'ont plus tout à fait l'âge de porter un plateau, des familles entières, des enfants handicapés, des élèves que vous avez eu le matin même, le proviseur du lycée, bref, toute la ville vient manger là.
Lorsqu'on arrive, on met sa carte dans une machine. Elle vous donne le numéro de votre menu, et ils faut attendre que ce numéro s'affiche sur un cadran pour savoir en haut du quel des deux escaliers est servi notre numéro de menu. On prend ensuite un plateau, un verre, une serviette, des couverts, et on installe son plateau sur les rails du self. Il y a deux étalages par rail, et chaque étalage porte un numéro. Lorsque vous arrivez devant votre numéro, vous remettez votre carte, pour prouver à la grosse dame sérieuse que vous avez le droit de vous saisir de la salade de choux à la sauce eau-sucre. Dans mon cas, on essaie aussi de faire tout le plus parfaitement possible pour ne pas avoir à parler à la dame, pour qu'elle ne voit pas que je ne comprends pas, pour qu'elle ne me demande pas où et comment j'ai eu la carte de cantine.
Au début, dans son enthousiasme, ma responsable m'avait inscrite pour tous les repas de la semaine, et j'ai dû faire preuve de beaucoup de diplomatie pour n'en n'avoir que deux. J'ai ainsi découvert une spécialité dont les tchèques se vantent assez peu: les plats sucrés.
Exemple: soupe, quatre pâtisseries, orange. Soupe, bouillie de céréales au lait sucré avec des copeaux de chocolat et du beurre fondu, banane. Soupe, gâteau pommes-noix-cannelle, salade de choux. Il faut admettre quelque chose: la cuisine n'est effectivement pas mauvaise, et le chef fait visiblement de gros efforts de diversité. Ce ne sont jamais les quatre même pâtisseries d'une semaine à l'autre, ni les mêmes combinaisons de plats. Mais comme le repas n'est pas un facteur de lien social et que le principal est de combler la faim, personne ne semble accorder beaucoup d'importance aux efforts du chef.
En ce qui concerne la sociabilité, c'est pas tout à fait aussi épanouissant qu'on me l'avait assuré. Bien entendu, les élèves ne viennent pas s'assoir à côté de vous pour vous taper la discut en français. Quant aux profs qui ne vous parlent pas au lycée parce qu'ils ne parlent pas français et ont honte de parler anglais, ils ne changent pas d'avis devant une bonne soupe bien chaude, et choisissent soigneusement la table la plus éloignée, ce qui n'est pas difficile, puisque le réfectoire est gigantesque.
Vous voyez, la cantine, c'est la porte ouverte à l'aventure.

mercredi 16 décembre 2009

Stastni Vanoce, deti! (Chtiastni vanotce diéti!)

Vous vous donneriez (peut-être) un bras pour savoir ce que je fais le week end à Hradec Kralove?
Eh bien quand je n'attends pas le train à 3h du matin dans une boîte lugubre entre Bob l'Eponge et Dom Juan, les pieds collés au sol par des litres de bière séchés (dans le meilleur des cas), je cuisine dans des maisons équipées d'un four (c'est à dire pas la mienne).
C'est ainsi que samedi dernier, j'ai passé le week end dans une famille tchèque. Nous avons cuisiné des pâtisseries de Noël, nous avons guetté Saint-Nicolas et le Père Fouettard, nous avons appris des mots, nous avons vu un film tchèque, et nous sommes allés à la messe.
Parce que Noël en République Tchèque, mes chers petits consommateurs stressés qui regardez avec angoisse vos calendrier de l'Avent approcher dramatiquement vite de l'utlimatum sans que votre hotte à cadeaux ne prennent un gramme, Noël en République Tchèque, donc, c'est du sérieux!
Un mois avant Noël, les maîtresses de maison se rendent dans les grandes surfaces et remplissent de farine, beurre, sucre, noix, chocolat, miel, ... leurs chariots comme si elles s'apprêtaient à tenir un siège.
Puis, tous les week ends jusqu'au 25 décembre, elles mesurent, mélangent, malaxent, enfournent, défournent, tartinent, coupent, lavent, stockent des kilos de pâtisseries. Aucune maîtresse de maison tchèque ne survivrait à la honte de n'avoir pas à offrir à ses invités de pleines et variées corbeilles de sucreries.
Samedi dernier, nous avons métamorphosé en biscuits 1,5kg de beurre, 2kg de farine, 600g de noix moulues, 600g de sucre, quelques sachets de sucre vanillé, soit 4,7 kg de nourriture, et je ne vous parle pas des litres d'huile de coude ni de la facture d'électricité.
C'était donc une juste récompense que de se planter le soir venu devant un film. Tchèque bien entendu, et non sous-titré, je ne vois pas l'intérêt de poser la question. Nous avons vu un film dont le titre, traduit en français, a quelque chose d'inquiétant: "L'ange du Seigneur".
Les tchèque ont gagné il y a quelques années la palme du pays le plus athée d'Europe. Sachant que l'Europe est probablement le continent le plus athée du monde, à l'exception peut-être de l'Antarctique, on pourrait en déduire un peu promptement et sans aucune rigueur scientifique que la République Tchèque pourrait être le pays le plus athée du monde. Alors que vient faire "L'ange du Seigneur" dans leur filmographie?
On ouvre les yeux, j'explique:
_ Tout d'abord, les tchèques sont peut-être très athées, mais ils sont romantiques et aiment ce qui est féérique, plus encore à l'approche de Noël. En hiver, il fait nuit à 16h. Ca laisse beaucoup d'heures d'obscurité et de veille pour se faire des films les mains posées sur une tasse de thé brûlant. Il existe une vraie tradition des contes de Noël en version film, ici. C'est un exercice de style obligatoire: les plus grands acteurs et les plus grands réalisateurs doivent un jour ou l'autre s'y plier. On compte en général un nouveau conte de Noël-film par an, attendu par grands et petits à la télévision pendant la soirée du 24 décembre. C'est l'incontournable évènement culturel de l'Avent. On avait prévu de voir Cendrillon (Popelka), mais sur le Dvd, il y avait l'image... sans le son. Moi ça ne me gênait pas beaucoup vu mon pauvre niveau de compréhension du tchèque, mais ça ne faisait pas très sérieux.
_ Ils ont déjà Cendrillon, ils ont déjà tous les contes tchèques, il faut maintenant en inventer, fabriquer de la mythologie qui fasse rêver sans faire pleurer, qui émeuvent sans faire penser, qui fasse réfléchir sans faire chauffer les neurones... et comme rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme, quoi de plus pratique que de faire du neuf avec du vieux? Quitte à être athée, autant utiliser la matière religieuse sans complexe. D'ailleurs, ici, le Père Noël, on n'en n'a rien à foutre. C'est le Petit Jésus (Jesichech) qui apporte les cadeaux aux gentils enfants (qu'il serve au moins à quelque chose, celui-là, bon Dieu!)
"L'ange du Seigneur" raconte donc l'histoire d'un ange qui s'ennuie au paradis, qui embête tout le monde parce qu'il n'est doué pour rien, et qui est persuadé que la vie est bien plus facile sur Terre. Dieu, dans sa très grande sagesse, l'envoie donc acquérir une connaissance empirique de la vie terrestre, avec comme mission d'accomplir un miracle de Noël: en 24h, l'ange doit rendre bon un homme mauvais.
Et voilà notre ange tout sûr de lui balancé dans un château plein de mauvaises gens: un jeune et beau comte qui boit comme un trou, un intendant lubrique, une comptable voleuse, un bûcheron chapardeur, et seule au milieu de tous, amoureuse éperdue du comte, douce et belle, une jeune servante orpheline, qui tente de faire le bien sans s'en prendre trop plein la gueule.
Le diable, qui est bon diable, accompagne l'ange dans ses mésaventures, et fait preuve de bien plus de finesse et de bonté que lui. Le film termine par une formidable scène d'action au cours de laquelle l'intendant force la belle servante à l'épouser, mais comme c'est le diable qui célèbre l'union, déguisé en prêtre, le mariage doit être annulé, et l'épousée, enlevée par le comte métamorphosé en clochard par une maladresse de l'ange, s'enfuit avec tambours, trompettes, le diable et l'ange dans une carriole que le hasard avait eu l'heur de placer là, pour aller dans l'église voisine se marier, cette fois pour de bon. Et comme la jouvencelle refuse d'épouser un clodo (elle est dévouée aux bonnes causes, à condition de ne pas pousser mémé dans les orties), l'ange vend son âme au diable pour redonner au comte sa belle et fraîche (et riche) apparence. Dans une apothéose digne des miracles du Moyen Age, l'ange monte alors au ciel au lieu de l'enfer, et Dieu lui fait remarquer que contre toute attente, il a assagi un homme mauvais... mais qui? mais qui? mais qui?
Vous l'aurez deviné, incorrigibles fanatiques de fictions cousues de fil blanc: c'est lui-même que notre ange a rendu humble et pieux!
C'est donc avec une belle leçon de vie et du grain à moudre que je m'allai coucher ce soir là.
Le lendemain, nous étions déjà en odeur de sainteté pour aller à la messe. Personnellement, j'étais surtout à la masse, ce qui m'a permis de découvrir une chose intéressante: il est bien plus agréable de suivre une messe dans une langue parfaitement (ou presque) étrangère, car vous n'avez aucune tentation d'écouter ce qui se dit, et rien ne vient distraire le fil de vos pensées. Pendant que l'assemblée s'élevait vers Dieu, j'ai plongé avec délectation dans une abîme de réflexions.
C'est Saint-Nicolas et le Père Fouettard qui m'en ont tiré en apparaissant à la fin de l'office, suivis de deux anges portant une corbeille remplie de paquets cadeaux. Les enfants se sont précipités vers eux, et chacun a reçu un cadeau à son nom, accompagné d'un commentaire plus ou moins élogieux sur sa conduite de l'année, et de quelques conseils pour l'année à venir.
Il ne manquait que la neige et le froid pour que Noël ait des airs complètement traditionnel, mais là...

jeudi 10 décembre 2009

Sortie de secours


Genre: narration en prose
Personnage principal: moi (focalisation: interne, mais alors grave!!!)
Personnages secondaires: famille, amis, professeurs
Époque: début du XXIème siècle
Lieu: France, région parisienne
Trame: études et début de la vie adulte

Genre: narration en prose
Personnage principal: moi (focalisation: interne, mais alors grave!!!)
Personnages secondaires: colocs, amis, élèves
Époque: début du XXIème siècle
Lieu: Espagne, région de Murcia
Trame: recherche de travail et décompression

Genre: narration en prose
Personnage principal: moi (focalisation: interne, mais alors grave!!!)
Personnages secondaires: futurs amis, élèves, collègues
Époque: début du XXIème siècle
Lieu: République Tchèque
Trame: débuts professionnels, apprentissage d'une nouvelle langue, affirmation de l'âge adulte

Genre: narration en prose
Personnages principaux: Agakuk et Iriook (focalisation: omnisciente)
Personnages secondaires: Ramook, Ghorok, le reste de la tribu, Henderson, Scott
Epoque: années 1940-50
Lieu: Toundra au Nord Ouest du Labrador
Trame: l'affranchissement d'Agaguk et d'Iriook par rapport aux coutumes et traditions primitives et tyranniques de leur tribu Inuk.




Genre: Théâtre en vers
Personnages principaux: Cyrano de Bergerac, Christian, Roxane (focalisation: dans l'oeil du spectateur)
Personnages secondaires: Comte de Guiche, Le Bret, Ragueneau, ...
Epoque: Un XVIIème siècle anachronique
Lieu: Paris et un peu de province
Trame: L'amour trop timide mais bavard de Cyrano pour sa cousine Roxane, et l'amour téméraire mais maladroit de Christian pour la même Roxane

Genre: Narration poétique
Personnages principaux: un moi qui est un autre, le Petit Prince (focalisation: doucement interne)
Personnages secondaires: La rose, le renard, les habitants des planètes, le serpent, ...
Epoque: un XXème siècle intemporel
Lieu: Un désert universel
Trame: Faire redémarrer un avion avec les moyens du bord, dessiner un mouton, remonter sur sa planète, mais avant, rencontrer des gens et comprendre ce qu'ils font là

On voyage, et secrètement, on espère chaque fois qu'on va changer d'histoire, mais rien à faire, quand c'est moi qui voyage, c'est moi que je retrouve toujours, fusse à l'autre bout de la planète. D'aucuns disent que même si je cours très vite, ce sera toujours moi que je trouverai au bout du couloir. Même si je recule longtemps les yeux fermés, on sera toujours en 2009, peut-être en 2010, mais pas en 1492. Même si je saute très haut, on sera toujours sur Terre. Le voyage permet juste les sensations d'une autre histoire: d'autres goûts, d'autres climats, d'autres bruits, d'autres gens qui nous ressemblent comme des frères ou nous sont désespérément opaques et inaccessibles. Mais la trame est la même, le personnage principal est le même, l'époque est la même, les problèmes sont les mêmes, les raisonnements sont les mêmes, et si on avait espéré un autre roman, on comprend avec amertume qu'on a payé des fortunes pour changer de chapitre ou tourner une page.
Quand on ouvre un livre, on reçoit en plein dans les yeux tous les éléments d'une autre vie: d'autres personnages, d'autres préoccupations, d'autres lieux, d'autres idées... Il ne manque que les sensations effectives.
Alors pourquoi garder d'un côté la théorie, et de l'autre la pratique? d'un côté les sens, et de l'autre les rêves? d'un côté les pieds et de l'autre la tête? d'un côté la salade et de l'autre la sauce?
Croyez-moi: en voyage, le livre au fond du sac, ce n'est pas une option luxueuse, c'est le beurre dans le croissant, le sel dans la paella, le sucre dans la crêpe, la cannelle dans la compote.

mercredi 9 décembre 2009

Le mâle du pays


"_ ¿El book es tuyo?

_ Si, soy yo en las fotos...

_ ¡Qué guay! ¿Asi que tú, eres modelo?

_ Pues si.

_ Y hablas muy bien español. ¿Dónde aprendiste?

_ Trabajé en España un par de veranos, en Malaga, en un chiringuito. Me gustaba mucho, porque ahi la gente me pregunta ¿y tú, chico, de dónde eres? Y yo contesto de Republica Tchequa y me dicen que hablo bien... porqué te digo una cosa, lo que a mi me gusta en la vida, es viajar, conocer a la gente... Quiero conocer a mucha gente, porque sabes, solo tenemos una vida, tenemos que aprovechar. No quiero quedarme en el mismo lugar mucho tiempo, porque ya sabes, la vida es corta, y yo quiero aprovechar cada momento... Por eso hago lo de modelo: es una super oportunidad para viajar, a todos los paises, encontrar a la gente...

_ Ah... ¿lo que a ti te gusta, es la libertad?

_ ¡Si, si, si!! ¡Exactamente! La libertad, porque ya sabes como la vida es breve y solo tenemos una, asi que yo no quiero perder el tiempo, quiero aprovechar. Y sabes, con el trabajo de modelo, ya me encontré con tanta gente interesante. A veces son gente malas, pero muchas veces, son personas interesantes, y compartimos mucho. La chica que está en la foto conmigo, ... esta, ¿ves?, pues, es muy simpatica, y quiere compartir mucho, sabes. Me gustó mucho trabajar con ella, porque a veces, no es así, y la gente te habla mal. Pero yo no hago de modelo para ser famoso. Yo soy libre sabes. Soy modelo soló porque quiero viajar y conocer a la gente. Pero cuando estas conocido, la gente te pide cuentas, y no estas libre. No quiero. Seriá malo para la libertad que a mi más me gusta. A mi me parece que la libertad es más importante que ser conocido. Por eso, a mi si me proponen ser conocido, diré que no, porque no quiero, no importa. Si me lo proponen, me quedo libre.

_ Ah... ¿Y eres modelo desde mucho tiempo?

_ Dos meses."

Por lo menos, tuvo la honestidad de no negarlo.

lundi 30 novembre 2009

Etrange

Plus je connais l'histoire des autres pays (et Dieu seul sait comme il m'en reste beaucoup à apprendre), plus je mesure comme l'histoire de mon pays me définit.

dimanche 29 novembre 2009

Haut en couleurs


Le pain au chocolat tiède et croustillant de 8h le dimanche matin suit généralement une nuit blanche passée dans le noir/blanc/noir/blanc/noir/blanc/etc plus brièvement nommé "stroboscope" par un homme qui avait un rhume (car vous remarquerez que "stroboscope" ne se déforme pas avec le nez bouché. En fait, son père aurait voulu l'appeler "stromoscone", mais un foyer de bactéries dans ses fosses nasales en a décidé autrement, et la face du monde a pris le cours que l'on sait).
Le pain au chocolat tiède et croustillant de 8h le dimanche matin célèbre généralement la satisfaction non dissimulée d'être sortie en un seul morceau de la cour des miracles où vous avez eu l'occasion rare d'admirer successivement (et de quatre ou cinq heures plus longuement que vous ne l'eûtes souhaité) La Belle au Bois Dormant endormie entre les enceintes et un paquet de mecs bourrés et désœuvrés, Bob l'éponge (dans tous les sens du terme), Blanche Neige ménopausée et tournant autour du VRAI Prince Charmant de Shrek, qui ne lui adresse pas l'ombre de l'esquisse de l'espoir de la promesse d'un regard, mais vient vous raconter pendant trois heures qu'il ne veut pas être célèbre, parce que lui, ce qui le branche dans la vie, c'est la liberté et que seule une légèreté épicurienne répondra avec assez d'intensité à la hauteur de ses angoisses hédonistes. Nan, je déconne. Et puis le mime Marceau, une poignée de néo-nazis qui dansent comme des tarlouzes, quelques statues de sel qui boivent comme des trous dans le vain espoir d'incendier le dance-floor, ...
Le pain au chocolat tiède et croustillant de 8h le dimanche matin vient juste pondre sa petite cerise sur le gâteau frais, champêtre, joyeux et primesautier qui a illuminé votre nuit à 40km et trois correspondances de train de votre domicile.
Le pain au chocolat tiède et croustillant de 8h le dimanche matin couronne votre connaissance nouvellement acquise de la beauté enivrante et sauvage qui anime la vie nocturne des campagnes tchèques, et vient vous chuchoter suavement à l'oreille: "Alors, on remet ça la semaine prochaine?" C'est pour ça que vous n'en faites qu'une bouchée: pour qu'il arrête de dire des conneries.

jeudi 19 novembre 2009

Hey, teachers!


Les profs font de très bons partis, dans la mesure où ils pensent toute chose de façon pédagogique, et la pédagogie, c'est la recherche permanente de la communication la plus précise possible malgré les obstacles de l'ignorance, de la non-motivation, du manque de confiance en soi et de la mauvaise foi. Or, qu'est ce qu'une relation sinon une recherche permanente de la communication la plus précise et intense possible, malgré les obstacles de l'ignorance, de la non-motivation, du manque de confiance en soi et de la mauvaise foi?


(Alain Finkelkraut: "Intellectuel oui, mais pas trop!" 1678 Ed. Plouf, la vie parfois)

mardi 17 novembre 2009

Auprès de mon arbre

Ils sont à l'image de ce que nous ne sommes pas: immobiles, calmes, solides, silencieux, enracinés dans la vie mais prêts à mourir sereinement.

Ils illustrent depuis toujours le concept efficace de la "slow life", et je sais tellement bien que jamais je ne pourrai leur ressembler que leur présence m'est indispensable à chaque coin de rue.

Ils incarnent l'esprit d'une ville, d'ailleurs ils attachent les villes à la terre bien plus solidement que les immeubles avec leurs caves et leur canalisations, et leurs racines sont les veines qui assurent la permanence de l'échange entre la terre et les piétons.
Coupez-les et ils ne restera rien, la terre partira, l'eau partira, l'air partira, les oiseaux partiront,les piétons partiront, les couleurs partiront.

voici quelques maladroits portraits de quelques arbres que j'ai croisés sur ma route:





Arbres en danger













Arbres en automne
























































Arbres au printemps










Arbres en hiver





























Vieux arbres
































Arbres au soleil













jeudi 12 novembre 2009

Et sinon, tu t'appelles quel âge?


La troisième feuille, qui heureusement prend son temps pour venir, n'est pas la plus enthousiasmante.
Sans nous laisser déconcerter par les difficultés, nous allons néanmoins l'attaquer avec la même bravoure et le même appétit que les précédentes. Ouais, c'est vrai ça! dans un millefeuilles, on prend toutes les feuilles!!
Imaginez un peu:
"_ Et pour Mademoiselle, ce sera?
_ Un millefeuille, mais vous serez gentil de m'enlever la quarante troisième, la deux cent trente-sixième et la trois cent soixante-treizième feuilles, s'il vous plaît. "

Non non non, un millefeuilles, c'est comme un mariage: on le prend pour le meilleur et pour le pire ou on ne le prend pas du tout.

La troisième phase, elle, commence le jour où vous regardez une carte de la région et où vous vous dites: "Je sais pas quoi faire ce week end, Brno ça fait loin, et Zvitavi, c'est pas passionnant sans le château... Ouais, ben je vais rester faire le ménage, moi!"
D'un certain point de vue, vous n'avez pas tort, c'est important de faire le ménage chez soi. Mais ce que vous ne réalisez pas forcément, c'est qu'avec cette décision finit l'enfance de votre voyage. Pas la peine de soupirer ou de faire des yeux de Saint Bernard bourré, ça ne fera pas revenir votre innocence aventurière des premières semaines. Vous êtes blasé.
Au supermarché, vous allez directement aux produits qui sont sur la liste. A la rigueur, vous faites un détour par le rayon des tablettes de chocolat, mais les gros cornichons, c'est fini, ils peuvent aller se rhabiller, vous ne leur accordez même plus un regard en passant.
Dans la rue, vous jetez un coup d'œil aigri à tous les possibles qui vous excitaient tant il y a quelques mois. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de l'intime conviction que la plupart d'entre eux se sont foutus de votre gueule et n'avaient brillé que pour vous faire croire au Père Noël avec des idées fantasques du style: "ça doit être absolument passionnant de manger des pommes de terre et du fromage attablé au comptoir de ce bar sinistre!!" "je suis certaine que je sortirai grandie d'une dégustation de ce gros gâteau crémeux exposé depuis quelques semaines dans la vitrine de cette boulangerie", alors qu'après plusieurs tentatives, il est devenu évident que vous sortez grossie, mais pas grandie.
Comme un enfant déçu d'apprendre qu'il a été scientifiquement prouvé que l'existence du Père Noël est impossible, et qui rumine une certaine amertume à l'égard des adultes, vous avez ne portez plus qu'un regard rancunier sur les rues, les parcs, les commerces...
Mais contrairement à l'enfant, vous avez suffisamment d'expérience pour savoir que ce ne sont pas les rues, les commerces et les gens qui vous ont trompée, mais vous-même qui vous étiez démesurément monté le bourrichon. Est-ce que ça vous soulage?
Et avec les autres? Ben finie la politique d'ouverture des frontières. La mission "tri" est en plein coup de feu. Entre ceux qui considèrent qu'ils ont fait leur BA exotique de l'année avec vous et ne veulent plus vous revoir, et ceux que vous ne voulez plus revoir parce que vous vous sentez suffisamment implanté pour ne plus avoir à les souffrir, le paysage s'éclaircit et commence à ressembler un peu plus à votre paysage social d'origine.
Mais malgré tous vos efforts, malgré votre perte d'enthousiasme, malgré votre connaissance croissante des lieux, vos racines, après une fulgurantes première poussée, stagnent et ça vous irrite. Dans cette phase, vous êtes impatient. Vous voulez avoir déjà des habitudes, vous voulez que votre nid soit déjà complètement imbibé de votre odeur, vous voulez que les mots vous viennent déjà naturellement, vous voulez que les gens soient déjà vos amis. Et rien de tout ça ne se réalise encore. Vous grognez intérieurement lorsque quelqu'un vous dit qu'il fait déjà quelque chose ce soir, parce qu'au fond, vous le trouvez égoïste de ne pas se souvenir que lorsqu'il vous dit "non", il vous renvoie à votre solitude. Vous vous sentez brimé à l'idée que vous avez bien plus besoin des autres qu'ils n'ont besoin de vous.
Im-pa-tience. Vous êtes impatient. Vous êtes pressé, vous voulez être déjà arrivé.

Après deux mois de légèreté, de liberté, de jouer à l'oiseau de passage, vous vous approchez dangereusement du sol, et l'appel de la basse-cour se fait plus pressant et séduisant.

Vous êtes en plein dans la phase de négation. C'est Hegelien. Pour progresser, il faut nier l'étape précédente (c'est bien Hegel, le rigolo qui racontait ça?).
Niez, niez, niez sans honte et sans tristesse, niez à pleines dents, niez sans remords, car plus vous nierez fort, plus vite viendra la phase suivante.

samedi 7 novembre 2009

Samedi, c'est soupe aux orties



Non non, c'est pas une blague.

Pour 1 à 3 personnes:
_ Un bon gros bouquet d'orties fraîches et tendres
(_ Une paire de gants de jardinage, mais c'est pas pour les manger)
_ 1 oignon
_ 1 pomme
_ 1 pomme de terre (ou 1/4 de sachet de purée en flocons)
_ 1 c. à soupe de fromage à tartiner
_ 1 verre de lait
_ 1 c. à soupe de moutarde
_ sel, poivre

Comme vous êtes élégants dans votre tenue de scaphandrier!! Ce sera parfait pour aller arracher sauvagement les orties dans le fond du jardin.
Avec votre panier d'orties fraîche, rentrez chez vous, enlevez votre scaphandre, mais gardez vos gants (on se rend compte que Dark Vador part avec un avantage évident pour faire la soupe aux orties), et triez les orties: détachez les feuilles belles et tendres, et jetez les tiges et les feuilles sèches et moches.
Mettez de l'eau à bouillir. Pendant que l'eau chauffe rincez les orties, prenez la pomme, l'oignon et la pomme de terre, et faites leur un sort. Faite revenir les morceaux dans une poêle posée sur un feu vif, avec un peu d'huile.
Quand l'eau bout c'est qu'il est temps pour les orties de prendre un bain. Laissez-les dans la casserole couverte 3 minutes à feu violent. On appelle ça faire "blanchir" les orties. Au bout des trois minutes, sortez la casserole du feu, sortez les orties de la casserole. Vous pouvez vous amusez à récupérer le bouillon, parce que c'est un cocktail concentré de minéraux, et que dilué avec un peu d'eau d'eau froide, ça a un goût fade et végétal, rien de bien méchant. Entre nous, j'ouvre une parenthèse pour les citadins réticents qui pleurent leur mère à la simple évocation du mot "ortie": dès qu'on les fait cuire, l'acide formique, l'histamine, l'acétylcholine et la sérotonine qui irritent la peau partent rejoindre le paradis des méchants produits qui font mal et qui ne devraient pas exister si le monde était parfait.
Dans la casserole, remettez les orties blanchies, ajoutez les légumes revenus de leur petit séjour à la poêle, le sel, le poivre, le lait, le fromage, et pour ceux qui ont choisi l'option pomme de terre en flocons, il est temps de les faire entrer en scène aussi.
Sortez le mixeur, et transformez moi ça en velouté. Quand le mélange est presque homogène, ajoutez la moutarde et mixez encore un coup.
Pour finir, quelques minutes de cuisson à feu moyen, et c'est partiiiiiiii!

Mangez chaud et sans attendre le printemps: c'est tout plein des bons minéraux que votre corps il a grave besoin pour que vous passiez un bon hiver douillettement blottis entre vos os et votre manteau.

jeudi 5 novembre 2009

Astillas



Luna y yo nos reímos mucho en el piso.

Quizas yo más que ella. Si yo bromeo, o hago algo un poco extraodinario, ella se queda de piedra y me mira con piedad. Es más divertida que yo. Hace bromas, y aún no tiene la sombra de una sonrisa, mientras yo estallo ruidosamente en carcajadas. ¡Que profesional es esta gata!

Con el verano murió hace dos meses este periodo encantador de Carnaval moderno que da a cada uno la posibilidad de disfrazarse de lo que no es durante el resto del año. Permite a los razonables adoptar el papel de los aventureros. Los virtuosos se vuelven atrevidos, mientras Don Juan lleva la cesta de su abuelica en el mercado. Los pobres beben champán en la terraza de un restaurante con vista al mar, y los ricos viven en tiendas, se duchan juntos con agua fria, y se pasan el dia andando con una mochilla pesada... Proxima oportunidad: el 30 de junio de 2010... ¿ De qué os disfrazareis?

Cuando uno viaja solo, la cámara de fotos le permite no viajar solo. Me explico: ¿para qué tomar una fotografia de esta chula pero ordinaria iglesia? Porque tiene un aire a la iglesia de la que hablé hace poco con mi abuela. ¿Para qué tomar una fotografía de este pastel con forma de rana, y que parece todo salvo sabroso? Porque conozco a alguien que se reirá mucho con eso. ¿Capito? Cada vez que tomo una foto, invito a alguien a juntarse conmigo. Mientras más fotos tomo, menos sola estoy. Por eso inventan tarjetas de memoria cada vez màs grandes. ¿Qué triste? A ver, ¿creéis que más vale quedarse solo en su propio piso?

lundi 2 novembre 2009

Premières racines, premiers cailloux métaphoriques



Cette phase là commence quand on se rend compte qu'on sait aller directement au rayon des épices, sans se tromper, et sans scotcher des heures sur les pots de gros concombres. On connaît les produits, les prix, et même le visage de quelques caissières.
C'est une phase exaltante, parce qu'on sent bien que quelques racines sont en train de sortir, et on s'enorgueillit démesurément de cette humble réaction on ne peut plus naturelle.
Une première hécatombe de possibles a déjà éclairci le paysage, et on peut aller au moins jusqu'au centre ville pour faire une ballade sans avoir besoin de quinze heures de sommeil pour récupérer. Le maître mot n'est plus "tous", mais "quelques": on connaît quelques parcs, quelques bars, quelques personnes, quelques mots de tchèque... on arrête de faire le compte de tout ce qu'on pourrait avoir pour faire le compte de tout ce qu'on commence à avoir. Finie la grande glissade vertigineuse de l'arrivée. C'est une phase très intensive, très luxuriante. Ces première racines qui tentent leur chance sont fragiles et assurément trop nombreuses, mais elles sont primordiales, car elles vont déterminer le reste du séjour. Selon la façon dont elles vont survivre ou mourir, d'insoupçonnés car insoupçonnables engrenages de possibles vont se mettre en mouvement.
Dans les faits, car il est temps de mettre le doigt dans le concret, on entame allègrement des liens avec tous ceux qui ont de près ou de loin l'air de vous le proposer, sans aucune restriction d'âge, de sexe, de conditions sociale ou d'affinités réelles. On ne se sent pas en position de procéder à l'habituelle sélection des amis (lecture du CV, entretien d'embauche, premier contrat à durée déterminée, puis THE contrat à durée indéterminée, avec des clauses restrictives qu'on annulera au fil du temps. Ah? vous m'étonnez!! ce n'est pas comme ça qu'on procède??? Ben ça alors!!!), et qu'on verra ça plus tard. C'est exactement à ce niveau là qu'interviennent les engrenages cités plus hauts. Parce qu'en France, en Navare, au Mali, en Algérie, au Luxembourg, en République Tchèque, c'est partout pareil: on ne peut pas être ami avec tout le monde. Alors tous ces non-choix aux quels on ne prête pas vraiment attention sont autant de petites roues qui s'enclenchent, et qui plus tard colleront parfaitement avec l'ensemble du système et lui donneront de l'ampleur et de l'aisance, ou coinceront, crisseront, gêneront, et pourriront allègrement la vie. Les jardiniers appellent ce passage "la phase Owen". Allez comprendre pourquoi!

Alors allez-y gaiement: les coudées franches, commencez une amitié par jour, faites tranquillement la liste des produits du supermarché que vous essaierez au cours de l'année, et surtout, pas de demi-mesure, parce que la troisième phase n'arrivera pas à demi, elle!

jeudi 22 octobre 2009

Pâtisserie métaphorique



"Le voyage, c'est comme un millefeuille."
(Aristote Ragtime Ed. Flonflonds, -15 000 av JC)

Mais encore? me direz-vous.
C'est vrai, c'est un peu court, jeune homme!
Bien, alors que voulait dire Aristote quand il prononça ces paroles mystérieuses en plein barbecue de fin d'année de la joyeuse confrérie des géomètres, entre une saucisse et une dorade et avec une chope d'hydromel dansant au bout de sa main gauche?
A mon humble avis, il faisait allusion aux nombreuses étapes qui jalonnent l'adaptation à un nouveau cadre de vie. Quand on part de chez soi, où toutes nos racines ont discrètement investi les rues, les passages piétons, les couloirs de metro, les arbres, les commerces, les bords des trottoirs, etc... on devient plus léger. Comme tout ce qui n'est plus attaché. C'est flipant, ou c'est enivrant, ou bien les deux. On entre dans une dialectique du mouvement. Tous les mouvements semblent soudain possibles, faciles: on part là, mais on pourrait aller ailleurs. Les kilomètres pèsent moins lourd. C'est comme si une loi physique leur ôtait une partie de leur pesanteur. Sur la Lune on saute plus haut. Ben en voyage, on va plus loin. Horizontal, vertical, tout ça est une question de point de vue.
Que se passe-t-il quand on perd tous ces kilos de racines? Tout d'abord, le vertige ou l'ivresse. L'insupportable légèreté de l'être, diront certains, la délectable légèreté de l'être, répondront les autres.
Cette première phase, c'est la première couche du millefeuille. On glisse dans l'espace. Dans une nouvelle ville, rien ne nous accroche nulle part, pas de racine emmêlées qui mettent des œillères à nos yeux blasés. On est vierge de ce nouveau lieu. Alors on devient hypersensible à tout. Tout, absolument tout est une source de possibles. Les parcs, les théâtres, les rues, les gens, les nuages, la lumière, les rayons du supermarché... On est overstimulé, le cerveau ne sait plus où donner de l'imagination, on a l'impression qu'on n'y arrivera jamais, à vivre tous ces possibles. Et on a parfaitement raison, mais c'est déjà une déception de savoir que seuls se réaliseront un ou deux possible sur mille. Alors entre les stimuli externes et les stimuli internes, on est épuisé. Cette phase est un gouffre à énergie.
Sortir acheter du pain au supermarché est purement et simplement crevant.
Chez moi, ça donne lieu à une supermarchite aiguë: je passe des heures à observer tous les produits du supermarché. J'hésite presque à m'ébahir devant un litre de jus d'orange, et je reste muette de stupéfaction devant un pot de gros cornichons.

Et il faut en profiter pour essayer le plus de choses, de lieux, de produits possibles, parce que ça ne peut pas durer bien longtemps et qu'on enchaîne généralement vite sur la seconde qui n'a rien à voir.

Tchécoscope 1

Hradec Kralove (HHradéts Kralové) est une ville placée à la confluence de deux fleuves. L'Elbe, et un illustre inconnu qui porte le nom d'"aigle" en tchèque, parce qu'il puise sa source dans la montagne de l'aigle, située un peu plus à l'est.
Les montagnes, je les ai aperçues samedi dernier, au cours d'une longue ballade en voiture dans la région. Les montagnes sont blanches. L'eau des fleuves est donc probablement très fraîche, la preuve, c'est que je n'ai vu personne s'y baigner... En revanche, il y a deux semaines, en me promenant, j'ai croisé un vieil homme en slip-chaussures qui se promenait au bord du fleuve. Comme personne n'avait l'air de trouver ça bizarre, je me suis dit que les tchèques sont très ouverts sur le plan vestimentaire. C'est une théorie qui s'est trouvée confirmée il y a quelques jours quand j'ai croisé Chweebaka léchant une vitrine de vêtements.
Hradec Kralove est muni d'un centre historique tout de pierres vêtu, un peu surélevé par rapport au reste de la ville. Ce centre historique a la forme d'un bateau. Il était entouré de remparts jusqu'à des temps encore très mémoriaux, et voguait sereinement sur les conquêtes et les guerres successives, dans un océan de champs, de pommiers, de noyers, de conifères et autres faunes typiques des fonds sous marins sans mer.
Bien sûr, ici, quelques façades de maison sont colorées: roses, vertes, jaunes. En été et en automne, ça n'a l'air de rien, mais en hiver, on en goûte sûrement l'intérêt avec avidité quand la nuit tombe à 16h sur un décor en noir et blanc.
A Hradec Kralove, on trouve beaucoup de parcs, les rues sont larges, le macadam a des lacunes de ci de là, ... on trouve plus de parcs que de boulangeries. Les tchèques sont pourtant gourmands, mais ils n'ont pas la tradition des petits commerces comme chez nous.
Quand je dis que les tchèques sont gourmands, c'est à prendre au pied de la lettre. Hier, à la cantine où je vais de temps en temps, on servait une spécialité dont ils se vantent peu, peut-être parce qu'ils ignorent à quel point c'est exotique pour les étrangers, c'est le plat sucré.
Entrée: une soupe.
Plat principal: une bouillie de céréales au lait, ni sucrée ni salée, arrosée de sucre glace et de chocolat en grains qui fond dessus, et d'une large louche de beurre fondu.
Dessert: tu rigoles? tu veux un dessert après ça?

C'est en vous parlant de tout cela qu'un appareil photo me manque vraiment. Certes, ces temps-ci, j'emprunte souvent les photos des autres, mais les photos des autres, c'est comme les lunettes des autres: même si la monture est sympa, on voit flou et ça irrite le cerveau.
Quand je vous propose mes photos, c'est un quart de seconde de mes yeux que je vous propose, et si mes yeux me trahissent, ils vous trahissent aussi, et cette trahison nous unit.

Aujourd'hui, faisons une minute de lecture sans image en commémoration de tous les appareils photos disparus.

jeudi 15 octobre 2009

Llamada de socorro


Hola, Halo,

Soy Luna. Soy la gata de Marjolaine. Yai la idé que ié peu aprofiter de le pas là de Marjolaine pour dire tout cé qué yé sour lé keur. Yé boucou.
Bon, en primer lugar, elle m'adopte pour vivir avec oune chienne qu'elle voulait toujours le temps youer avec moi. Bon, moi yé voulé pas, mais c'est pas grave: yé rien dit. Youste quelques coups dé griffe dans sa guoule à la perrita... Jejeje!!!
Ma après ça, Marjolaine, ale a voulu qu'on a passé quince jours dans le voitoure!!! Quince!!! Tabernaco!!!
Moi yé souis youste oune gentille pétite chatte, yé souis jeune, yé souis guapa, alors yé coumprends pas pourquoi souffrir autant?
Quince jours, il a fait chaud!!! Calieeeeeente, qué yo, yé soufflait comme oune vieille chienne!!! La honte!!! Ma tane pis: yé rien dit. Youste quelques "miauuuuu" dans le joder de voitoure, y caca le matin, quand le voitoure il part pour que ça sent mal tout le jour. Jejejeje!!!
Mé moi, yé le keur tendre, yé la patte velours, yé l'oeil doré, la langue rosa...
Bon, on a arrivé à ses parents, la grandé maison, ça c'était bienne. Ma dans la maison grandé, y'avait oune chat rousse, trèèès machan avec moi. Et pendant tou l'été, partir, partir, partir, et révénir, révénir, révénir... Louna fatiguée!!! Ma yé rien dit. Ma yé commencé à avoir oune peu jousqu'aux oureilles avec toute ça!!!
Et là, c'est la cérise dans lé verre d'eau qui dépasse la ligne dou gâteau: Deux jours dé voyache en voitoure, pour arriver dans oune pays où il faut que je reste dans le maison toute le temps!! Et parfois je peux sortir, alors je essaie parler avec les autochtones, ma ils grimpent vite dans tous les arbres, et yo, je peux pas aller vite pareil, et ils parlent pas pareil la langue, et ils mangent pas pareil la bonne pâté!! nan!! Ales mangent les noisette, et les glands des les arbres!!! Qué stoupides avec leurs grandes queues en panache... écoureuills mon cou!!! c'est des rats!!! Qu'ils sont toutes gris!! Pour l'amitié pas possible, et pour manger trop rapide. C'est noule!! Et il fait froid déhors!! Moi j'ai pas l'habitude de avoir les pattes froides... mes jolies pétites pattes!!! Et c'est quoi lé prochain? Glace sur le sol? Rottwailer dans lé jardin??

Alors moi yé démissione, yé toute essayé, cette fois yé di pas rien, cette fois y'ouvre ma goule, et yé dit:
Yé souis yeune, yé souis guapa, yé souis affectoueuse, yé suois libre dans lé keur, et yé cherche oune gran amooooor... Si oune maître il est gentil, il a oune grand keur aussi, et il a argent, maison, voiutoure neuve (et pas vieil tacot toute pourri),il peut me adopter, et yé loui donneré sans hésiter toute mon affectionne. C'est le promis!!
Ma faut faire vite avant je pète toute le câble!!
Même si lé gentil maître il a pas toute la voitoure et toute ça, moi yé prend pareil, yé veux youste finir avec toutes les conneries, là, ok?

Vous pouvez m'écrire:
louna.veut.la.loune@chats.com

Ayadadme por favor,
Muchas gracias.
Luna

De hier à hiver, il n'y a que le v de vite...


Dans le lycée où Luna et moi avons élu domicile, il y a, dit-on, les meilleurs élèves de la région. Il y a, pour les aider à rester les meilleurs, des professeurs de tous âges et de toutes nationalités: anglois, françois, germains, zé autres celtes-vikings, et salades de barbares. Pas beaucoup de latins, c'est vrai.
C'est pour y remédier qu' il m'a été demandé d'apporter mon lexique.
C'est désormais imminent en plus d'être officiel: je vais donner des cours d'espagnol au personnel du lycée d'une part, et aux élèves les plus motivés de l'autre.
Je vais répandre le "hola" dans les couloirs, ça va fiester le samedi soir et bébère caliente quand il neigera.

En parlant de neige, hier matin, il a neigé sur Hradec Kralové. Oh, rien de bien sérieux, juste un passage en coup de vent, comme ça, une histoire de dire: "Si je veux, je peux. Je reviens dans un instant... ça va glacccccer!"
En parlant d'hier, ce fut un jour à marquer d'une pierre verte à rayures roses: j'ai adopté un vieux vélo encore solide sur ses roues, et nous avons plein de projets ensemble, lui et moi. Mais hier, un vent du nord se mêlait indiscrètement à notre conversation, et nous avons préféréabréger. Mon vélo m'a juste dit: "la prochaine fois, ma biche, couvre tes mimines avec des gants, parce que sinon, on va finir dans le décor avant d'avoir pu dire "nasdravi". Il est fort, mon vélo!! On sent qu'il a vécu, parce qu'il a tout de suite mis le guidon sur la clé de voûte du problème principal: les gants.

Never trie again la chevauchée sauvage de la bicyclette par moins de cinq degrés sans gants.
Mes talenteux lectueurs, vous l'avez vu venir:

En parlant d'hier, ça sent grave l'hiver...

jeudi 8 octobre 2009

La classe!!


Luna et moi avons élu domicile (conditions de vote sérieusement influencées par la proposition du lycée de me louer bon marché un logement dans le lycée) dans une ancienne salle de classe entre un bureau et une salle de musique.
Ce que je vois quand je sors de chez nous: un grand couloir gris parsemé de portes, de fenêtres et de cactus (le peu d'entretien nécessaire et la grande impassibilité des cactus est sans doute la raison de l'omniprésence de cette espèce sur tous les rebords de fenêtres de l'établissement). Juste en face, une grande porte en bois donne sur le parc.
Ce que je vois quand j'entre chez nous: une entrée assez sombre, dont un mur est entièrement recouvert de meubles. A gauche, une porte donne sur la salle d'eau. Dans la salle d'eau, la tuyauterie n'a rien à cacher, et elle le montre. Les murs sont carrelés de blanc et de gris, l'eau chaude n'est ni très chaude ni très claire. Plus la température de l'eau monte (rassurez-vous, elle dépasse difficilement 37°), plus l'eau est rouge. J'ai donc des sources d'eau chaude ferrugineuse à portée de main.
Une porte nous sépare de la pièce principale. Personnellement je trouve que ça fait très chic et professionnel d'avoir une porte entre l'entrée et la pièce principale.
La pièce principale a deux fenêtres de 2,50 mètres de long et 1,70 mètres de large. On se rend vite compte que les murs sont épais parce que sur le rebord des fenêtres, je pourrais tranquillement installer un lit. La pièce principale est peuplée par: de nombreux meubles de rangement sans doute fournis par un beau-frère d'Ikea, une petite cuisine "américaine"(je peux parler à Luna assise sur le rebord de la fenêtre quand je cuisine. En revanche, je dois faire gaffe, parce que si je lui parle trop et que je me laisse emporter par le flot des mots, je risque de renverser des flots de sauce, qui se répandraient directement sur mon lit, derrière le comptoir de la cuisine), un gigantesque canapé jaune, parfaitement en harmonie avec les murs, deux cactus, un pingouin, une Luna, une fille, et pour quelques jours encore, une rose blanche, que j'ai recueillie à peine éclose dans la poussière du chemin dimanche dernier. Le plafond est assez distant. Je ne pense pas parvenir à avoir le moindre contact avec lui pendant tout mon séjour.
Cet appartement a quelques compétences supplémentaires:
_ une bonne résonance du son. Que ce soit la musique ou la radio, ou le piano et la chorale de la salle de musique à côté hier soir à 22h, on entend très bien.
_ Une bonne résonance du soleil: quand le matin le soleil perce les nuages, l'appartement s'illumine et chauffe.
_ Une bonne résonance des odeurs: en fin de journée, on sait à peu près tout ce que j'ai mangé depuis le matin, fenêtres ouvertes ou pas.
Vivement la saison du chou!!!!

mardi 29 septembre 2009

Paris, sooooo romantic!!


Sur une ligne de metro, il peut se passer bien des choses. Quelques unes de ces choses tournent autour du regard. On ne se parle pas, en général, entre usagers de la ratp. Le metro, c'est pénible, mais ça ne rend pas solidaire. C'est peut-être pour ça que c'est si pénible, d'ailleurs.

Anyway, on se regarde beaucoup dans le metro. Même ceux qui n'ont pas l'air d'y toucher, retranchés derrière leurs journaux: Le canard, Libé, L'Huma, Le Monde, Le Fig... Quand on lit régulièrement un journal, on a le droit de l'appeler par son petit nom.
Tout le monde se pèse, s'épie, se compare, se mesure, est attiré, repoussé, vit une idylle puis une fatigue puis une rupture, fuit, recherche, juge, refuse, drague, se moque, se protège, compatit, s'insurge... Les ondes oculaires sont complètement surchargées dans un compartiment de metro, à tel point qu'il y a parfois des interférences: on drague la jeune, on séduit la vieille, on dévore un bébé des yeux, et c'est le grand Noir à côté qui sourit, etc...
En fait, il se passe vraiment beaucoup de micro choses dans un compartiment de metro. Beaucoup de choses qu'on devine en grande partie, mais aux quelles on ne prête généralement presque pas attention. C'est le poste de contrôle, en haut du cerveau, qui reçoit toutes les informations relatives aux tissus de regards, et qui trie. Et comme il est payé au SMIC et que le jour même il s'est engueulé avec sa femme, il est plutôt partisan du moindre effort. Donc il jette un oeil distrait sur toutes les informations. Et dessous, dans les couloirs du cerveau, l'activité bat son plein, indépendamment du monde extérieur. Donc, notre agent de contrôle trie en mâchouillant un croûton de sandwich au jambon, et il décide de n'envoyer aux services d'interprétation que ce qui pourrait dépasser le simple cadre du bénin et porter des conséquences au delà du voyage.
Dans mon cas, par exemple, ça donne:

"_ Lalalalalalalalala shtrouphlalala... Ah, tiens, un mec en costard vient d'entrer... oooh! Il semble rasé de près... Il n'a pas de sac... Aaaaaaaah!!! tout pareil que dans Paradise Now!!! C'est un kamikaze, il va tous nous tuer!!! est-ce que je vais mourir tout de suite, ou est-ce que j'aurais le temps de savoir que la bombe est en train d'exploser? Ah tiens, mais on est déjà à Laplace? Mais ça ne sert à rien de faire péter une bombe à Laplace (à la place de qui, d'ailleurs?). Donc soit ce kamikaze est con, et il s'est planté dans le sens de la ligne, soit c'est moi qui suis parano, et c'est juste monsieur tout le monde qui va à un entretien d'embauche... Pfffffff!!!! Je l'ai échappé belle!!! Lalalalalalalala Shtroumphlalala shtroumphlala, shtroumphlalala... "

Mais je digresse, je digresse, et cet article s'engraisse et perd du muscle.
Revenons à nos réseaux de regards. Dans le metro, à force de se regarder, il se passe parfois des choses, et parfois rien, et parfois les deux en même temps.
Une fois, je rentrais du travail, il était plus de 22h, et j'étais très fatiguée. Un jeune homme était assis en face de moi. Et va savoir ce qui nous passa par l'esprit, nos regards se croisèrent deux ou trois fois, dans un silence de compartiment de metro, et nous éclatâmes tous deux de rire d'un commun accord.
Hier soir, sur le quai, un homme avec une grosse bedaine qui dépassait assez généreusement de sa chemise se racla soudainement la gorge, provoquant un bruit de plaques tectoniques en mouvement. Le regard du jeune homme qui était assis à côté croisa le mien interloqué, et nous pouffâmes, discrètement je l'espère. Le metro arriva sur ces entrefaites, et comme il n'était pas très plein, j'eus le choix des sièges. Je pus me faire plaisir en prenant une banquette, à côté de la fenêtre, dans le sens de la marche. A la station suivante, une jeune fille vint s'assoir en face de moi et se prit immédiatement la tête entre les mains pour éclater en sanglots. Je levai la tête de mon livre.
Elle était laide, avec un œil plus gros que l'autre, la peau tuméfiée, les lèvres tordues et tâchées de bleu et de noir, les dents brunes, les pommettes plus saillantes d'un côté que de l'autre. Elle avait un vieux sac sale. Elle sentait très fort la soupe et le cheval. Et elle se tordait de sanglots.
Ma voisine retira une oreille de son mp3 et nous nous regardâmes, embarrassées.
"_ Merde, j'ai mauvaise conscience, disaient ses yeux. Elle est très laide, et elle pleure bizarrement en tordant la tête, presque sans larmes, elle me fait peur, je ne vais pas l'aider, mais je me sens mal.
_ Moi non plus je ne vais pas l'aider, pour les mêmes raisons que toi. Et puis elle me rappelle une jeune handicapée qui fait parfois la manche dans le RER B et que j'ai vue une fois attaquer une jeune fille qui essayait de l'aider... elle me fait peur."
Les yeux de la jeune fille en larmes ne disaient rien. Elle soupirait bruyamment, tout le wagon s'était retourné vers elle, donc vers nous.
Je pensais: " Au Moyen Age et dans l'Antiquité, on ne fuyait pas les gens un peu étranges. On leur attribuait une sagesse et des pouvoir que le commun des mortels leur enviait, et le reste du temps, on les aidait parce qu'on avait pitié d'eux avant d'en avoir peur. Si cette jeune fille étrange et repoussante était venue montrer sa détresse dans un metro en bois du Moyen Age, les autres voyageurs auraient sans doute au moins essayé de connaître les raison de ce désespoir et de lui porter secours. Ce soir, il ne se passera rien. Personne ne bougera un petit doigt pour elle, et moi non plus. Elle est trop laide. La laideur fait peur. Et puis avant d'aider, on fait le point de tout ce qu'on a à perdre si les choses tournent mal: son lecteur mp3, son téléphone, ses papiers, sa dignité vis à vis des autres usagers... alors pour conserver tout ça, on sert les fesses, on croise le regard des gens "normaux", et on se concentre sur son livre."
A l'époque où la vie était si précaire, les gens moches avaient le droit de souffrir, parce qu'on n'avait pas encore inventé les transferts d'humanité.
Un transfert d'humanité, c'est quand on se demande très sérieusement si son lecteur mp3 qui nous donne tellement de plaisir n'est pas plus humain que la fille laide qui pleure en face de nous et nous gêne tellement.

Vous voyez, mademoiselle, ce n'est pas de notre faute, c'est vous qui avez fait une erreur: la prochaine fois, soyez plus jolie et sentez bon, ou changez d'époque, et vous verrez comme on vous aidera mieux!