dimanche 6 septembre 2015

D'autres destins

Entre la porte de mon immeuble et la station de métro, il y a à peine 400m. Quand je suis pressée, je les franchis en 5 minutes, sinon, c'est plutôt 7 ou 8 minutes.
En bus, ça n'est pas tellement moins, parce que je soupçonne les chauffeurs de ralentir pour avoir le feu rouge du carrefour juste avant la station de bus.
Bref, ce n'est pas très long.
Sur cette petite distance d'un quartier assez peu touristique de Paris, certains jours, on peut trouver jusqu'à 6 personne à la rue demandant l'aumône. Sans compter la famille qui vit épisodiquement sous le métro qui est aérien ici.

Il y a le vieux Hun aux yeux bleus que ne troublent ni les ardeurs du soleil, ni les bourrasques, ni les averses et qui regarde passer tout le monde avec tellement d'attention que je me demande parfois si ce n'est pas un agent de la CIA en couverture. Mais le soir, je le vois, ivre, tituber dans la rue et je me dis que non, il n'a pas un destin plus satisfaisant que celui que les apparences lui prêtent.




Il y a les femmes qui se relaient à la sortie du Franprix et qui ne sont là généralement que le matin.




Il y a le couple de Roms: elle devant la boulangerie avec la petite fille et lui plus loin, de l'autre côté de la rue. Ils sont jeunes, en bonne santé, la petite fille est vive, on aimerait bien les voir au parc déambuler le dimanche pour sortir leurs enfants, ça paraîtrait bien plus "normal".






Il y a le barbu, poli, ivrogne, il s'étiole à vue d’œil, ses yeux bleus et sa barbe lui donnent de faux airs  de Robinson Crusoé joué par Pierre Richard. Je vois souvent des gens arrêtés pour parler avec lui. Il a un compagnon en chapeau haut-de-forme qui passe de temps en temps dans le quartier, mais il est plus démonstratif dans ses moments de vide, et ça dérange un peu plus les gens.


Il y a la dame chinoise, propre, digne, silencieuse. Elle n'est pas souvent là. Peut-être une fois par semaine, aux horaires de sortie de travail.





Il y a le gros monsieur chauve en treillis militaire, juste devant la station de métro, très digne lui aussi, infiniment calme et statique, mais qui remercie d'un très aimable mouvement de tête ceux qui lui glissent une pièce au passage. Probablement très attentif aux va-et-viens des passants, lui aussi j'aimerais l'imaginer espion en mission, mais il a l'air si tranquille, tellement dans la lune, avec ses petites lunettes rondes, que j'ai du mal à y croire...




On a quand même dû louper quelque chose quelque part pour que tant de gens soient obligés d'étaler leur misère sur le trottoir si proches les uns des autres qu'ils se font concurrence. 

mercredi 2 septembre 2015

Métro métro métro

Bribes de métro (parce qu'il faut bien admettre que c'est là qu'on vit les instants les plus creux et les plus marquants de la vie quotidienne du parisien!)

Le plus beau:
Versailles Chantier, heure de pointe.
Après 3h en sous-sol à parler voiture, restaurant, vacances et sport avec de parfaits inconnus, j'étais assez pressée de rentrer chez moi. Mais voilà, sur mon passe navigo, il n'y avait que deux zones, et pour 24h encore, il en fallait 4 pour rejoindre Paris.
D'habitude, les bornes de la gare de Versailles-Chantier sont plutôt rapides d'accès. Il y a peu de monde qui s'y arrête. Mais aujourd'hui, c'était la cohue, toutes les bornes s'étaient munies de branches humaines qui frémissaient doucement au fil des arrivées et des départs de train. Et comme la loi de LEM (l'emmerdement maximal) s'applique surtout quand on a très envie de rentrer chez soi, la file que j'avais choisie était bien entendu la plus lente.
Deux dames avaient avec la borne un interminable dialogue visiblement fondé sur une mutuelle incompréhension. Indéfiniment elles recommençaient leur requête et les autres queues avançaient, mais pas la mienne. Je commençais à devenir nerveuse, mon train passant dans 7 minutes, j'avais encore 5 personnes devant moi. Des envies de violences, des bouffées meurtrières commençaient à me chatouiller les naseaux, et piaffant, j'allais m'installer dans la file la plus courte. Le contrôleur à côté me dit au passage: "elle ne prend que les espèces".
Aaaaah... c'est pour ça que c'est la plus courte! Je n'avais pas un euro sur moi. Je repars dans ma file, piteuse, mais n'y reste pas longtemps, car l'envie de vaporiser sur les murs les deux monolithes qui avaient pris place devant la machine m'aurait conduite à perdre encore plus de temps. Je courrais vers une autre file. Qui se mit à bloquer à son tour. Horrifiée, je constatai en observant le client avant moi que le lecteur de cartes bleues était en panne. J'alpaguais alors avec désespoir un contrôleur:
"Monsieur, excusez-moi, j'ai déjà attendu dans plusieurs files, la machine ne prend pas les cartes bleues, je veux juste un complément de parcours et mon train pour Paris va partir, je fais quoi?"
Voyant sans doute en moi l'angoisse de la biche qui voit fuir au loin l'horizon salvateur alors que la poursuivent les chasseur, le contrôleur me regarde et me dit d'un ton énigmatique: "Suivez-moi". Il s'approche des tourniquets et ajoute en se penchant pour faire sonner son passe à la barrière: "Tous les contrôleurs sont dans le hall, vous serez tranquille. Et puis si on vous dit quelque chose, vous direz que c'est Thomas J qui vous ouvert." Grand sourire carnassier. "S'ils ne vous croient pas, vous direz que c'est le plus beau!". Mon train "à l'approche n'attendait plus que moi!

Le fou rire
Il y a quelques  années, j'étais dans l'heureuse et insouciante période où l'on n'hésite pas à sacrifier un été pour un job d'été parce qu'on trouve que c'est encore un peu des vacances d'aller faire le larbin pour un salaire de misère dans dans conditions lamentables, et, épuisée (et un peu blasée), vers 22h30, je rentrais d'une loooooooooongue journée de travail.
Sur la ligne 6, assise, j'avais le cerveau et les yeux dans le vide lorsqu'il se passa quelque chose. Quoi? Une secousse? Un bruit? Je ne m'en souviens absolument pas, mais mon regard croisa celui du parfait inconnu qu'était mon voisin d'en face et un sourire naquit de part et d'autre, qui alla en s'élargissant, et sans même nous en rendre compte, nous basculions dans le fou rire, que chaque nouveau regard ranimait et relançait.


Le visage de ce voyageur? Aucun souvenir. Mais alors ce fou rire, il me restera bien longtemps ancré dans la mémoire, îlot de repos perdu dans l'océan des voyages insignifiants qui jalonnent mes journées de parisienne.