dimanche 4 décembre 2011

Histoire de quincaillerie

Si vous êtes un touriste et que vous mettez pour la première fois les pieds à Paris, plusieurs choses pourraient vous conforter dans l'idée que Paris est une ville très romantique:
_ Les quais, dont le sol est pavé et sur les quels on peut déambuler longuement pur profiter des derniers rayons d'une belle journée de soleil.
_ Les nombreux cinémas qui passent de vieux films en noir et blanc en version originale.
_ Les rues pavées entourées de petites boutiques.



_ Les cafés avec un décors très quitch, mais plein de charme, et dans lesquels on peut rester des heures sans être dérangé.
_ Les parcs et les squares avec leurs vieux bancs verts ou leurs chaises qu'on peut emporter sous un vieux tilleul pour être à l'abri du soleil (mais pas des pigeons)...

Mais s'il est une chose qui n'est ni parisienne ni romantique, c'est bien l'accumulation des cadenas sur les ponts de Paris: le Pont des Arts et le Pont de l'Archevêché.
Il y a deux ans encore, on ne voyait pas un seul cadenas sur les rambardes en métal.
Que s'est-il donc passé il y a deux ans, sur le Pont des Arts?


Georges: Tiens, j'ai retrouvé le cadenas de ma valise!
Kévin: Ah bon? Il était où?
Georges: Dans ma poche. Le problème, c'est que mon pantalon est passé à la machine. Avec le cadenas!
Kévin: Je ne vois pas où est le problème. Le cadenas sera bien propre. C'est très bien!
Georges: Mais non! Kévin, je sais bien que tu n'as jamais eu l'occasion d'inventer la poudre parce que c'était déjà fait quand tu es né, mais fais un effort!
Kévin: Je peux essayer. C'est important pour toi?
Georges: Oui.
Kévin: Ok. Continue.
Georges: Donc j'ai peur qu'avec l'eau et la lessive, le cadenas ne fonctionne plus...
Kévin: C'est pas un cadenas en sucre, si?
Georges: Non. Bien sûr! Pffff!
Kévin: Alors pourquoi il ne marcherait plus?
Georges: Parce que c'est une mécanique fragile et compliquée à l'intérieur, Monsieur-je-pense-à-tout!
Kévin:...
Georges: Comment je vais faire si je ne peux plus fermer ma valise avec un verrou pour le voyage du retour? Les douaniers vont ouvrir mon sac! Ils vont tout vider! Ils vont prendre mon eau de Cologne! et mes chausson en peau de loutre bleue! ... aaaah!
Kévin: Bon, on peut l'essayer, ton cadenas, pour voir s'il fonctionne. Et s'il ne fonctionne pas, on a encore le temps d'en acheter un nouveau.
Georges: Ah ah!!! J'ai une idée, Kévin! Ecoute le maître! Je pense qu'on pourrait l'essayer, ici, maintenant, puisqu'il est dans ma poche, et s'il ne marche pas nous aurons très largement le temps d'en racheter un avant le départ! qu'en dis-tu?
Kévin: Impressionnant.
Georges: Let's do that. Tiens, prends le cadenas, et puis on n'a qu'à l'essayer... tiens, sur la rambarde, là! Vas-y, ouvre... attache-le. Ferme. Enlève la clef, attention à ce qu'elle ne tombe pas! on aurait l'air malin!
Kévin ouvre le cadenas, l'attache à la rambarde, le referme, enlève la clef, mais juste à ce moment, un groupe de touristes tchèques passe en marchant à toute allure, et un pigeon effrayé s'envole et passe si près de la tête de Kévin, qui celui-ci, surpris, se cogne le front contre la rambarde métallique et laisse échapper la clef qui tombe directement dans le goulot de la bouteille d'eau d'Adriana qui visitait Paris en péniche et passait sous le pont juste à ce moment là.
Kévin: Oh non!
Georges: Mais que tu es con, Kévin!
Kévin: Je t'emmerde, Georges! Toi et tes scrupules débiles, un cadenas ça marche toujours!
Georges: Alors on fait quoi? Maintenant? Blaireau!
Kévin: Ben t'as qu'à essayer de le retirer, on verra s'il marche bien!
Georges: gnnnnngnnnnn gnnnnnnnnnnnn!
Kévin: Ben on dirait qu'il marche très bien ce cadenas malgré la lessive!... Laisse tomber, Georges, personne ne verra rien, on va le laisser là, et on en achètera un autre avant de partir. Allons grailler maintenant, j'ai la dalle, t'as même pas idée!


Et voilà comment, comme bien souvent dans l'Histoire, une coutume idiote s’installa à Paris sur un malentendu.
Alors vos cadenas, vous les gardez, ça sert à fermer les valises, pas les cœurs, bande de geôliers!


lundi 31 octobre 2011

Ceci est un blog culturel

Office du tourisme de Paris "Bonjour!"

"_ Hello, I'm looking for a train station in Paris.... the Auschwitz station.
_ You mean: Austerlitz?
_ Yes!"

"_ Bonjour, je veux savoir, c'est où on embarque pour les bateaux pour Paris-Madrid?
_ Euh... vous avez déjà un bateau réservé?
_ Non.
_ Parce que je ne suis vraiment pas sûr qu'il y ait des lignes Paris-Madrid en bateau. Mais je peux vous indiquer les gares ou les aéroports, si vous voulez?
_ Pfff, non, je vais quand même pas prendre le train! Regardez sur internet pour les bateaux.
(je regarde pour lui faire plaisir. Je ne trouve rien.)
_ Non Madame, je suis désolée, il n'y a pas de bateau qui fasse Paris-Madrid.
_ Bon, ben regardez un bateau pour Centre Amérique alors.
_ L'Amérique Centrale?
_ Ben oui!!
_ Ecoutez, il n'y a pas de départ de Paris, de toutes façons, il faut aller à Saint Nazaire ou au Havre.
_ Et comment j'y vais?
_ Alors en train...
_ J'ai dit non pour le train!! Je veux bateau!!
_ Ben faites du bateau-stop alors!! Vous vous mettez sur le bord du fleuve et vous levez le pouce."

"_ Bonjour, il y a des souris dans ma chambre d'hôtel, je les entends la nuit, c'est dégoûtant, faites quelque chose!"

"_ Chaque année je fais l'aller-retour Berlin-Saint Jacques de Compostelle à pied. L'année dernière je n'ai pas pu, on m'a volé mon chariot. C'est pas grave, au moins il a servi à quelqu'un."

"_ Es que aqui, estoy un poquito perdida, sabes... Incluso un poco loca. Sabes cuanto peso se puede llevar con la maleta en el avion?
_ Me imagino que unos 20 o 23 kilos.
_ Ay... qué voy a hacer.... Te lo cuento. Ayer, estuvé en un supermercado, y me gustaba el envase de la sal... Asi que me compré un kilo de sal, por el envase... " (Ah, la baleine fait des ravages dans les cœurs des touristes!!)

"_ Mais vous, c'est lequel votre club de streap tease préféré à Paris?"

" _ On aimerait se rapprocher du cimetière du Père Lachaise...
_ Vous savez, on s'en rapproche tous plus ou moins."

"_ A map.
_ Hello. Can you say please?
_ OK... a map... please.
_ Yes, of course!
_ Thank you... wait... Gracias!
_ In spanish?
_ Yes, that's the way you say it here, isn't it?
_ No Sir, we are in France, we speak french.
_ Oh!! Really? " (un américain)


Nan, vraiment, on a bien rigolé cet été! 

Fantômes d'un soir d'été



Dans un tout petit camping perdu dans la forêt et les étangs de la Sologne, un soir de juillet 2009, allongée dans ma tente, mon chat sur le ventre, j'entendais le cheval qui conduisait la belle roulotte en bois de mes voisins s'ébrouer pour chasser les moustiques. Des enfants criaient de frayeur et d'excitation dans leurs jeux, et leurs parents, assis en rond, déclinaient en anglais les sujets habituels des conversations d'adultes d'un soir d'été. Soudain, ils se taisent car d'entre eux s'élève une voix grave et mélodieuse dans le gris des tous derniers rayons du jour qui ferment le cortège de la lumière bien longtemps après que le soleil a disparu.
A l'intonation, on savait qu'il déclamait un texte poétique, mais je ne saurai jamais lequel.



Aujourd'hui, le dernier jour d'octobre, c'est le fantôme de ce soir humblement magique qui tourne dans ma mémoire. Puisse-t-il y tourner encore longtemps!

vendredi 21 octobre 2011

Un super week end

Ce week end, je me suis offert un petit voyage à travers l'Europe: des Pays-Bas aux portes de Galice en passant par l'Albanie, l'Ile de France et les grandes plaines de Bohème, pas une minute de pause.
Et ça n'était pas faute de la désirer, la pause, parce que ça m'a laissé peu de temps pour réfléchir à tout ce qui se passait au fil des kilomètres. Le pouvoir de la lecture restera toujours un grand sujet de fascination pour moi. Comment se fait-il qu'on puisse réellement transformer en souvenir personnels de petits bâtons noirs dessinés sur du papier?
Pendant tout le week end, j'ai vécu comme personne d'autre ne pourra exactement le vivre des aventures qui ne sont arrivées à personne nulle part.




 Quel plus grand plaisir? Ce sont des parcelles de vie déjà meublées offertes en bonus dans le grand espace d'une vie, il n'y a pas d'effort à faire, juste suivre et faire comme chez soi.

Ce week end, j'ai lu Les Derniers Hommes de Pierre Bordage.

C'est l'histoire de ce qui pourrait se passer après une 3ème Guerre Mondiale qui aurait entraîné la disparition de la plus grande partie de la population mondiale, et donc le démantèlement de l'humanité telle que nous la connaissons. Il ne reste plus que quelques vestiges de la technologie, et des tribus nomades qui parcourent l'Europe pour s'échanger des matières premières. Chaque tribu a le monopole d'une matière première. La tribu qui nous intéresse a le monopole de l'eau. Pas d'eau, pas de vie. Mais les dangers sont nombreux pour tous: les insectes tueurs, l'eau empoisonnée, les soldats-robots jamais déconnectés après la fin de la 3ème Guerre Mondiale, les pluies acides, les animaux sauvages, les tribus cannibales, les maladies génétiques, ... et soudain, l'ombre menaçante d'une apocalypse finale, destinée à en finir une bonne fois pour toutes avec ce qui reste de l'humanité. L'humanité au sens propre : les humains (un groupe d'individus bipèdes, mammifères et omnivores), comme au sens figuré: les valeurs et la culture que transportent les humains (solidarité face à l'adversité, hédonisme, capacité à surmonter les épreuves pour continuer à vivre encore et toujours, pour voir encore un matin, et encore un matin, et encore un matin...) Les petits problèmes se joignent aux grands, et les héros gagnent surtout le droit de douter plus encore que les autres.

Un excellent livre, très complet, une odyssée troublante qui nous chuchote tout au long du récit que dans cette histoire, nous, lecteurs de 2011, nous sommes les absents, et que les absents ont toujours tort.

samedi 8 octobre 2011

Banquière II Altermondialiste

A part les initiales de mes grand-parents, en général je ne partage pas grand chose avec ma banque, et je ne suis jamais très pressée de répondre aux sollicitations de "faire le point avec un conseiller à votre écoute" qu'elle m'envoie régulièrement.
D'ailleurs, je n'ai jamais vu aucun de mes conseillers plus d'une fois. Car à ma banque, les conseillers changent tous les deux ans.
Il s'agit d'éviter que s'installe trop de promiscuité entre les clients et les banquiers. Avec moi, du coup, ça marche très bien.
J'ai déjà rencontré 4 banquières, et la 5ème attend depuis quelques mois d'avoir le plaisir de faire ma connaissance, et réciproquement.

J'avais pris rendez-vous avec ma 3ème banquière presque un an après qu'elle me l'avait proposé. Et je m'y étais rendue comme d'habitude, en traînant des pieds et la tête dans les nuages, mais bien décidée à ne pas ouvrir des quantités de comptes dont je n'avais absolument pas besoin.
La banquière était une femme d'une quarantaine d'année, aux cheveux courts, grande et sportive. Elle me serra la main et m'invita à prendre place dans son bureau, tout cela était très normal. Elle avait mon dossier sur son bureau, m'en fit un résumé, actualisa quelques informations, puis me présenta quelques "produits bancaires" adaptés à ma situation. Tout cela aussi était très normal, et je m'y attendais. Ce qui me surprit, en revanche, fut que, je ne sais plus comment, la conversation tomba sur la nécessité ou non pour moi de changer de téléphone ou d'ordinateur, et je lui fis savoir que puisque les miens fonctionnaient très bien, je n'avais pas de projet d'en acheter de nouveaux. Elle posa alors les mains à plat sur son bureau, et me dit qu'elle était comme moi, et qu'elle ne voyait pas l'intérêt de passer plus de temps à choisir son nouveau téléphone qu'à l'utiliser.
"Mon fils veut tout le temps qu'on lui achète les nouveaux ordinateurs, les nouveaux portables, les nouveaux mp3... Moi je sais même pas ce que c'est, le mp3!!"
Je ne pouvais qu'aller dans son sens (même si moi, je sais un petit peu ce que c'est, le mp3).
"Pffff si ça ne tenait qu'à moi, je vous jure, ça ferait longtemps qu'on vivrait à la campagne, et il saurait un peu mieux ce que c'est la vie, la terre, la consommation, etc... Mais on ne choisit pas. On est là pour consommer, consommer, consommer... Ils n'ont que ce mot à la bouche, non mais où on va comme ça? Et de penser que ce sont des jeunes comme mon fils qui vont prendre le relai, ça me rassure pas! Vous imaginez? Il est incapable d'écrire une phrase correcte, mais alors pour taper un code de carte bleue, là, pas de problème!! Moi je voudrais juste vivre à la campagne, où on peut se déplacer en vélo et vivre au milieu des vraies choses, dans un vrai environnement, et où il faut lever le bras pour avoir du réseau... Pas du virtuel et de la consommation, parce que ces jeunes, toujours le nez sur un écran, ils ne savent plus où ils sont! ils sont incapables de communiquer autrement qu'en langage sms, même quand ils parlent. Leur vocabulaire est réduit de moitié par rapport à celui qu'on avait à leur âge... ça me fait mal au cœur!!!"
Je ne l'aurais pas interrompue pour tout l'or du monde, consciente de vivre un moment assez rare: ma conseillère bancaire, employée d'une des banques les plus puissantes de France, en train de m'expliquer que le monde de la consommation, ça la rendait folle... Je me sentais comme une promeneuse qui aperçoit Bambi en train de téter sa mère et n'ose plus respirer de peur d'interrompre ce joli spectacle.
"N'est-ce pas?
_ Ah oui! si si! Tout à fait!"



Sans ouvrir aucun nouveau compte, mais avec le sentiment de m'être enrichie plus que de coutume, je quittai ma banquière avec un sourire, et l'impression d'avoir été le témoin complice de quelque chose de hautement interdit, mais grandement délectable.
Je ne l'ai jamais revue. Lorsque j'ai repris rendez-vous avec ma banque un et demi plus tard pour refaire un bilan, une jeune femme bien plus "académique" me reçut, avec la ferme intention de me faire ouvrir quelques comptes.



Certes, cette banquière, elle ne changeait pas le monde, avec ses petites idées de liberté et d'authenticité, mais "elle changeait la vie", et ce fut agréable.

dimanche 2 octobre 2011

Mille et une façons de découvrir la littérature

Et voilà,
(déjà) la rentrée, ça sent le papier, le plastique et la rosée, les marronniers riment avec bombardiers, les enfants pensent que l'année prochaine n'arrivera jamais, les adultes savent qu'elle n'a jamais été si proche, et nous sommes tous un peu indécis entre nostalgie et joie de commencer une nouvelle année scolaire.
Pour rester dans cette atmosphère presque studieuse, je vous propose de jeter un oeil sur ce court métrage dont en tant que prof de cours particuliers de français je ne me lasse pas:

Une leçon particulière

Bonnes lectures!! ;-) 

Rendez-vous avec la Luna

7h30 Ville-Franche => Lyon => Chambéry => Torino => Milano => Verona => Bolzano => Merano : 21h30



J'arrivai crasseuse et lasse à Merano et décidai de m'offrir le luxe d'un taxi pour rejoindre le camping. Le chauffeur du seul taxi qui restait devant la gare était un gros homme poilu d'une quarantaine d'années, encastré dans son siège, et dont le regard ne se détachait pas de l'écran fixé entre le volant et le pare-brise, sur lequel on voyait un poulpe se déplacer lentement dans les fonds sous-marins. Arriver à Merano et mourir dans un accident de taxi? Non, le trafic était trop calme. Devant le camping, le taxi ajouta quelques taxes, dont je ne compris absolument pas la cause, au prix de la course, mais je n'essayais même pas de discuter, vaincue d'avance.
La dame au guichet du camping n'était pas celle que je connaissais, mais elle savait tout de l'histoire de la française et du chat perdu et à demi-retrouvé. Elle appela la vieille dame pour savoir où en étaient les allers et venues de Luna, mais raccrocha bien vite et me dit que le chat ne s'était pas présenté depuis deux jours, que la vieille dame m'avait prévenue, que je n'aurais pas dû venir, et qu'il faudrait que je reste quelques jours ou que je revienne plus tard.
" Ma che imposibile" m'exclamai-je avec inquiétude.
Par acquis de conscience et pour honorer un premier pèlerinage sur le lieu de la séparation, je me rendis sur le parking, derrière le camping, où j'avais vu Luna pour la dernière fois. Le soleil couchant, en l'éclairant de ses derniers rayons orange lui donnaient une chaleur et une personnalité que je ne lui avais pas trouvées la nuit du drame.
Je posai la caisse vide et appelai "Luna"!
Elle surgit aussitôt et trottina vers moi en miaulant avec affection. Je l'attrapai immédiatement, incrédule, mais oui, c'était bien Luna: légère comme un rayon de lune malgré sa robe de vache hollandaise, et la queue toujours aussi cassée. Elle ne cessait pas de miauler, ayant sans doute autant de choses à me raconter qu'à me reprocher. Je l'interrompis néanmoins pour la flanquer sans ménagement dans sa caisse, pour être bien certaine qu'elle n'allait pas repartir sans laisser d'adresse. Elle était pourtant maigre et sale, et n'avait sûrement aucune envie de revendiquer son indépendance pour le moment.
J'allai sonner chez la vieille dame qui l'avait nourrie: "E la regazza dil gato bianco e nero..." Je pense que l'inintelligibilité totale de la phrase dut lui faire comprendre immédiatement qui j'étais.
Elle sortit et poussa des cris d'émotion lorsqu'elle vit Luna dans sa boîte. Me racontant toute l'histoire du séjour de Luna dans le pâté de maison, elle appela une autre vieille, qui avait elle aussi pris très à cœur l'histoire de Luna. Les deux réunies ne pouvaient plus arrêter de se raconter l'histoire l'une à l'autre, me posant quelques questions supplémentaires pour étayer leur récit. Finalement, la seconde vieille remonta chez elle, et la première, rassurée à l'idée que j'allais dormir à l'auberge de jeunesse, m'offrit un collier rouge pour Luna.
Je repartis le cœur en joie, ma caisse au bout du bras, dans laquelle Luna, secouée comme dans un panier à salade, regrettait sans doute déjà son brusque accès d'affection.
15 minutes plus tard, une très jeune fille m'ouvrit la porte de l'auberge de jeunesse pour me dire qu'il n'y avait plus de place, et que la maison n'acceptait de toutes façons pas les animaux. Je la suppliais de me laisser une place sur un canapé, et promis que le chat resterait dans sa boîte, mais elle répéta exactement ce qu'elle venait de dire. Je lui demandais où je pouvais aller alors, et elle me répondit que je n'avais qu'à aller à l'hôtel en face, une belle et grande maison avec des rideaux de velours et une piscine entourée d'arbres en pots. Je lui fis remarquer que si j'avais de quoi m'offrir ce genre d'hôtel, je ne serais pas en train de la supplier pour avoir un bout de canapé. Elle me répondit que dans la vie, il fallait s'organiser. Brûlant de rage, je fis demi-tour sans même lui dire au revoir.
Mes parents m'ont toujours dit: "Ma chérie, quand tu as des soucis dans une ville étrangère, il y a toujours deux endroits où tu peux aller, quelle que soit le jour et l'heure: la paroisse et le commissariat".
La gendarmerie n'était occupée que par un vieux chien affalé sur le carrelage et un vieil homme en uniforme, qui ne put que me conseiller d'aller à l'office du tourisme, qui devait encore être ouvert à 22h15 ce soir, étant donné qu'il y avait une fête dans le vieux centre ville. Il m'indiqua le chemin (toute la conversation s'était tenue en italien) et me souhaita bonne chance.
J'avais très mal au bras (un chat dans un boîte, si léger soit-il, c'est lourd au bout d'un certain temps!!). Je décidai de ne pas utiliser ce qui me restait d'énergie à rager contre les éléments, compte tenu du risque grandissant d'avoir à passer la nuit sur un banc public devant la gare. En chemin, la fatigue aidant, j'oubliai les indications du vieux gendarme, et dus demander mon chemin vers l'office du tourisme.
Le groupe qui me répondit était composé de quadragénaires très élégants,et qui comme moi se dirigeaient vers le centre-ville. Ils proposèrent de m'accompagner, et en chemin, m'interrogèrent sur la présence de ce chat au bout de mon bras. Je leur racontais en allemand-italien-français, donc en peu de mots, l'histoire de Luna, qui leur plut énormément et ils décidèrent de m'aider à trouver une chambre pour ce soir.
Nous entrâmes cinq dans l'office du tourisme, mais le patronage des opérations fut rapidement prit en main par l'un des messieurs qui avait prêté le plus d'attention à mon histoire, un petit homme musclé au crâné luisant.
La jeune fille de l'office appela un premier hôtel, dit quelque chose à mon Samaritain, qui m'annonça la bonne nouvelle avec soulagement: chambre libre, animaux accepté, 55€. Je fis non de la tête, consternée.
Deuxième appel: 65€, animaux acceptés. Non.
Ce "non" impatienta un peu les bonnes âmes autour de moi, qui avaient prévu de passer une soirée entre amis à siroter des cocktails, et pas à faire le tour des tarifs des hébergements de la ville.
Il se passa un bon moment avant le troisième coup de fil. Je voulais absolument rentrer sous terre, car non seulement les gens qui m'aidaient étaient en train de se mordre un peu les doigts d'avoir impulsivement décidé de me prendre sous leurs ailes, mais en plus la perspective de passer la nuit sur un banc public devant la gare reprenait de la consistance. Enfin, elle appela un troisième hôtel.
Cette fois, elle nota une adresse sur un bout de papier que mon Samaritain en chef lui arracha aussitôt, avant d'attraper la cage de Luna en me faisant signe de le suivre. Le groupe se scinda en 2, une équipe ayant visiblement pour mission de prendre un verre, et l'autre de quitter le centre ville. Je pris le parti de suivre l'équipe qui tenait Luna. La main qui tenait sa caisse était bien plus vigoureuse que la mienne, et j'imaginais Luna, en plein tangage, de toutes ses griffes agrippée à sa petite couverture, les yeux exorbités, en train de ruminer: "sentimentalisme à deux balles, sentimentalisme à deux balles, sentimentalisme à deux balles... Mais qu'est-ce qui m'a pris de lui sauter dans les bras?" Nous marchions d'un pas pressé dans des rues mal éclairées. Un couple se sépara de notre groupe, et nous ne fumes plus que 4: M.Samaritain, Mme Samaritaine, Luna et moi.
Quelques rues encore, une résidence, un parking, une voiture noire, "hop, en voiture, Simone!", Luna sur mes genoux, démarrage en trombe, défilé de platanes, feu rouge. Feu vert, défilé de platanes, virage en épingle à cheveux, je reconnais l'hippodrome, à côté du camping, et une rue que j'avais longée une semaine auparavant à la recherche du fauve qui tremblait maintenant dans sa boîte, et que j'essayais de caresser à travers les barreaux. Finalement, stop: un parking d'hôtel.
On descend. M.Samaritain attrape à nouveau Luna, et prend d'un pas de ministre la direction de la réception. Sa femme marche à côté de moi, les yeux brillants. Il sort un billet de 50€.
Je pense: "Non... il va pas faire ça?"
Il dit 3 mots au réceptionniste, pose le billet sur le comptoir, me claque une bise et disparaît.
Je pense: "Il l'a fait...", et l'ombre d'une nuit sur un banc public s'évapore comme un mauvais rêve, et ma conscience va se coucher en grognant: "compte pas sur moi pour te donner un avis sur la question".
Sa femme m'attrape par les épaules, me fait la bise, visiblement très émue, et retourne elle aussi à la voiture, en me faisant de grands signes de la main.
Je reste abasourdie, Luna dans sa caisse miaule comme une malheureuse, et le réceptionniste me regarde avec une curiosité bienveillante.

Ce fut une excellente nuit dans une chambre d'hôtel individuelle avec une douche (Ô, que bénie pour toujours soit la mère de l'heureux génie qui inventa la douche!!) et Luna au sommeil entrecoupé, venant régulièrement me roucouler dans le cou pour vérifier que moi, j'étais bien toujours endormie.

Ce fut un excellent petit déjeuner, avec buffet à volonté et produits de bonne qualité... Je glissai même subrepticement sous l'œil sévère de la serveuse deux petits sandwichs de confiture dans mon sac, en prévision de la longue journée de train qui nous attendait.

Ce fut 7h30 Merano => Bolzano => Verona => Milano => Torino => Modane (échange de TGV: tous ceux qui venaient d'Italie sont montés dans le TGV de tous ceux qui venaient de France. Il est nécessaire d'offrir des voyages animés aux usagers pour stimuler leur sens de l'humour) => Aéroport Lyon Saint Exupéry => Lyon Perrache => Appartement de ma cousine 23h45 =>Ville-Franche (11h)

Le lendemain, j'arrivai au bureau de mon oncle muette d'épuisement avec une Luna résignée dans sa boite au bout de mon bras, si pitoyable mais victorieuse que ma tante me raccompagna sans se faire prier jusqu'à leur domicile où j'avais laissé ma voiture et toutes mes affaires.

Voilà comment Luna et moi nous nous sommes séparées et retrouvées en une semaine.
Je ne sais même pas les prénoms des gens aux quels je dois d'avoir dormi comme une reine dans un joli petit hôtel de Merano, mais je les remercie infiniment pour ce geste de générosité offert sans ostentation ni prétention en simple réaction à l'histoire de la fille au chat.





Grazie Mile!!

samedi 13 août 2011

Les banquières I: Romantique

Les banquières ne sont généralement pas des femmes qu'on va voir avec un enthousiasme particulier. Mais comme dit la sagesse populaire, c'est quand on attend rien qu'on peut être agréablement surpris. Bon, ce n'est pas toujours vrai, mais de temps en temps, en effet...

A Murcia, il me fallait un compte dans une banque espagnole pour recevoir mon salaire du collège. J'avais pris rendez-vous dans la banque la plus proche de chez moi, ne voyant dans cette démarche qu'une nécessité purement provisoire et alimentaire. Lorsque j'arrivai à la banque, on me fit entrer dans le demi bureau (vivre l'open space!) d'une dame d'une quarantaine d'année, grassouillette, fermée comme une huître, et qui ne me jeta que du bout des yeux un demi-regard pour s'assurer que j'étais bien là.
Je n'en n'éprouvais ni colère ni vexation, ne considérant moi-même cet entretien que comme un épiphénomène destiné à retarder d'une demi-heure le déjeuner.
Et pourtant, à peine avait-elle découvert que j'étais française et que je venais de Paris que la petite femme se métamorphosa: "Ah! Paris!! Que hermoso! Que romantico!" Ses yeux brillaient, elle en oublia un instant de fixer son ordinateur, et son regard se perdit dans la contemplation imaginaire de son Paris, probablement très différent du mien. Elle finit par baisser les yeux vers moi, et je bénéficiai alors de tout l'amour qu'elle venait de déployer pour Paris.
"Y a donde sale Usted en Paris? Tiene que conocer perfectamente la ciudad... Yo solo la Torre Eiffel, el rio Sena, el Luvre... Donde estan las partes mas hermosas? digame..."
Mais elle ne m'écoutait pas.
Ma banquière avait décollé sous mes yeux, direction Paris, mais un Paris qui lui appartenait et qui évoquait pour elle un monde dont j'ignorais tout, mais qui l'avait transfigurée.

Avait-elle jadis vécu une belle histoire d'amour à Paris? Ou une histoire passionnelle avec un camembert? Ou découvert quelque chose de très important sur elle même sous un tilleul du jardin des Tuileries? Ou eu une aventure entre champagne et champignons sur les Champs Élysées?

Elle me quitta en me serrant la main avec émotion, accrochée à son petit nuage, et chaque fois que j'eus affaire à elle plus tard, elle m'accueillit avec la plus grande chaleur et fit tout son possible pour satisfaire mes moindres besoins.

samedi 6 août 2011

Se souvenir de Luna








Une semaine plus tard, alors que j'arrivai à Nice avec des amis, j'ai reçu un coup de fil de Luna qui avait transmis à une vieille dame qui la nourrissait qui avait transmis à la dame du camping de Merano le message suivant: "je suis vivante, je suis seule et abandonnée, mais pas encore sauvage, parce que je mange dans la gamelle d'un autre chat et qu'on me tolère pour l'instant."

Assez embêtée, je constatai qu'une absence totale de sentiment à l'égard de cette nouvelle m'empêchait de prendre la moindre décision quant à la conduite à tenir.
En bonne cartésienne, j'optais pour une méthode dont l'efficacité n'est plus à prouver: la dissertation.

I. Données pratiques relatives à nos positions géographiques respectives à Luna et à moi: 
_ Au moins 700km de distance. Les Alpes en cours de chemin.
_ Argent: un gouffre financier.
_ Temps: une hémorragie d'heures que même un bon livre (en l'occurrence: A l'Ouest rien de nouveau) ne compenserait pas.

II. Emotions:
Le vide.

III. Conscience et devoir: 
Je suis le seul être humain sur Terre responsable de la sécurité de Luna. Si Luna a besoin de protection, c'est donc à moi de m'y coller. Or Luna a besoin de protection. Donc je dois faire le nécessaire pour la protéger.



Conclusion: Il s'agissait de s'assurer que Luna était fidèle à sa gamelle d'accueil, puis de regarder sans trop se poser de questions les horaires des trains pour la première correspondance en Italie, puis de mettre une bouteille d'eau et un livre dans un sac à dos, et enfin, à l'aube d'un beau jour d'août, la boîte de Luna à la main, monter dans un train.


Quelques kilomètres avant la frontière italienne, la vieille dame m'appela pour me dire (en italien) que Luna n'était pas venue depuis plus de 24h, et qu'il ne fallait pas que je vienne. Ma mère immédiatement consultée me fit remarquer que quitte à être dans le train pour Merano, opportunité qui ne se reproduirait plus, il valait mieux aller jusqu'au bout pour se libérer de tout risque de remords, et que chat ou pas chat, la question se règlerait là où nos chemins s'étaient séparés, pas dans le train.

Pendant que ma voiture prenait un repos bien mérité sur la terrasse d'une belle maison beaujolaise, j'enchaînais 8 trains pendant 14h d'une interminable journée.



vendredi 8 juillet 2011

Si you soon, je soon aussi

Attention,
ce blog n'est pas mort, il dort.
Et à tout instant il peut se réveiller: un rayon de soleil, un baiser, un frôlement de moustache de chat, un coup de klaxon, une goutte de pluie, une odeur de muscles, ... il suffira d'un rien, un matin.
A très bientôt,

Marjolaine

jeudi 31 mars 2011

Oublier Luna

Turin (Torino dans la version originale) n'est pas moche. Elle n'a pas un physique facile, ce n'est pas la même chose. Une légère surcharge minérale et métallique lui épargne le souci d'être douce, joyeuse, chaleureuse et accueillante, attributs inutiles. Turin n'a rien à perdre (hormis des tonnes de pierres, de colonnes, de béton, ...): ni la grâce, ni les espaces verts, ni l'air frais. Mais qui s'en préoccupe? Turin est riche, grosse, épanouie dans son corset, elle a le transit juste suffisamment chargé pour démontrer son importance, et bien assez de boutiques et de restaurants pour faire diversion.
Ce n'est pas Turin qui retient l'attention mais ce qu'on trouve dedans. Et dedans, à minuit un soir de juillet, tellement démontée par 12h de conduites dont 3h d'embouteillages et 2h30 de perdition que je ne sentais plus ni la tristesse, ni la faim, ni la chaleur, je trouvais une amie qui m'avait anxieusement attendue toute la soirée.
A partir de ce soir là, je n'ai plus pensé à Luna.
La voiture était garée en bas, avec sa boîte à chat et sa gamelle estampillée "Luna", et je ne les voyais plus. Je passais mes journées dans les rues, n'ayant aucune envie de visiter les musées, les palais, les églises et autres synapses culturelles de la ville.
Il y a des moments où l'on n'a pas envie de mesurer sa petitesse à la grandeur des autres.
J'ai tout de même croisé par hasard le bourg médiéval du parc du Pô, un vestige de l'exposition internationale de 1884 (c'est du moins ce qu'on dit sur internet), village complètement artificiel, construit pour donner une illusion médiévale. On adhère ou non à l'illusion, mais on se sent un peu dans un film de Robin des Bois, sans Robin des Bois.
L'appartement où j'ai passé ces 5 jours était beau, coloré, dépareillé, plein de chats et de bébés.
"Heureusement que Luna n'est pas là, finis-je par penser, parce que ç'aurait été la croix et la bannière pour la garder saine et sauve ici, au milieu de tous ces chats, tous ces bébés et toutes ces fenêtres ouvertes!"
Au coin de la rue, une vieille femme attendait en fumant que le piéton s'arrête, les cyber cafés étaient pleins de jeunes africains un peu perdus, avides de nouvelles des leurs, et moi, accoudée au balcon, je guettais le retour d'Eve qui travaillait sur un chantier de restauration d'une mosaïque dans une cage d'escalier.
J'avais oublié Luna et je recevais avec une froide avidité les messages de mes proches et amis, informés du drame, qui me disaient:
"_ Elle est maline, elle s'en sortira très bien"
"_ Tu ne pouvais rien faire de plus que ce que tu as fait. Ce n'est pas ta faute."
"_ Meeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeerde..."
"_ Tu lui as déjà offert la meilleure vie dont elle pouvait rêver pendant un an et demie...tout a une fin!"
"_ Elle a réclamé sa liberté de chat, ton devoir d'humaine c'est de respecter sa volonté de chat"
"_ On t'en trouvera une autre!... une de perdue... "
"_ Vous vous êtes beaucoup aimées, c'était très beau..."
Le jour du départ est arrivé. C'était le jour du retour en France, et la France m'avait manqué. L'excitation de retrouver ma langue, mes panneaux routiers, ma géographie, mes croissants, mes stations de radio disponibles en fm... achevait d'effacer Luna de ma mémoire brouillée.

"Je te pleurerai plus tard, puce", pensai-je.

vendredi 25 mars 2011

Perdre Luna

Quand Luna m'a quittée, cet été, je l'ai d'abord pris à titre personnel. Très émue, à 7h00 du matin, j'ai appelé ma mère, le cœur au bord des lèvres.
Luna était partie l'œil bravache, sautillant entre les brins d'herbes, avec une légèreté moqueuse qui semblait dire: "Ne me prends pas pour un chien. Je suis un chat, et je m'en vais toute seule quand je veux!"
"Toute seule", c'est en tous cas ce que j'avais ressenti très fort ce matin là.
"Et voilà, pensai-je, une fois encore ma vie est jetable: logements jetables, vêtements jetable, collègues jetables, saisons jetables dans des pays jetables... et quand c'est pas moi qui jète, c'est par mon chat que je me fais jeter! On n'est pas prêts de rentrer dans l'économie durable, à ce rythme là..."
Les pieds enfoncés dans la terre sèche et dure du camping de Merano, je n'osai pas partir: "Allez, elle ne m'a pas jetée, elle s'est perdue, elle a besoin de moi quelque part ici..." murmurai-je sans conviction, blessée par cette désertion.

"Il gato mio... bianco e nero, e perdido... la cola nera rota... io ...camping"
Les vieilles dames du quartier buvaient du petit lait! Un chat perdu, délicate affaire qui réclamait au moins toute leur science de félinophiles! Rien n'était sûr. Tout pouvait arriver ou être arrivé. A les voir se réunir et s'interpeler de chaise en chaise, je repensais au film de Cédric Klapisch: Chacun cherche son chat, lorsqu'un régiment de vieilles femmes solitaires se réunit pour retrouver le chat de Chloé, ravies de l'aventure, ravies de se sentir utiles et compétentes et égoïstement ravies qu'une jeune fille fraîche soit obligée de faire appel à elles.


Mais je suis quand même partie, moi. J'ai laissé mon numéro de téléphone au camping et j'ai maudit l'Italie, qui en moins de 24h sur son territoire avait trouvé le moyen de me ravir ma compagne la plus féline et poilue.
"Ça m'apprendra!" grognai-je en me rongeant les ongles au volant.
Je suis partie parce que j'ignorais si Luna était toujours en vie, et parce que je pensais qu'elle m'avait trahie, et que c'était elle qui était partie la première, et puis je devais être à Turin ce soir là.
Dans la boîte à chat vide sur la banquette arrière il n'y avait plus que des poils et sa gamelle en céramique estampillée "Luna" par moi pour Noël.

Assise à côté de moi, à la place du mort, sa ceinture de sécurité prudemment bouclée et la main crispée sur mon cœur serré, une angoisse sombre et musclée me regardait intensément et me répétait sans trêve que j'avais été abandonnée par mon alter ego moustachu avant de l'abandonner à mon tour.

C'est cette angoisse, grinçante remplaçante de la boudeuse Luna, qui a mal lu la carte pendant toute la journée (l'angoisse est un très mauvais co-pilote), qui m'a clouée dix heures de suite au volant sans repos (à l'exception d'une pause larmes et tarte aux fruits dans un restaurant d'alpage). C'est elle encore qui me tenait la gorge quand j'ai hurlé dans ma voiture sur le périphérique de Milano.
On en a des heures de route derrière nous, l'angoisse et moi!!

vendredi 18 février 2011

Le conte est bon

25 novembre 2010

Il était venu de Saint Elie de Caxton, au Québec, et moi j'arrivais tout juste de la fac, un panini tomate-mozzarella à la main pour lutter contre les premiers froids.
Il ne payait pas de mine, un grand tee-shirt à rayures, ses lunettes sur le nez, une tasse à la main. Moi j'attendais qu'il parle, armée d'un stylo et d'un calepin, le cœur un peu ému.
Fred Pellerin, ça faisait déjà plus de 2 ans qu'il se légendifiait doucement dans ma tête. A son insu mais pas malgré lui, nous avions fait connaissance à Sept-Iles (Québec) en octobre 2008, entre les pages de livres dans lesquels avec un talent immense il refaisait humblement un tout petit bout du monde: Saint Elie de Caxton, son village natal.
Et quand je vous dis qu'il refaisait le monde, je pèse mes mots, parce que c'est bien ce qui se passait. Je ne sais pas ce qu'il leur avait fait ou promis, mais le nuage de mots autour de lui se laissait docilement tourner, maquiller, travestir pour servir son entreprise de mutinerie langagière.
Le Québec est une "petite" province à l'est du Canada, au nord du continent américain. A part la Guyane française et Haïti, il est le seul représentant de la langue de Molière sur le continent.
Fred Pellerin nous a raconté une visite épique de la mort (que l'on voit toujours de profil, jamais en face, parce qu'elle est "très peu impliquée dans la troisième dimension") à Saint Elie de Caxton pour emporter la belle Lurette, la bataille qui s'en était suivie avec la Stroppe, une femme "à l'existence spontanée", car ne provenant de nulle part, elle "s'était provenue toute seule", et le chaos qui en avait résulté dans tout le village, la mort étant morte, la Stroppe volatilisée et la belle Lurette "qui déclinait comme une langue morte", enfin revécue.
Il a interludé par quelques chansons: la chanson pour ceux qui voyagent, la chanson de sa grand-mère et la chanson de la bergère que chantent toutes les familles québécoises depuis toujours quand elles se trouvent réunies.
"Mais au Québec, y'a jamais eu de bergère", ajoute doucement Fred Pellerin.
Enfin, Fred Pellerin nous a expliqué l'amour des québécois pour cette langue qui les isole et les identifie sur leur grand continent: "Pour parler français chez nous, ça prend de la résistance, l'appui de la France - en 2 génération ça disparaît, une langue-, de l'oral et beaucoup, beaucoup, beaucoup plus d'inventivité".
Aaaaah... c'est donc cela qu'il leur a promis aux mots: qu'ils se prêtent à sa fantaisie, en échange de quoi, grand seigneur, il leur offre une chance de survie...
Après, il ne restait plus grand chose à ajouter, alors il a ouvert la boîte à silence de sa grand-mère pendant une minute, et a terminé le spectacle par cette phrase que je vous laisse méditer:
"C'est dans le silence qu'on fait les plus belles chansons, mais c'est dans les chansons qu'on fait les plus beaux silences".





Merci Fred Pellerin!

Quelques titres:
_ Dans mon village il y a belle Lurette
_ Il faut prendre le taureau par les contes
_ Comme une odeur de muscles
_ et un extrait du spectacle que j'ai vu: L'Arracheuse de temps