mardi 11 décembre 2012

Vieux souvenirs

Il y a quelques mois, je vous avais parlé des cantines d'Arequipa.
Celles qui entouraient l'université visaient bien sûr en priorité les étudiants. Mais elles attiraient aussi des employés des entreprises avoisinantes et des personnes âgées.
Lorsque j'entrais dans les cantines, j'étais souvent l'objet de regards mi-interrogateurs, mi-réprobateurs. La présence d'étrangers dans l'intimité gastronomique de la cantine surprenait tout le monde et semblait presque en déranger certains.
Une des personnes les plus impassibles à mon passage était un vieil homme très droit et digne. Il déjeunait seul, silencieusement, vêtu d'un beau costume sombre, il était raide, élégant, sec et fripé, noble, indifférent au monde extérieur. Il me faisait penser à un personnage de bande dessinée, ou de théâtre tant son apparence noble et discrète contrastait joliment avec la simplicité populaire du lieu. Bien souvent, je n'avais d'yeux que pour lui (et pour mon assiette)!
Mais les personnes âgées des cantines étaient des personnes pleines de surprises!
Un jour, une femme vint déposer à la table voisine de la nôtre une centenaire branlante et délirante, qu'elle laissa affalée sur une chaise. L'ancêtre était visiblement impatiente de manger, et tenta de nous communiquer, dans une langue difficilement compréhensible, son enthousiasme. Et puis, déçue de notre manque de réaction, elle se mit à taper franchement sur la table, sa fourchette dressée dans sa main, en criant, pour faire venir plus vite la serveuse.
Elle commanda avec une ferveur remarquable un "pastel de papas" (gâteau de pommes de terre: c'est comme le gratin dauphinois, mais en plus épais et sec), et lorsqu'il arriva, elle se jeta dessus, tendant la tête hors de ses épaules crochues, comme une vieille tortue qui sort de sa carapace pour engloutir une tomate.
Au bout de quelques bouchées, cependant, elle arrêta de manger et commença à récupérer la nourriture à pleine mains pour la glisser directement dans ses poches. Finalement, elle attrapa de gros morceaux de gâteau pour en bombarder les pigeons ravis sur le trottoir.
Entre "Monsieur élégance" et "Mémé Cracra", les personnes âgées valaient mille télévisions, d'où cet hommage tardif aux vieux condors du Pérou! Merci à vous!!!!!

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