Quand Luna m'a quittée, cet été, je l'ai d'abord pris à titre personnel. Très émue, à 7h00 du matin, j'ai appelé ma mère, le cœur au bord des lèvres.
Luna était partie l'œil bravache, sautillant entre les brins d'herbes, avec une légèreté moqueuse qui semblait dire: "Ne me prends pas pour un chien. Je suis un chat, et je m'en vais toute seule quand je veux!"
"Toute seule", c'est en tous cas ce que j'avais ressenti très fort ce matin là.
"Et voilà, pensai-je, une fois encore ma vie est jetable: logements jetables, vêtements jetable, collègues jetables, saisons jetables dans des pays jetables... et quand c'est pas moi qui jète, c'est par mon chat que je me fais jeter! On n'est pas prêts de rentrer dans l'économie durable, à ce rythme là..."
Les pieds enfoncés dans la terre sèche et dure du camping de Merano, je n'osai pas partir: "Allez, elle ne m'a pas jetée, elle s'est perdue, elle a besoin de moi quelque part ici..." murmurai-je sans conviction, blessée par cette désertion.
"Il gato mio... bianco e nero, e perdido... la cola nera rota... io ...camping"
Les vieilles dames du quartier buvaient du petit lait! Un chat perdu, délicate affaire qui réclamait au moins toute leur science de félinophiles! Rien n'était sûr. Tout pouvait arriver ou être arrivé. A les voir se réunir et s'interpeler de chaise en chaise, je repensais au film de Cédric Klapisch: Chacun cherche son chat, lorsqu'un régiment de vieilles femmes solitaires se réunit pour retrouver le chat de Chloé, ravies de l'aventure, ravies de se sentir utiles et compétentes et égoïstement ravies qu'une jeune fille fraîche soit obligée de faire appel à elles.
Mais je suis quand même partie, moi. J'ai laissé mon numéro de téléphone au camping et j'ai maudit l'Italie, qui en moins de 24h sur son territoire avait trouvé le moyen de me ravir ma compagne la plus féline et poilue.
"Ça m'apprendra!" grognai-je en me rongeant les ongles au volant.
Je suis partie parce que j'ignorais si Luna était toujours en vie, et parce que je pensais qu'elle m'avait trahie, et que c'était elle qui était partie la première, et puis je devais être à Turin ce soir là.
Dans la boîte à chat vide sur la banquette arrière il n'y avait plus que des poils et sa gamelle en céramique estampillée "Luna" par moi pour Noël.
Assise à côté de moi, à la place du mort, sa ceinture de sécurité prudemment bouclée et la main crispée sur mon cœur serré, une angoisse sombre et musclée me regardait intensément et me répétait sans trêve que j'avais été abandonnée par mon alter ego moustachu avant de l'abandonner à mon tour.
C'est cette angoisse, grinçante remplaçante de la boudeuse Luna, qui a mal lu la carte pendant toute la journée (l'angoisse est un très mauvais co-pilote), qui m'a clouée dix heures de suite au volant sans repos (à l'exception d'une pause larmes et tarte aux fruits dans un restaurant d'alpage). C'est elle encore qui me tenait la gorge quand j'ai hurlé dans ma voiture sur le périphérique de Milano.
On en a des heures de route derrière nous, l'angoisse et moi!!
Ah l'angoisse... cette fidèle compagne des jours (pas très) heureux.
RépondreSupprimerOh non, je l'aimais beaucoup ta Luna ! J'imagine ton coeur lourd... Mais elle a peut-être simplement fait comme Buck, dans L'appel de la forêt, pour faire plein de petites Luna ?...
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