dimanche 2 octobre 2011

Rendez-vous avec la Luna

7h30 Ville-Franche => Lyon => Chambéry => Torino => Milano => Verona => Bolzano => Merano : 21h30



J'arrivai crasseuse et lasse à Merano et décidai de m'offrir le luxe d'un taxi pour rejoindre le camping. Le chauffeur du seul taxi qui restait devant la gare était un gros homme poilu d'une quarantaine d'années, encastré dans son siège, et dont le regard ne se détachait pas de l'écran fixé entre le volant et le pare-brise, sur lequel on voyait un poulpe se déplacer lentement dans les fonds sous-marins. Arriver à Merano et mourir dans un accident de taxi? Non, le trafic était trop calme. Devant le camping, le taxi ajouta quelques taxes, dont je ne compris absolument pas la cause, au prix de la course, mais je n'essayais même pas de discuter, vaincue d'avance.
La dame au guichet du camping n'était pas celle que je connaissais, mais elle savait tout de l'histoire de la française et du chat perdu et à demi-retrouvé. Elle appela la vieille dame pour savoir où en étaient les allers et venues de Luna, mais raccrocha bien vite et me dit que le chat ne s'était pas présenté depuis deux jours, que la vieille dame m'avait prévenue, que je n'aurais pas dû venir, et qu'il faudrait que je reste quelques jours ou que je revienne plus tard.
" Ma che imposibile" m'exclamai-je avec inquiétude.
Par acquis de conscience et pour honorer un premier pèlerinage sur le lieu de la séparation, je me rendis sur le parking, derrière le camping, où j'avais vu Luna pour la dernière fois. Le soleil couchant, en l'éclairant de ses derniers rayons orange lui donnaient une chaleur et une personnalité que je ne lui avais pas trouvées la nuit du drame.
Je posai la caisse vide et appelai "Luna"!
Elle surgit aussitôt et trottina vers moi en miaulant avec affection. Je l'attrapai immédiatement, incrédule, mais oui, c'était bien Luna: légère comme un rayon de lune malgré sa robe de vache hollandaise, et la queue toujours aussi cassée. Elle ne cessait pas de miauler, ayant sans doute autant de choses à me raconter qu'à me reprocher. Je l'interrompis néanmoins pour la flanquer sans ménagement dans sa caisse, pour être bien certaine qu'elle n'allait pas repartir sans laisser d'adresse. Elle était pourtant maigre et sale, et n'avait sûrement aucune envie de revendiquer son indépendance pour le moment.
J'allai sonner chez la vieille dame qui l'avait nourrie: "E la regazza dil gato bianco e nero..." Je pense que l'inintelligibilité totale de la phrase dut lui faire comprendre immédiatement qui j'étais.
Elle sortit et poussa des cris d'émotion lorsqu'elle vit Luna dans sa boîte. Me racontant toute l'histoire du séjour de Luna dans le pâté de maison, elle appela une autre vieille, qui avait elle aussi pris très à cœur l'histoire de Luna. Les deux réunies ne pouvaient plus arrêter de se raconter l'histoire l'une à l'autre, me posant quelques questions supplémentaires pour étayer leur récit. Finalement, la seconde vieille remonta chez elle, et la première, rassurée à l'idée que j'allais dormir à l'auberge de jeunesse, m'offrit un collier rouge pour Luna.
Je repartis le cœur en joie, ma caisse au bout du bras, dans laquelle Luna, secouée comme dans un panier à salade, regrettait sans doute déjà son brusque accès d'affection.
15 minutes plus tard, une très jeune fille m'ouvrit la porte de l'auberge de jeunesse pour me dire qu'il n'y avait plus de place, et que la maison n'acceptait de toutes façons pas les animaux. Je la suppliais de me laisser une place sur un canapé, et promis que le chat resterait dans sa boîte, mais elle répéta exactement ce qu'elle venait de dire. Je lui demandais où je pouvais aller alors, et elle me répondit que je n'avais qu'à aller à l'hôtel en face, une belle et grande maison avec des rideaux de velours et une piscine entourée d'arbres en pots. Je lui fis remarquer que si j'avais de quoi m'offrir ce genre d'hôtel, je ne serais pas en train de la supplier pour avoir un bout de canapé. Elle me répondit que dans la vie, il fallait s'organiser. Brûlant de rage, je fis demi-tour sans même lui dire au revoir.
Mes parents m'ont toujours dit: "Ma chérie, quand tu as des soucis dans une ville étrangère, il y a toujours deux endroits où tu peux aller, quelle que soit le jour et l'heure: la paroisse et le commissariat".
La gendarmerie n'était occupée que par un vieux chien affalé sur le carrelage et un vieil homme en uniforme, qui ne put que me conseiller d'aller à l'office du tourisme, qui devait encore être ouvert à 22h15 ce soir, étant donné qu'il y avait une fête dans le vieux centre ville. Il m'indiqua le chemin (toute la conversation s'était tenue en italien) et me souhaita bonne chance.
J'avais très mal au bras (un chat dans un boîte, si léger soit-il, c'est lourd au bout d'un certain temps!!). Je décidai de ne pas utiliser ce qui me restait d'énergie à rager contre les éléments, compte tenu du risque grandissant d'avoir à passer la nuit sur un banc public devant la gare. En chemin, la fatigue aidant, j'oubliai les indications du vieux gendarme, et dus demander mon chemin vers l'office du tourisme.
Le groupe qui me répondit était composé de quadragénaires très élégants,et qui comme moi se dirigeaient vers le centre-ville. Ils proposèrent de m'accompagner, et en chemin, m'interrogèrent sur la présence de ce chat au bout de mon bras. Je leur racontais en allemand-italien-français, donc en peu de mots, l'histoire de Luna, qui leur plut énormément et ils décidèrent de m'aider à trouver une chambre pour ce soir.
Nous entrâmes cinq dans l'office du tourisme, mais le patronage des opérations fut rapidement prit en main par l'un des messieurs qui avait prêté le plus d'attention à mon histoire, un petit homme musclé au crâné luisant.
La jeune fille de l'office appela un premier hôtel, dit quelque chose à mon Samaritain, qui m'annonça la bonne nouvelle avec soulagement: chambre libre, animaux accepté, 55€. Je fis non de la tête, consternée.
Deuxième appel: 65€, animaux acceptés. Non.
Ce "non" impatienta un peu les bonnes âmes autour de moi, qui avaient prévu de passer une soirée entre amis à siroter des cocktails, et pas à faire le tour des tarifs des hébergements de la ville.
Il se passa un bon moment avant le troisième coup de fil. Je voulais absolument rentrer sous terre, car non seulement les gens qui m'aidaient étaient en train de se mordre un peu les doigts d'avoir impulsivement décidé de me prendre sous leurs ailes, mais en plus la perspective de passer la nuit sur un banc public devant la gare reprenait de la consistance. Enfin, elle appela un troisième hôtel.
Cette fois, elle nota une adresse sur un bout de papier que mon Samaritain en chef lui arracha aussitôt, avant d'attraper la cage de Luna en me faisant signe de le suivre. Le groupe se scinda en 2, une équipe ayant visiblement pour mission de prendre un verre, et l'autre de quitter le centre ville. Je pris le parti de suivre l'équipe qui tenait Luna. La main qui tenait sa caisse était bien plus vigoureuse que la mienne, et j'imaginais Luna, en plein tangage, de toutes ses griffes agrippée à sa petite couverture, les yeux exorbités, en train de ruminer: "sentimentalisme à deux balles, sentimentalisme à deux balles, sentimentalisme à deux balles... Mais qu'est-ce qui m'a pris de lui sauter dans les bras?" Nous marchions d'un pas pressé dans des rues mal éclairées. Un couple se sépara de notre groupe, et nous ne fumes plus que 4: M.Samaritain, Mme Samaritaine, Luna et moi.
Quelques rues encore, une résidence, un parking, une voiture noire, "hop, en voiture, Simone!", Luna sur mes genoux, démarrage en trombe, défilé de platanes, feu rouge. Feu vert, défilé de platanes, virage en épingle à cheveux, je reconnais l'hippodrome, à côté du camping, et une rue que j'avais longée une semaine auparavant à la recherche du fauve qui tremblait maintenant dans sa boîte, et que j'essayais de caresser à travers les barreaux. Finalement, stop: un parking d'hôtel.
On descend. M.Samaritain attrape à nouveau Luna, et prend d'un pas de ministre la direction de la réception. Sa femme marche à côté de moi, les yeux brillants. Il sort un billet de 50€.
Je pense: "Non... il va pas faire ça?"
Il dit 3 mots au réceptionniste, pose le billet sur le comptoir, me claque une bise et disparaît.
Je pense: "Il l'a fait...", et l'ombre d'une nuit sur un banc public s'évapore comme un mauvais rêve, et ma conscience va se coucher en grognant: "compte pas sur moi pour te donner un avis sur la question".
Sa femme m'attrape par les épaules, me fait la bise, visiblement très émue, et retourne elle aussi à la voiture, en me faisant de grands signes de la main.
Je reste abasourdie, Luna dans sa caisse miaule comme une malheureuse, et le réceptionniste me regarde avec une curiosité bienveillante.

Ce fut une excellente nuit dans une chambre d'hôtel individuelle avec une douche (Ô, que bénie pour toujours soit la mère de l'heureux génie qui inventa la douche!!) et Luna au sommeil entrecoupé, venant régulièrement me roucouler dans le cou pour vérifier que moi, j'étais bien toujours endormie.

Ce fut un excellent petit déjeuner, avec buffet à volonté et produits de bonne qualité... Je glissai même subrepticement sous l'œil sévère de la serveuse deux petits sandwichs de confiture dans mon sac, en prévision de la longue journée de train qui nous attendait.

Ce fut 7h30 Merano => Bolzano => Verona => Milano => Torino => Modane (échange de TGV: tous ceux qui venaient d'Italie sont montés dans le TGV de tous ceux qui venaient de France. Il est nécessaire d'offrir des voyages animés aux usagers pour stimuler leur sens de l'humour) => Aéroport Lyon Saint Exupéry => Lyon Perrache => Appartement de ma cousine 23h45 =>Ville-Franche (11h)

Le lendemain, j'arrivai au bureau de mon oncle muette d'épuisement avec une Luna résignée dans sa boite au bout de mon bras, si pitoyable mais victorieuse que ma tante me raccompagna sans se faire prier jusqu'à leur domicile où j'avais laissé ma voiture et toutes mes affaires.

Voilà comment Luna et moi nous nous sommes séparées et retrouvées en une semaine.
Je ne sais même pas les prénoms des gens aux quels je dois d'avoir dormi comme une reine dans un joli petit hôtel de Merano, mais je les remercie infiniment pour ce geste de générosité offert sans ostentation ni prétention en simple réaction à l'histoire de la fille au chat.





Grazie Mile!!

2 commentaires:

  1. Ah, ma Luna, enfin celle de Marjolaine, je suis si heureuse de la belle fin de cette histoire !!! Tu parlare italiano bene, maintenant, hein ?!! Bon, moi je parle mieux le breton, quand même... Ciao, ciao, bella ragazza !
    CHIPIE la bretonne, pas fugueuse pour un sou, depuis que j'ai passé un mois dans la nature après la mort de ma mamie de maîtresse et que j'ai été adoptée par Colibri, je rentre pile poil à l'heure, surtout quand elle charge la voiture, trop peuuurrr de rester dehors toute seule au pays des korrigans !!!

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  2. Je ne me lasse pas de cette histoire pleine de rebondissements, de gentillesses et de surprises :)
    Elle arriverait presque à me réconcilier avec les Italiens. Presque !
    En tout cas, c'est une très belle histoire et je ne pense pas que beaucoup de gens auraient fait tout ce chemin pour retrouver leur chat. Luna t'en saura gré à tout jamais !!

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