dimanche 23 mai 2010

Une nuit en Pologne



Aux dernières nouvelles, nous étions arrivées à l'auberge de jeunesse, où nous attendaient Morphée et le marchand de sable, complètement bourrés, finissant de dîner avec un groupe de flamands roses tirant déjà un peu sur le rouge.
Il semblerait que dans un souci de ne pas déranger, ils soient tous partis prendre encore quelques couleurs supplémentaires dans les bars accueillants de la ville. Tous partis. Même Morphée et le marchand de sable. Pendant que j'étais sous la douche.
Quand j'en suis sortie, propre et molle, prête à m'offrir une bonne nuit de sommeil reconstituant, il n'y avait plus personne dans la salle à manger et Pauline dormait déjà à poings fermés.
Allongée dans le noir, je commençais à ruminer les évènements de la journée. J'avais trop chaud. Ce que je voyais quand je fermais les yeux ne me plaisait qu'à moitié. Je les gardai donc ouverts.
A quoi pense-t-on quand on essaie en vain de dormir?

Scénario n°1:
"_ Pense à autre chose. Plus tu seras calme, plus t'auras de chances de dormir.
_ Pourquoi tu me dis de me calmer? Je suis très calme, p***!!!
_ Nan mais c'est pas ce que je voulais dire, mais c'est juste que... enfin tu vois, si tu penses que t'essaies de dormir, ben t'es pas prête d'y arriver...
_ C'est une menace?
_ Ah mais en fait ça te rend complètement parano de chercher le sommeil, toi!!
_ Quoi???!!! Répète un peu pour voir, vas-y!! Répète!!!!"

Scénario n°2:
_ Je crois que j'ai toujours pensé que les gens croyaient que ce qu'on pensait ne nous définissait pas nous, mais limitait la pensée même de nos actes, réalisés ou fantasmés. Mais en fait, c'est peut-être plutôt l'inverse. Ou alors il faudrait nuancer...

Scénario n°3:
_ Ma vie est un échec de bord en bord! J'ai réussi quoi, moi? 25ans et pas de diplôme déterminant, pas de vraie expérience professionnelle, pas de copain, pas de foyer, des amis qui finiront un jour ou l'autre par se demander comment elle s'appelait déjà, la nana qui s'est barrée avec sa vieille voiture et son chat à la queue cassée pour enseigner le français à une époque où plus personne n'en n'avait rien à foutre??? Un quart de siècle pour rien! Tiens, ça mérite pas de dormir, en effet! Bien fait!! Qu'est ce que je vais faire...?

Scénario n°4:
_ .... et alors là, le Suisse, il dit au Québécois: mais tu l'as pêché où? AAAAAhhhhhh ah ah ah!! Vous avez compris? Pêché où!!!! Ah bon sang ce qu'elle est bonne!!

Scénario n°5:
_ Il est 1h45. Le réveil sonne à 8h, si on compte que je mets encore une demi-heure avant de dormir, ça me fera encore 5h45 de sommeil, c'est à dire pas loin de six, c'est encore jouable pour la journée. En revanche, si dans trois quarts d'heure je suis encore comme je suis maintenant, il me faudra encore une demi-heure de plus pour dormir, ce qui fera 1h15, donc je ne dormirai pas avant 3h, et ....

Finalement, les flamands rouges sont revenus, mais sans Morphée et le marchand de sable qui avaient trouvé leur bonheur dans le "80's Paradise" et hurlaient en se déhanchant "born to be alive" au moment même où je me levai pour aller donner mauvaise conscience aux flamands rouges qui écoutaient de la musique en refaisant le monde dans le salon mitoyen de notre chambre, en faisant tourner une bouteille qu'ils voulaient visiblement finir avant d'aller dormir. En fait de mauvaise conscience, ils eurent surtout l'air ravis de me voir débarquer dans le salon en pyjama, un bouquin sous le bras, les cheveux en bataille, l'air renfrogné. Je m'assis ostensiblement à l'écart pour lire, et ils continuèrent leur conversation après avoir vainement insisté pour que je les aide à finir leur bouteille.
Une heure et demie plus tard, les oiseaux commençaient à chanter, il était 4h et ils allèrent se coucher. Moi aussi.
Mais une demi-heure plus tard, mon flacon d'huile essentielle de lavandula angustifolia dans la main, je me levai à nouveau, mi-amusée, mi-énervée par la situation.
C'est ainsi que je fis la connaissance de Brian, qui tuait les heures de permanence nocturne de l'auberge en cherchant tous les évènements facebook de la région. Une tasse d'eau chaude avec une goutte de lavande dedans, je lui demandai pardon de venir le déranger dans ses graves recherches. Trop heureux d'avoir une distraction en chair et en os, il me déclara toute excusée. Brian venait de Floride, et venait tous les hivers depuis cinq ans enseigner l'anglais à Cracovie. Brian vivait dans l'auberge de jeunesse, dans une chambre mise à sa disposition à côté de la cuisine, en échange de quelques permanences nocturnes. Brian parlait un peu polonais, mais préférait éviter. Brian aimait enseigner, mais préférait voyager en Europe pour rendre visite à tous les gens qu'il rencontrait à l'auberge pendant l'année. Brian avait aussi visité l'Inde. Brian tomba instantanément amoureux de mon flacon d'huile essentielle de lavande. Brian me proposa de venir boire un thé dans sa chambre, où nous ne dérangerions pas ceux qui dormaient.
C'est là que nous trouva Pauline à 6h, armés chacun d'une tasse de thé blanc et occupés à commenter les joies et déceptions de l'enseignement.
A 8h, Brian tombait de sommeil, et je débordais d'une énergie nostalgique et douce que j'emmenai faire une petite promenade dans le quartier, pendant que Pauline se préparait pour le petit déjeuner.

Morale morale:
Manger, dormir, c'est indispensable pour vivre. Trop manger, trop dormir, ça nous tue un peu, ça nous anesthésie et la vie nous glisse dessus comme l'eau sur les plumes d'un corbeau.
Une insomnie, c'est comme une journée de jeûne. On a peur de s'écrouler quand on se trouve au pied, mais finalement, on se sent infiniment léger quand on l'a derrière nous.

Morale cynique
Visitez Auschwitz, vous serez surpris de tous les bienfaits que vous en retirerez.

1 commentaire:

  1. Le sénario le plus vraisemblable est le 3 mais le meilleur reste le 4.
    Ha ha ha ! Faut dire qu'elle est vraiment bonne celle-là quand même :-D

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