dimanche 15 février 2009

Au fil des jours, au fil des gens, sur le fil du rasoir


Bien qu'étant encore en quelque sorte une oie blanche du voyage (soyons honnête, à vous, je peux vous le dire: je n'ai pas encore dormi sous des ponts, je n'ai pas encore savouré des ferrero rochers dans un dîner chez l'ambassadeur, je ne me suis pas encore vidée tranquilliment et pathétiquement de mes entrailles après avoir goûté un fruit lavé à l'eau courante, et je n'ai pas encore confronté l'absurdité scientifique de l'enseignement décalé que nous propose l'université à une classe de petit vénézueliens avides de savoir si oui ou non je vais être en mesure de leur offrir des perspectives plus florissantes que de mourrir à trente ans, analphabêtes, épuisés, exploités)... une oie blanche du voyage (au moins, une oie de passage?), je voudrais proposer à votre sagacité légendaire quelques idées en vrac sur l'errance qui pousse quelques imbéciles heureux qui sont nés quelque part à ne plus être heureux dans leur quelque part d'origine, et à chercher pourquoi les autres imbéciles sont heureux dans d'autres quelque part.

Il me semble que voyager, c'est se forcer à faire confiance aux autres. Le voyageur qui veut rapporter de son voyage autre chose que des dents de requins en résine de plastique, et des babouches en peau de serpent et de plastique doit espérer, en partant, que l'espèce humaine, à laquelle il va se confronter de manière on ne peut plus directe est pleine de surprises, de générosité, d'ouverture, a plein de choses à lui montrer, à lui faire goûter... Sinon partir ne sert absolument à rien. Non seulement il faut espérer, mais il faut se persuader.

Parfois, on a tort de faire confiance, comme cela peut arriver sur les îles de la Madeleine un samedi après-midi brumeux et sinistre de novembre, quand vous n'avez nulle part où dormir, et qu'un vieux, qui semble ne pas en revenir lui-même de sa chance, vous fait remarquer que vu qu'il vous emmenée loin de toute présence humaine en stop, que la nuit ne va pas tarder à tomber, et qu'il y a tellement de brouillard qu'une mouche ne verrait pas le bout de ses pattes, vous feriez mieux de lui octroyer vingt, non, quinze, non, dix minutes de sensualité si vous voulez rejoindre la civilisation dans des délais raisonnables.
Ben oui, faire confiance aux autres, c'est leur offrir sur un plateau d'argent la possibilité d'abuser de la situation.

Et parfois on a raison de faire confiance, comme lorsqu'un couple d'espagnols vous promet sur couch surfing de vous héberger sans rien demander d'autre en échange que votre présence souriante et curieuse le temps nécessaire pour trouver un logement.
Un très grand merci à Carmen et Julian, qui ne liront sans doute pas cet article pour des raisons linguistiques, mais qui ont sauvé par leur présence bienveillante, paisible, joyeuse, ouverte, enthousiaste, mes premiers jours à Murcia.


3 commentaires:

  1. Filer toujours...

    merci de répondre ainsi longuement et élégamment à une question que j'imaginais partager avec d'autres...

    Selon ta définition, je ne suis plus une oie blanche du voyage depuis longtemps : j'ai déjà dormi à même le sol par défaut d'une quelconque forme de couche ; j'ai déjà douché froidement le savoir universitaire ; et je peux t'assurer que les ambassadeurs que j'ai rencontrés ne m'ont pas offerts de ferrerro rochers (quelle déception !).

    Pourtant tu es bien plus voyageuse que moi. Les bonnes surprises sur le chemin sont le carburant qui suffit à te fait avancer.

    Je crois que je comprends. Des rencontres extraordinaires ont émaillé mes voyages, des amis m'en sont restés, la confiance que malgré tous leurs défauts nos fellow humans montrent parfois une solidarité et une générosité étonnantes. Grâce à ça, all places are alike to me...

    Cependant je voudrais apporter une nuance, mettre le doigt sur une différence. Je crois que je te trouve plus voyageuse parce que tu sembles être libérée de tes racines. Indépendante, et bien plus encore. La plupart des gens, et je n'y fais pas exception, se rassurent, et avancent plus loin dans la vie, grâce à certains liens, à certains amis spéciaux, à leur famille. Pour moi, certains sont en France, d'autres sont éparpillés dans le monde, et chez eux je me sens chez moi.

    Merci à Carmen et Julian de prendre soin de toi, merci vraiment. Mais si un jour le vague-à-l'âme te prend, n'oublie pas qu'à l'autre bout du monde, où que ce soit, des gens pensent à toi, et que tu seras toujours chez toi chez nous !

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  2. Je suis ravie d'apprendre que ton expérience tant attendue de couch surfing a été positive. C'est bon de savoir qu'il y a encore des gens désintéressés, ou plutôt intéressés par une seule chose : le plaisir de rendre service à des gens rencontrés brièvement.
    Bonne continuation et n'oublie pas de rendre la pareille : le jour où tu auras un "chez-toi", fais-en aussi un "chez vous" :)

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  3. Au Québec, tous les "chez toi" sont des "chez vous". Un Québecquois ne dis pas: "je rentre chez moi", mais "je rentre chez nous"...

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