jeudi 17 décembre 2009

La cantine: mode d'emploi


La République Tchèque est un pays compliqué. Le meilleur exemple qui me vienne à l'esprit pour vous expliquer comment c'est compliqué, c'est la cantine.
La cantine, c'est très compliqué. Déjà, pour ne pas y aller, c'est pas simple: pendant plusieurs semaines, tout le monde vous fait remarquer qu'on y mange très bien, mieux que dans un certain nombre de restaurants de la ville, et pour beaucoup moins cher, que c'est aussi un lieu de socialisation qui permet d'établir ou de consolider les liens entre les générations, que c'est de la cuisine traditionnelle tchèque, mais avec des opportunités de plats végétariens, que ce serait manquer de curiosité intellectuelle que de la bouder, etc... de guerre lasse, et aussi un peu pour en avoir le cœur net, vous acceptez donc d'essayer la cantine. Vous vous dîtes: "allons, juste une fois, ça ne mange pas de pain!". Et vous n'avez pas tort: il n'y a presque jamais de pain à la cantine. En revanche, c'est là que les ennuis commencent.
Lorsque vous avez dit "oui" pour la cantine, tout un engrenage se met en marche au dessus de vous, et dont vous n'êtes qu'à demi consciente.
Les professeurs de français se mettent aussitôt à la recherche d'une personne du lycée qui ait une carte de cantine mais ne l'utilise pas. Lorsqu'ils ont cette personne, et que celle-ci accepte de prêter sa carte et son nom à une étrangère pour l'année scolaire, il faut aller sur internet pour choisir les jours et les menus, et réactiver la carte et ses crédits.
Parce qu'on ne se pointe pas la bouche en cœur à la cantine! Pantoute pantoute, mes lapereaux! Il faut aller au bureau de la cantine pour payer ses repas à l'avance une fois par mois. C'est ma responsable qui s'en charge pour moi, et je n'ai pas encore compris comment fonctionne cette opération, car le prix est chaque fois différent, même si j'ai crû comprendre que le nombre de repas que l'on choisit n'est pas important. Ah...
Donc, une fois qu'on a payé ses repas et chargé sa carte, on a deux options: soit on va sur internet pour choisir ses menus de la semaine, mais là, il faut un code spécial, et pour avoir le code, il faut que la titulaire de la carte en personne vienne faire une demande officielle à la suite de quoi le code lui sera envoyé dans les plus brefs délais (à condition qu'elle ait pu venir aux heures ouvrables un jour ouvert), soit on profite d'être dans la cantine pour mettre sa carte dans une machine qui affiche les menus et enregistre les choix de chacun.
En parlant de choix: vous avez trois menus différents chaque jours, composés selon une logique que je n'ai toujours pas comprise. Chaque repas comporte généralement: un plat principal accompagné d'un fruit ou d'une salade ou d'un morceau de pain, d'une soupe, et d'un verre de thé. Il n'y a pas d'eau froide simple, pas de pain, pas de poivre, pas d'huile, et si vous voulez du sel, il faut aller le demander. Si vous voulez une assiette steak lentilles ET une pomme alors qu'on vous propose une banane et que la pomme accompagne l'assiette de galettes de pomme de terre, ben c'est tant pis pour vous. On ne mélange pas les menus, on ne choisit pas ses menus la veille pour le lendemain, et il est parfaitement impossible de changer de menu au dernier moment. Et on ne rigole pas avec tout ça!
Il y a généralement un repas sur les trois qui ne comporte pas de viande, et qui est donc celui que je choisis, avec l'aide d'autres professeurs, pour des raisons de persistante faiblesse lexicale.
Si vous êtes déclaré absent, votre repas est généralement automatiquement annulé. Donc si la dame qui me prête sa carte est absente, c'est tant pis pour moi.
Le réfectoire se situe à un quart d'heure à pieds du lycée, et tous les élèves et professeurs de la ville s'y retrouvent entre 11h et 15h. On voit de tout: des enfants qui ont à peine l'âge de porter un plateau, des vieux qui n'ont plus tout à fait l'âge de porter un plateau, des familles entières, des enfants handicapés, des élèves que vous avez eu le matin même, le proviseur du lycée, bref, toute la ville vient manger là.
Lorsqu'on arrive, on met sa carte dans une machine. Elle vous donne le numéro de votre menu, et ils faut attendre que ce numéro s'affiche sur un cadran pour savoir en haut du quel des deux escaliers est servi notre numéro de menu. On prend ensuite un plateau, un verre, une serviette, des couverts, et on installe son plateau sur les rails du self. Il y a deux étalages par rail, et chaque étalage porte un numéro. Lorsque vous arrivez devant votre numéro, vous remettez votre carte, pour prouver à la grosse dame sérieuse que vous avez le droit de vous saisir de la salade de choux à la sauce eau-sucre. Dans mon cas, on essaie aussi de faire tout le plus parfaitement possible pour ne pas avoir à parler à la dame, pour qu'elle ne voit pas que je ne comprends pas, pour qu'elle ne me demande pas où et comment j'ai eu la carte de cantine.
Au début, dans son enthousiasme, ma responsable m'avait inscrite pour tous les repas de la semaine, et j'ai dû faire preuve de beaucoup de diplomatie pour n'en n'avoir que deux. J'ai ainsi découvert une spécialité dont les tchèques se vantent assez peu: les plats sucrés.
Exemple: soupe, quatre pâtisseries, orange. Soupe, bouillie de céréales au lait sucré avec des copeaux de chocolat et du beurre fondu, banane. Soupe, gâteau pommes-noix-cannelle, salade de choux. Il faut admettre quelque chose: la cuisine n'est effectivement pas mauvaise, et le chef fait visiblement de gros efforts de diversité. Ce ne sont jamais les quatre même pâtisseries d'une semaine à l'autre, ni les mêmes combinaisons de plats. Mais comme le repas n'est pas un facteur de lien social et que le principal est de combler la faim, personne ne semble accorder beaucoup d'importance aux efforts du chef.
En ce qui concerne la sociabilité, c'est pas tout à fait aussi épanouissant qu'on me l'avait assuré. Bien entendu, les élèves ne viennent pas s'assoir à côté de vous pour vous taper la discut en français. Quant aux profs qui ne vous parlent pas au lycée parce qu'ils ne parlent pas français et ont honte de parler anglais, ils ne changent pas d'avis devant une bonne soupe bien chaude, et choisissent soigneusement la table la plus éloignée, ce qui n'est pas difficile, puisque le réfectoire est gigantesque.
Vous voyez, la cantine, c'est la porte ouverte à l'aventure.

1 commentaire:

  1. j'avais loupé cet article pourtant super. en effet ça n'a pas l'air simple de manger à la cantine ! ça ferait presque regretter ce bon vieux restau U :p

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