samedi 27 février 2010

Galère glacée de Noël



_ Ça s'est passé quand et où?
_ Le 17 décembre 2009, à Hradec Kralove, puis sur la route.
_ Et il y avait de la neige?
_ Oui
_ Depuis quand?
_ Deux jours. Il avait fait très froid pendant quelques jours, alors quand il a neigé, c'est devenu blanc en un quart d'heure.
_ A quelle heure êtes vous partis?
_ Vers 10h30, je crois.
_ Seule?
_ Non. Il y avait Luna, bien sûr, mais aussi Païo, Flo, et Pixie, la chienne.
_ Pixie, c'est à cause du groupe de rock?
_ Ouais.
_ Il faisait quel temps?
_ Il ne neigeait plus. Mais il faisait très froid. -10°-15°...
_ Et la voiture?
_ Ben quoi la voiture?
_ C'est moi qui pose les questions!! Bon, vous aviez emporté quoi comme musique?
_ Ben pas grand chose, y'avait pas de lecteur de cd. Juste radio-cassettes. Plus personne n'a de cassettes!
_ Et ça roulait bien?
_ Ben au début pas mal, oui, mais il a commencé à neiger un peu entre Hradec et Prague. On n'avait pas très chaud, et on parlait seulement en français, vu que Païo était au volant, ça ne le gênait pas de ne rien comprendre.
_ Pause repas?
_ Yep: un peu après Prague. Sandwich au fromage, chocolat chaud. Y'avait des chants de Noël à la radio.
_ Et alors?
_ Ben ça faisait un mois qu'on n'entendait que ça partout dès qu'on sortait de chez soi. Ça faisait un moment qu'on ne trouvait plus ça mignon.
_ Qui a conduit jusqu'à la frontière?
_ Païo je crois bien. Les vitres avaient déjà commencé à givrer à l'intérieur de la voiture.
_ Pardon?
_ Ben ouais, il faisait pas chaud! C'est pas une figure de style!!
_ Comment ça?
_ Le chauffage fonctionnait très mal. On arrivait à peine à dégivrer le pare-bise, et les essuie-glace étalaient la glace sans la faire fondre.
_ Et vous en avez pensé quoi?
_ Ah ben moi j'étais contente, je pensais avec satisfaction à la boulimie de kilomètres qui nous attendait... je pense qu'à trois dans la petite voiture, on avait un peu le vertige de la liberté.
_ Ben voyons! Et les autres?
_ Flo s'est réchauffée en tapant sur quelques dos, et Païo en gardant ses calories et le silence. Les animaux n'ont rien dit.
_ Et alors, qu'est ce que vous avez fait?
_ On a continué. Qu'est ce que vous vouliez qu'on fasse? Qu'on attende le printemps?
_ Ohh!! J'aime pas ce ton, là! et je vous ai déjà dit, bonsang, que c'est moi! je! ich! qui pose les tabarnak de questions! c'pas compliqué!!!
_ Ok, ok, n'empêche qu'on a continué, mais on commençait à se douter que ce serait pas une partie de plaisir. Et puis quand le jour est tombé, alors là!!!...
_ Alors là?
_ Alors là on a compris! On s'est pris la définition du mot froid jusqu'à la moelle des os.
_ Genre?
_ Genre il faisait -15° dehors et moins de zéro dans la voiture, les vitres étaient entièrement givrées maintenant, le pare-brise aussi, on y voyait très mal. Et puis en Allemagne il neigeait fort. On ne sentait plus ni nos pieds ni nos doigts.
_ Et c'était toujours Poïa qui conduisait?
_ Païo. Pas Poïa. Nan, c'était Flo.
_ Et la conversation?
_ Linguistique. On a enseigné quelques mots de français à Païo qui mettait les pieds en France pour la première fois de sa vie (en espérant de ne pas les perdre à cause du froid avant).
_ Quels mots?
_ Ben les bases:
"Salut, ça va, et toi? ça va bien, merci. Bonjour, au revoir. S'il vous plaît, merci beaucoup. Madame, vous êtes magnifique, comme votre fille..." enfin, ce que tous les étrangers apprennent tant bien que mal à baragouiner, pour montrer qu'ils font preuve du degré minimal de curiosité pour le pays et sa culture!
_ Pas de problèmes avec la prononciation?
_ Ben si, comme tout le monde.
_ Le principal, c'est d'avoir la patience, hein!?
_ Hem hem... oui, voilà, la patience!
_ Piiiiis? ça vous a fait du bien, cette petite leçon?
_ Ben en fait oui! On a oublié nos extrémités gelées et nos organes au bord de l'hypothermie! On n'a presque pas vu passer l'Allemagne, finalement!!
_ Sérieux?
_ Ouais, enfin, si, on l'a sentie passer... mais bon, moins.
_ Vous n'avez pas fait de pause en Allemagne?
_ Si. Deux. Une vers 20h, pour prendre une boisson chaude et fouiller les valises pour mobiliser les ressources de chaleur: chaussettes, pulls, serviettes de bain. Et une juste avant la frontière avec la France. Pour manger. Et pour consulter les cartes dans la station service. On avait raté la bonne sortie, donc on voulait savoir quelle route prendre.
_ Et pourquoi vous n'avez pas consulté les cartes dans la voiture?
_ A votre avis?
_ Crisssssss! C'est Moi qui pose les asti de question, calvaire!!!
_ Ah oui, c'est vrai, pardon. On n'avait pas de carte dans la voiture.
_ Vous traversez trois pays, presque uniquement de nuit, et vous ne prenez pas de carte?
_ On avait la liste des villes à croiser.
_ Ah ouais... Sans commentaire, donc. Et dans la station service, qu'est ce qui s'est passé?
_ Rien.
_ Ce n'est pas ce que vous avez raconté la dernière fois.
_ Flûte! Ben rien de grave, en tous cas: le ton est un peu monté, quelques paroles un peu dures ont traversé l'espace sonore, on a trouvé un autre itinéraire. On a mangé, on a joué avec des boîtes à musique qui jouaient "stairway to heaven"...
_ Et après, qu'est ce que vous avez fait?
_ Je crois qu'on est repartis. Moi au volant. On s'est à nouveau perdus juste après la frontière, dans la banlieue de Strasbourg.
_ Quelle heure était-il?
_ 23h-Minuit.
_ Quelle température?
_ -15°, toujours. Et moins de zéro dans la voiture. On a demandé notre chemin à un groupe de pompiers. Ils avaient un fort accent alsacien.
_ Et que se passait-il dans la voiture?
_ Ambiance tendue, c'était le coup de barre. D'ailleurs c'est pour ça que malgré le coût moral et monétaire, j'ai décidé qu'on prendrait l'autoroute pour Paris et qu'on laisserait tomber l'introuvable N3. Païo n'était pas content, Flo ne disait plus rien. Et puis y'avait pas de musique pour se réchauffer les oreilles!
_ Continuez.
_ Ben là, c'était le creux de la vague, le calme après la tempête, l'heure la plus noire de la nuit, celle où l'on doute du jour, la traversée du désert, le mauvais coton filé à côté de la plaque, la bérézina, l'...
_ Oui, c'est bon, on a compris. Et puis?
_ On a fait une pause dans une station de service. Il était 2h du matin. Il n'y avait absolument personne. Mais dans les toilettes, on a fait une découverte formidable: un radiateur mural. Chaud. On s'y est collés tous les trois. On était tellement gelés qu'on a crus qu'on allait fondre. Je crois bien que j'ai demandé ce radiateur en mariage.
_ Des témoins?
_ L'employé de la station. Il est sorti de son cabinet, et quand il nous a vus, il est resté quelques secondes en proie au doute quant à la conduite à tenir: police, hôpital, nous foutre à la porte? Et il est parti sans rien dire.
_ Et vous avez quand même continué la route?
_ Une déchirure. Mais oui.
_ Pis?
_ Païo a repris le volant, il a mis la radio, Flo s'est endormie, moi aussi, mais dans ma tête une voix répétait sur un ton théâtral et dramatique: "pas dormir, faut pas dormir, faut pas dormir". Du coup je ne me suis pas reposée.
_ Bon, finissons-en. Vous êtes arrivés en vue de Paris vers quelle heure?
_ Vers 4h. Sur l'autoroute ma carte bleue a eu beaucoup de travail pour faire lever les barrières! Mais ça roulait parfaitement bien. Vers 4h, on était à 100km de Paris. On s'est arrêtés, j'ai repris le volant, on a mis Païo, qui est très grand, à l'arrière, pour pouvoir parler tranquillement en français à l'avant. Insensiblement, on gagnait quelques degrés, et du coup, les paroles gelées dans nos gorges ont recommencé à couler régulièrement. Il neigeait toujours, mais le bout du tunnel n'était plus très loin (et là, un bon coup de pied, et hop!)
On a débarqué chez mes parents à 5h30 du matin. Païo et Flo sont montés boire un chocolat chaud. Ma mère est descendue à moitié endormie. Elle ne s'attendait évidement pas à rencontrer autant de monde dans la cuisine. C'est comme ça que Maman a parlé anglais à 5h45 dans la cuisine avec un tchèque.
_ Conclusion?
_ Le message de Flo: "Tu peux dormir tranquille, on est bien arrivés".
_ Morale?
_ "Si pour les vacances tu veux rentrer en caisse
A trois choses il faut que tu penses:
Une carte, pour savoir où tu vas,
Du chauffage, pour pas avoir froid,
Tout plein de la musique
Pour rester sympathique. "

François Villon
Ballade des galériennes d'antan


_ Merci Mademoiselle. Veuillez relire et signer au bas de la page si vous êtes d'accord. Vous pouvez disposer.

1 commentaire:

  1. La vache... je vous plains parce que y'a rien de pire que le froid, surtout à ce point-là et pendant aussi longtemps !
    Du coup t'as dû trouver qu'il faisait chaud à Paris malgré les -3°C :)

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