dimanche 10 mai 2009

Le grand air 2

Il y a longtemps déjà, je vous avais raconté la première partie d'un week end au grand air.
Cette première partie servait de préambule à une seconde partie qui semblait ne jamais vouloir paraître. La voici finalement, toute chaude et croustillante sortie du four cérébral.

Le précédent récit finissait alors que je descendais de la montagne. Que se passa-t-il ensuite?
Eh bien dans un premier temps, rien, absolument rien. Mais attention pas rien n'importe comment: rien au soleil, rien à table, rien entouré de trois personnes, rien entouré de sept personnes, rien entouré d'enfants qui courent dans tous les sens, rien endormi pour la sieste sur le flanc d'une colline à même la terre entre deux arbustes, ...
C'est dans la soirée qu'il y a à nouveau quelque chose à raconter.
Il fut convenu, je ne sais pourquoi ni comment que nous dînerions chez Fran, un des habitants de la Finca, qui vit dans une vieille maison restaurée, un peu à l'écart.
En chemin, nous croisâmes Fran et deux autres personnes, ses invités du week end, qui nous passèrent commande d'un repas et d'un feu crépitant pour leur retour.
Nous arrivâmes à la maison de Fran entre chien et loup. L'intérieur de la maison était à peu près parfaitement obscur. Dans le salon, il n'y avait que la très faible lueur d'une bougie, et il nous fallut à peu près trois minutes pour nous rendre compte que nous n'étions pas seuls. Une forme plus sombre que le noir émit un "hello". A la lueur de la flamme, il devint évident que cette forme appartenait à un membre du genre humain, qui était en train de couvrir une feuille de signes japonais.
Présentations:
Lecteurs, je vous présente Daniel, Daniel, les lecteurs.
Daniel est un personnage de roman qu'une facétie de narrateur omniscient a fait homme. Comment je le sais? Déjà, premier indice, il est à peine plus épais qu'une feuille de papier...

Comme Daniel ne parle qu'anglais, et qu'Elias ne parle qu'espagnol, je fis rapidement office de traductrice et interlocutrice privilégiée. La semaine avait été très nuageuse, et les plaques solaires n'avaient pas eu le temps d'emmagasiner assez d'énergie, il n'y avait pas d'électricité chez Fran ce jour-ci. Et tant mieux. Mais Elias considéra qu'il n'était pas possible d'organiser un dîner avec des enfants dans ce tableau de Georges de La Tour, et toute la clique s'en fut. Comme le froid tombait avec la nuit, et que Daniel avait entamé l'allumage d'un feu de cheminée, je préférai rester, vautrée dans un fauteuil.
Pendant une heure ou deux, à la lumière du feu, j'eus l'extrême honneur de servir d'oreille à un chapitre de fiction dans la réalité: la narration de la vie de Daniel.
Pour résumer.

Daniel, je ne sais comment, a atterri dans une école progressiste sur une île perdue au Japon. Ce séjour a complètement changé sa vie. Il est donc parti créer une école progressiste dans les îles de Polynésie, mais il arriva en pleine guerre, et son école battit très vite de l'aile pour de simples raisons de sécurité. Il fut obligé de partir se cacher dans la jungle avec les enfants, où ils vécurent pendant plusieurs mois comme des hommes de Cromagnon, mais les conditions de vie se dégradaient, les enfants tombaient malades, il fut obligé de se rendre, et fut enfermé dans un camp de prisonniers de guerre. Là, il eut la très grande chance que l'armée ait quelques rudiments de droit de la guerre, et sache que seul un soldat du camp opposé peut être détenu dans un camp de guerre. Il fut donc relâché au bout de quelques mois, et envoyé dans le premier bateau qui partait pour la Thaïlande.
En Thaïlande, il errait sur le port, pensant prendre un bateau pour le Japon, mais il rencontra par hasard un journaliste allemand, auquel il raconta la guerre dont il avait réussi à fuir. Le journaliste lui dit qu'en Europe, on ne parlait pas du tout de cette guerre, et qu'il fallait que quelqu'un raconte. Il engagea Daniel à écrire un livre à ce sujet. Momentanément enthousiasmé, Daniel accepta et le journaliste lui offrit un billet d'avion pour Berlin en lui promettant de l'y rejoindre bientôt, dès qu'il aurait fini un ultime reportage sur la Thaïlande. Daniel prend l'avion et débarque à Berlin seul, sans un sous en poche, sans connaître personne ni la langue, ni les coutumes, ni rien. Il attend.
Le journaliste n'a pas eu de chance. Il a pris un avion quelques jours après Daniel, mais son avion à lui s'est scratché. Du coup, Daniel non plus n'a pas eu de chance, parce que son seul lien avec l'Allemagne a disparu, dissous dans l'atmosphère par un caprice du destin. Daniel a donc passé quelques temps à la rue, avant que l'ambassade ne lui apprenne la mort du journaliste et ne lui paie un billet pour ... ailleurs. Là, ce n'était pas très clair, dans le récit.
suivirent quelques années un peu floues, pendant lesquelles Daniel a essayé de planter des écoles progressistes un peu partout sur son chemin, sans succès, car ici et là, les législations n'ont pas l'oreille très attentive à ce qui sort un peu trop cadre classique de formatage des enfants. Le système d'école actuel, on le tient des romains: enseignement passif et châtiment des éléments perturbateurs. Alors on peut considérer qu'on a toujours fait comme ça, et qu'on ne change pas ce qui a toujours été comme ça. Peut-être que l'inquiétude que provoque la présence longue, maigre et sèche de Daniel n' a pas aidé.
Pendant ces années, Daniel a aussi conduit des camions de ravitaillement de l'Unicef à travers le désert en direction des pays en guerre: Soudan, Afghanistan... Il a aussi eu une nouvelle idée.
Et puis un jour, ou plutôt peu à peu, il s'est fixé en Espagne, se rapprochant progressivement de Murcia. A Murcia, il a rencontré une communauté alter-mondialiste attentive à ses projets.
Maintenant, dans la Finca, ce que veut Daniel, c'est:
_ créer une école progressive (pas d'inquiétude, j'ai bien l'intention de vous expliquer tranquillement dans un prochain article ce que c'est qu'une école progressive, pour vous donner les moyens de vous en faire une idée personnelle un peu construite et documentée)
_ lancer une grande marche: une peace-school-walk avec des enfants, un tour du Monde à pied, sur quatre ou cinq ans (c'est la nouvelle idée dont je vous parlais plus tôt)
Pendant la journée, il construit les murs de l'école progressive. Le soir, il répond aux e-mails du monde entier qui lui posent plein de questions sur la peace-school-walk.
Ce sont les autres indices qui m'ont fait comprendre que Daniel est tombé d'un roman par inadvertance.

Ensuite, les autres sont arrivés, et nous avons passé une charmante soirée dans le sombre et chaleureux salon de Fran, à éplucher des pommes de terre en rigolant.

La maison de Fran fait partie de ces maisons où quoi que l'on fasse, on a toujours pour colocataires les ombres et les esprits de toutes les années et les personnes qui sont passées par là. Dans la maison de Fran, la cohabitation est bonne et cette présence silencieuse et douce apporte la paix, le calme et la sérénité.

1 commentaire:

  1. La Maison de Fran, ça ressemble à une sorte de Ferme du Goutaillou (Tarnac) moins le GIGN.
    Je suis impatient de lire de nouvelles nouvelles de ta joyeuse bande d'alter-tous-azimuts. Et félicitations pour tes débuts fracassants comme prof "à la romaine".
    CYP

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