jeudi 12 novembre 2009

Et sinon, tu t'appelles quel âge?


La troisième feuille, qui heureusement prend son temps pour venir, n'est pas la plus enthousiasmante.
Sans nous laisser déconcerter par les difficultés, nous allons néanmoins l'attaquer avec la même bravoure et le même appétit que les précédentes. Ouais, c'est vrai ça! dans un millefeuilles, on prend toutes les feuilles!!
Imaginez un peu:
"_ Et pour Mademoiselle, ce sera?
_ Un millefeuille, mais vous serez gentil de m'enlever la quarante troisième, la deux cent trente-sixième et la trois cent soixante-treizième feuilles, s'il vous plaît. "

Non non non, un millefeuilles, c'est comme un mariage: on le prend pour le meilleur et pour le pire ou on ne le prend pas du tout.

La troisième phase, elle, commence le jour où vous regardez une carte de la région et où vous vous dites: "Je sais pas quoi faire ce week end, Brno ça fait loin, et Zvitavi, c'est pas passionnant sans le château... Ouais, ben je vais rester faire le ménage, moi!"
D'un certain point de vue, vous n'avez pas tort, c'est important de faire le ménage chez soi. Mais ce que vous ne réalisez pas forcément, c'est qu'avec cette décision finit l'enfance de votre voyage. Pas la peine de soupirer ou de faire des yeux de Saint Bernard bourré, ça ne fera pas revenir votre innocence aventurière des premières semaines. Vous êtes blasé.
Au supermarché, vous allez directement aux produits qui sont sur la liste. A la rigueur, vous faites un détour par le rayon des tablettes de chocolat, mais les gros cornichons, c'est fini, ils peuvent aller se rhabiller, vous ne leur accordez même plus un regard en passant.
Dans la rue, vous jetez un coup d'œil aigri à tous les possibles qui vous excitaient tant il y a quelques mois. Vous ne pouvez pas vous débarrasser de l'intime conviction que la plupart d'entre eux se sont foutus de votre gueule et n'avaient brillé que pour vous faire croire au Père Noël avec des idées fantasques du style: "ça doit être absolument passionnant de manger des pommes de terre et du fromage attablé au comptoir de ce bar sinistre!!" "je suis certaine que je sortirai grandie d'une dégustation de ce gros gâteau crémeux exposé depuis quelques semaines dans la vitrine de cette boulangerie", alors qu'après plusieurs tentatives, il est devenu évident que vous sortez grossie, mais pas grandie.
Comme un enfant déçu d'apprendre qu'il a été scientifiquement prouvé que l'existence du Père Noël est impossible, et qui rumine une certaine amertume à l'égard des adultes, vous avez ne portez plus qu'un regard rancunier sur les rues, les parcs, les commerces...
Mais contrairement à l'enfant, vous avez suffisamment d'expérience pour savoir que ce ne sont pas les rues, les commerces et les gens qui vous ont trompée, mais vous-même qui vous étiez démesurément monté le bourrichon. Est-ce que ça vous soulage?
Et avec les autres? Ben finie la politique d'ouverture des frontières. La mission "tri" est en plein coup de feu. Entre ceux qui considèrent qu'ils ont fait leur BA exotique de l'année avec vous et ne veulent plus vous revoir, et ceux que vous ne voulez plus revoir parce que vous vous sentez suffisamment implanté pour ne plus avoir à les souffrir, le paysage s'éclaircit et commence à ressembler un peu plus à votre paysage social d'origine.
Mais malgré tous vos efforts, malgré votre perte d'enthousiasme, malgré votre connaissance croissante des lieux, vos racines, après une fulgurantes première poussée, stagnent et ça vous irrite. Dans cette phase, vous êtes impatient. Vous voulez avoir déjà des habitudes, vous voulez que votre nid soit déjà complètement imbibé de votre odeur, vous voulez que les mots vous viennent déjà naturellement, vous voulez que les gens soient déjà vos amis. Et rien de tout ça ne se réalise encore. Vous grognez intérieurement lorsque quelqu'un vous dit qu'il fait déjà quelque chose ce soir, parce qu'au fond, vous le trouvez égoïste de ne pas se souvenir que lorsqu'il vous dit "non", il vous renvoie à votre solitude. Vous vous sentez brimé à l'idée que vous avez bien plus besoin des autres qu'ils n'ont besoin de vous.
Im-pa-tience. Vous êtes impatient. Vous êtes pressé, vous voulez être déjà arrivé.

Après deux mois de légèreté, de liberté, de jouer à l'oiseau de passage, vous vous approchez dangereusement du sol, et l'appel de la basse-cour se fait plus pressant et séduisant.

Vous êtes en plein dans la phase de négation. C'est Hegelien. Pour progresser, il faut nier l'étape précédente (c'est bien Hegel, le rigolo qui racontait ça?).
Niez, niez, niez sans honte et sans tristesse, niez à pleines dents, niez sans remords, car plus vous nierez fort, plus vite viendra la phase suivante.

4 commentaires:

  1. Niez, niez, facile à dire mais pas à faire, alors que Nietzsche ça prend moins la tête !

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  2. Je comprends très bien cette "feuille" parce que je suis aussi en plein dedans (retour en Inde oblige). Mais elle sera mieux l'étape suivante, hein? :-s

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  3. tu devrais quand même garder un peu de recul, parce qu'à mon avis, il y aura aussi dans tout ce qui te blase aujourd'hui beaucoup de choses qui te rendront très nostalgiques plus tard...

    et pendant ce temps, back home...

    Bisous !

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  4. Ben oui: ce sera vers la 486ème feuille, ça! ;-)

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