mercredi 21 janvier 2009

Dieu vous le rendra


A la demande générale (et surtout parce que c'est fou tout ce qu'on peut avoir à faire d'important quand on a un travail à rendre bientôt!),
voici en exclusivité un premier épisode de la vie de l'autre côté de l'océan (pour ceux qui sont effectivement de l'autre côté de l'océan, il va de soi qu'il ne faut pas prendre au pied de la lettre cette information: nous sommes bien en train de parler de votre autre côté: le Cranada).
C'était un matin où je m'étais levée trèèèèèèèèès tôt (je vous expliquerai pourquoi un autre jour) pour prendre le bateau qui devait me porter des côtes de la Nouvelle Ecosse à celles de l'île du Prince Edouard. La traversée n'était pas très longue, une heure à tout casser, que je mis à profit pour faire des photos, boire un chocolat chaud et dessiner la pancarte avec le nom de ma prochaine destination, pour le stop.
L'art de la pancarte d'auto-stop m'a été enseigné par un authentique pouceux. C'est l'outil de travail qui vous fait passer aux yeux de tous du rang d'amateur innocent à celui de pouceux officiel. Avec une pancarte, on monte en grade, et ça se sent! Cela demande un certain entraînement pour écrire le nom de la destination de façon lisible et claire. Au début, on sert trop à droite, ou trop à gauche. Lorsque vous avez réussi à cadrer correctement, vous pouvez personnaliser votre pancarte, en insérant quelques symboles sympathiques, qui laisseront supposer aux conducteurs solitaires, qui vont loin et qui s'ennuient au volant, qu'avec vous, ils passeront un très bon moment. (En ce qui concerne un possible malentendu sur ce que nous entendons par "un très bon moment", nous y reviendrons plus tard dans un chapitre bien plus noir que celui-ci).
A la fin de la traversée, comme le temps était doux et ensoleillé, je me rendis sur le pont, comme presque tous les passagers, pour voir se rapprocher la côte.
J'étais un peu déçue, parce que je savais d'expérience que les bateaux sont souvent l'occasion rêvée au Canada pour rencontrer des gens sympathiques qui connaissent les lieux et vous offrent un lift (un lift: un tour grâcieusement offert par une personne qui en plus d'aller dans la même direction que vous possède un moyen de transport motorisé et un sens louable du partage). J'étais donc déçue, car je n'avais trouvé le moyen d'engager la conversation avec personne. Aussi, lorsqu'un homme d'âge moyen, avec des lunettes de soleil qui lui donnaient le regard troublant d'une drosophyle m'aborda, bien que ce fut en anglais, je sautai immédiatement sur l'occasion. Nous étions le 5 novembre 2008.
La conversation que je vais retranscrire ici s'est déroulée en anglais, mais comme la très grande majorité des possibles lecteurs de ce blog parle franchement mieux anglais que moi, je vous la propose en français. Ca vous apprendra à parler si bien anglais, bande d'astie de tabarnaks!
L'homme-mouche m'aborde donc par un très classic: "Bonjour! tu voyages?
A quoi il semblait naturel de répondre: "Bonjour. Oui, je voyage en ce moment. Je fais un tour des Maritimes."
La conversation ayant démarré sur de bonnes bases, il ne restait qu'à la poursuivre méthodiquement:
Homme-mouche: Mais tu voyages comment? tu as une voiture?
Moi: Ben non, je voyage sur le pouce. Les gens sont très gentils par ici.
Homme-mouche: Ah! Mais tu n'as jamais eu de problème?
Moi: Pantoute! Les gens que j'ai rencontré ne cherchaient qu'à me rendre service. C'est incroyable comme les gens sont serviables en Nouvelle Ecosse! Hier, un homme a fait un détour et passé quelques coups de téléphone pour me déposer là où je voulais aller, en lieux sûr!
Homme-mouche: Ah, tant mieux. Et là, où vas-tu?
Moi: Aux îles de la Madeleine (sourire radieux mais non retranscrible sous le nez (au niveau de la bouche, comme c'est généralement le cas)). Et vous?
Homme-mouche: Je vais étudier.
Moi: Vous êtes étudiant?
Homme-mouche: oui, je fais des études pour être pasteur. Là, je vais à un stage sur l'île du Prince Edouard. Ma femme et mes enfants habitent en Nouvelle Ecosse.
Moi: Ah, d'accord. (Que répondre?)
Homme-mouche: Mais dis donc, tu as une tente sur ton sac, tu ne campes pas, quand même??!!
Moi: Ben non, je préfère pas, mais bon, au moins, si un jour je ne trouve pas d'endroit où dormir, j'ai la tente, c'est mieux que rien!
Homme-mouche: ... (visage consterné)
Moi: (pour le rassurer) Mais vous savez, si j'ai un problème, je sais qu'il y a deux endroits où je peux toujours frapper: le commissariat et la paroisse.
Homme-mouche: Ah oui! La paroisse! Il y a toujours des gens qui peuvent t'aider, à la paroisse. Mais tes chaussures, ce sont les seules que tu as?
Moi: (un regard étonné vers mes grosses chaussures de marche et de neige à la fois, un peu sales, mais plutôt solides) Ben... oui, elles sont bien!
Homme-mouche: (dubitatif) Mouais. Mais je ne vais pas pouvoir t'emmener jusqu'au bateau pour les îles de la Madeleine, moi je pars dans l'autre sens.
Moi: (déçue) Ah. Ben c'est pas grave, tant pis! Je vais trouver.
Le bateau arrivait alors et nous nous séparâmes, lui pour rejoindre sa caisse, moi pour être la première piétonne à descendre, et pouvoir présenter ma pancarte "Souris" (le nom de la ville d'où part le bateau qui va aux îles de la Madeleine) à tous les véhicules qui sortiraient.
Quelques voitures passèrent, visiblement pas franchement intéressées par ma candidature (eh oui, c'est la triste réalité que je ne voulais pas vous révéler tout de suite, pour ne pas vous plonger dans un absolu désespoir: la pancarte n'est pas magique, et parfois, les voitures ne s'arrêtent pas quand même). Vint le tour de l'homme-mouche. Je le vois arriver, et lui prête peu d'attention puisque je savais qu'il n'allait pas dans la bonne direction. Mais lui, la vitre baissée, me fait signe d'approcher. J'approche donc, pour voir qu'il me tend quelque chose que j'identifie assez vite comme un prospectus plié autour d'un billet de 20 dollars.
Là, trois voix ont pris la parole en un dizième de seconde dans ma tête:
_ La dignité: "Non mais ça va pas! pourquoi pas un morceau de pain, aussi, tant qu'on y est! impossible d'accepter l'argent d'un passant qui me prend pour une clocharde!!"
_ Le sens pratique: "pas franchement nécessaire"
_ Le sens de l'humour: "TROP DRÔLE!!!"
Bon, pas de suspense, le sens de l'humour a levé mon bras, j'ai saisi son offrande, et la dignité a ouvert ma bouche pour pronnoncer un honnête: "Mais vous savez, je n'en n'ai pas besoin".
Mais à peine disai-je "Mais..." que le zélé futut pasteur remontait sa vitre en disant: "It's OK! It's OK!" Ben oui, je m'en doute que c'est OK! Je te les ai pas volés, tes 20 dollars!
Cette volonté pudique de ne pas me confronter à mon indigence en refusant d'entendre mes remerciements larmoyants était tellement belle! Ou alors était-ce la volonté de ne pas risquer de s'entendre dire que je n'en n'avais pas besoin, et qu'il s'était trompé de charité??
Mon sens de l'humour triomphait cependant en chantonnant cyniquement: "t'es une clocharde de luxe! 20 dollars! Ya ben d'authentiques clochards qui vendraient leurs pieds pour en avoir autant!!" C'est con, un sens de l'humour, parfois.

Je jetais un coup d'oeil au prospectus. En grosses lettres jaunes au milieu d'un rond lumineux sensé représenter quelque chose de très conceptuel allant de la mort à l'Esprit saint, on pouvait lire cette question pertinente:
"Where will you spend eternity?"

C'est ça qu'on appelle le choc des cultures?

1 commentaire:

  1. Excellente question! "Where will you spend eternity???"

    A un endroit où tu pourras continuer à profiter - et faire profiter - de ton sens de l'humour, on espère!!!

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