samedi 7 mars 2009

24h dans la vie de mon pull beige

Vendredi 6 mars 2009, je ne me suis pas levée pour rien, le matin.

Et pourtant j'ai mis du temps à me lever. Comme bien souvent ce temps-ci, mon réveil a sonné à 9h, et vers 10h15, je posais bravement un pied par terre. Ce n'était pas faute de savoir que ce vendredi allait être chargé en évènements importants, mais je m'étais encore une fois couchée à une heure où les honnêtes gens entament leur troisième ou quatrième cycle de sommeil profond. C'est le genre de chose qui ne pardonne pas le matin quand "bipbip-bipbip-bipbip!"

En petit-déjeunant, j'ai croisé Jan, mon coloc allemand qu'un avion attendait à Alicante à 19h45, direction Bremen. Ce soir, Nadia deviendrait notre nouvelle coloc allemande. Mais je n'avais guère le temps de me laisser aller à réfléchir à tout cela plus en profondeur, car ce matin là, à 13h, je donnai mon premier cours de français à deux enfants, et j'avais prévu de leur faire voir un petit court métrage sans paroles, sur lequel je les ferai ensuite parler, pour évaluer leur niveau. C'est juste qu'à onze heure du matin, j'avais bien une petite idée, mais je n'avais encore complètement décidé du court métrage.
Je retournai donc bien vite dans ma chambre, où je croisai Aurélie sur msn pour la première fois depuis une semaine. Ceux qui sont allés faire un tour sur son blog savent pourquoi elle n'avait pas manifesté sa présence pendant plusieurs jours, et toute à la joie d'avoir de ses nouvelles, le choix du court métrage passa au second plan.
Bon, vers 12h, j'avais choisi un petit film de 2 minutes, sans paroles, simple et ludique, relu mon cours (ben oui, pour qui vous me prenez??? J'avais quand même préparé un cours!!), chaussé mes gougounes, enfilé un collier multicolore, et soigné mon costume d'étudiante en fin d'études, qui veut arrondir ses fins de mois en martyrisant des étudiants en début d'études.
Mes nouveaux élèves ont respectivement 11 et 12 ans, et en sont encore à cette étape très délicate dans l'apprentissage d'une langue, où on ne maîtrise ni la lecture, ni la prononciation, ni le vocabulaire le plus basique, ni la syntaxe la plus évidente, et où on ne voit pas l'intérêt d'ingérer tout ça, et où, d'ailleurs, on a besoin de motivation autant que de vocabulaire. Du coup, on a du pain sur la planche, et les profs parmi vous qui auraient des idées de jeux ou d'ateliers ludiques et motivants ayant déjà fait leur preuve auraient tort de se priver d'apporter leurs lumières ici.
Les cours se déroulent sur la grosse table en bois laqué du salon, salon d'où, pour faire cours, on chasse le grand-père scotché à la télé.
Quant au court métrage, il a déclanché un certain enthousiasme, rapidement limité par l'incapacité des intéressés à exprimer quoique ce soit en français sur la question.
OK, on va y aller plus doucement la prochaine fois.

Sur le chemin du retour, je fais une pause supermarché, chez Dia, pour acheter les huit litres d'eau potable presque quotidiennement nécessaires à l'hydratation des gosiers de l'appartement. Huit litres au bout du bras, sur deux cent mètres, tenus par une petite poignée en plastique, ça fait mal, ça donne envie d'avoir un troisième bras pour répartir mieux la douleur. Mais tous les murciens que j'ai rencontrés sont d'accord: l'eau du robinet, en plus d'avoir un goût de mort, peut à l'occasion vous en rapprocher sensiblement.
Comme dit Jan, l'Espagne, c'est déjà le Tiers Monde. Mais quand Jan dit ça, il n'y a que les allemands et quelques français qui rigolent. L'humour, c'est très culturel.

En parlant de Jan, il a pour mission de faire rentrer un peu plus de tente kilos de bagages dans un maximum de 25kg acceptés par sa compagnie d'avion. Le problème est du genre à faire se taper la tête contre le mur aux plus grands mathématiciens. Mais il n'effraie pas le sociologue germain. Trois pulls et deux manteaux, une vingtaine de livres dans les poches (ben oui, on s'ennuie beaucoup en avion), et un sac à dos bourré à craquer, pesant comme un labrador, mais porté avec tellement de nonchalance par le viking végétarien que personne ne croirait, à le voir qu'il dépasse franchement les limites autorisées.

Vers 16h, Nadia et moi finissons de préparer une monumentale salade fousitou, Eve a acheté du pain, Jan a bouclé ses sacs, Angel est de retour de son travail, et nous passons à table. Et depuis que Nadia et moi nous mettons régulièrement aux fourneaux, il faut avouer que le quotidien alimentaire de l'appartement a gagné en vitamines...
A 16h30, les allemands (Nadia et Jan) terminent de ranger, laver, préparer, et Angel, Eve et moi restons à déguster les grains de chocolat au café (merci Maman!) autour de la table.
A 16h45, je pars vider ma chambre, que Nadia va désormais habiter, et flanque toutes mes affaires en tas dans la chambre que Jan quitte.
A 17h, nous sommes cinq dans la voiture d'Angel, pour accompagner l'un d'entre nous à l'aéroport. Et visiter un peu Alicante. Je tane tout le monde depuis la veille pourqu'on aille à la plage. J'ai promis de me baigner.

A l'aéroport, nous saluons avec émotion le départ de Janico, dont les bagages semblent passer sans embages, malgré leur indéniable surcharge pondérale. Nous prenons alors, pour nous consoler de cette perte toute neuve, le chemin de la plage. La ville d'Alicante ressemble à beaucoup de catastrophes architecturales de la côte espagnole: une forêt d'immeubles vides, anarchiquement construits au gré des pots de vin, des casinos fluorecents dont le mauvais goût n'a d'égal que leur inutilité 9 mois sur 12. Seul le château, planté sur le sommet d'une colline plantée au milieu de la ville donne une touche de sincérité à l'ensemble.
Comme aucun d'entre nous ne connaît bien la ville, nous nous laissons guider par les panneaux et finissons par parquer le char au bord d'une plage en plein dans la ville. Sur ces parkings de plage urbains, en Espagne, on trouve toujours une joyeuse troupe de jeunes qui ont établit un système très simple: ils signalent les places aux voitures, les aident à se garer, et leur fournissent un ticket de parking, en échange d'un petit pourboire.
La plage est très propre: pas de clous, pas de canettes, pas de capotes dégonflées, pas de mégots de cigarettes, ni de montagnes de bouteilles de bière vides, on doit être hors saison.
Du coup, j'enlève très vite mes chaussures, imitée par Eve, en me précipite vers l'eau en relevant mes jambes de jean, histoire de voir si, bien que sans maillot de bain ni serviette, je vais pouvoir tenir ma promesse de bain. En hiver, la méditerranée est fraîche, c'est un fait. Mais pour Miss Warrior 2008, qui a une sérieuse réputation à tenir, rien d'insurmontable. Je patauge donc allègrement sous l'oeil admiratif (j'aime à la croire) de Nadia et d'Angel, pendant qu'Eve remonte elle aussi ses jambes de pantalon.
Quelques dix minutes plus tard, je tombe complètement le jean, le pull autour des hanches, et, vêtue d'une antique culotte et de ma polaire orange, je cours dans l'eau jusqu'à mi-cuisse. En dehors de l'esbrouffe réussie et de ma réputation de Miss Warior sauvée, ce fut aussi un moment très agréable: les jambes étaient habituées au froid, tous les organes restaient au sec et au chaud sous la polaire, et j'étais juste bien. Gambader dans l'eau en mars à la tombée du jour jusqu'à mi-corps est une expérience à renouveller. Voir la lune se lever en se prenant une vague dans le nombril, les mains dans les poches et une expérience à ne jamais oublier.
A la sortie de l'eau, en pleine forme, nous avons couru un bon trois minutes, Eve et moi, pendant que Nadia et Angel se recroquevillaient sur le sable.
Puis, comme nous avions tous plus ou moins pris des engagements pour la soirée, nous reprenons le chemin de Murcia. Une heure de voiture, dans la nuit franchement tombée, Eve et moi à l'arrière nous murons dans le silence pendant qu'Angel et Nadia papottent tranquillement.
Et c'est ainsi que nous rentrâmes à Murcia, fatigués et contents. Enfin, content, ça ne dura pas pour Angel qui apprit, à peine descendu de voiture, qu'il commençait à travailler à 6h le lendemain matin, et finirait très très tard. Jan n'avait pas tort de surnommer Angel "le prolétaire du mois".

Et le pull?? me demanderez-vous, tanants que vous êtes.

J'y viens.
Pour moi non plus, le contentement ne dura pas longtemps. A peine rentrée, je commençai à ranger mes affaires, lorsque je ressentis un froid, un vide immense dans ma vie, ma chambre, et autour de mes hanches. Un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche, oukigné mon très laid pull beige que j'adore?
_ Eve?? t'as pas vu mon très laid pull beige?
_ Non, mais il ne doit pas être bien loin.

_ Angel? J'avais pas un pull, tout à l'heure? Tu l'as vu?
_ Non, il doit être dans la voiture.

Accompagnés d'une Pettinga (ma coloc chienne) surexcitée nous repartons vers la voiture. Pas de pull. Putain!!! PAS DE PULL!!! Pas ce pull là??!! Un autre, oui, mais pas celui-là!!
Ce pull là, je l'ai depuis l'hiver 2001. C'est mon plus vieux pull, on se connaît parfaitement, on a tout vécu ensemble, c'est ma maison sur mon dos!! Devant ma tête qui s'allonge, tirée par le poids du chagrin, Angel se désole à son tour, me promet qu'on en trouvera un autre, encore plus chaud, mais je reste tellement inconsolable, que lorsque je fais remarquer que si je reviens à cette même plage dans quelques semaines ou quelques mois, il est certain que le pull n'y sera plus, il me répond du tac au tac que si on y retourne "ahora mismo", on a toutes les chances de l'y retrouver.
Après quelques minutes de reflexion pendant lesquelles je pèse d'un côté l'absurdité absolue de faire une heure de route aller une heure de route retour pour trouver un pull qui ne doit plus valoir grand chose, avec Angel qui va se lever vers 5h du matin, et de l'autre, la perte tangible de tous les souvenirs qui sont liés à ce pull, et de toute la valeur qu'il a pour moi, j'accepte la proposition, à condition de payer l'essence du voyage.
21h20

Pendant ce temps, sur la plage, seul dans le noir, un pull beige mi-laine mi-synthétique se demande où je suis, ce qu'il a fait de mal pour que je l'abandonne, ce qu'il va devenir sans moi, si ce sont les oiseaux ou les vagues qui lui porteront les premiers affronts...

Dans la voiture, Angel et moi refaisons le même chemin.
22h30
Les gars du parking nous reconnaissent, et se demandent visiblement ce que deux des quatre voyageurs reviennent faire deux heures après. Sur la plage, je n'aperçois pas mon pull, j'ai le coeur serré par tout l'espoir déçu qui va fondre très douloureusement si nous avons fait tout ça pour rien. En longeant le bord de mer, j'aperçois un petit tas beige. Angel ralentit et moi j'accélère, je n'ose y croire, ce serait trop beau...
Et pourtant! Beige sur beige, imprégné de sable jusque dans ses plus profondes fibres, tout froid, mais tout doux comme toujours, mon pull est là qui m'attend. L'émotion est partagée de part et d'autre...
Comme convenu, Angel a photographié nos retrouvailles.


Donc des fois, en plus de faire confiance aux gens, c'est aussi au destin qu'il faut faire confiance. Faire confiance au destin, ça veut dire qu'il ne faut pas lui lâcher la bride...
22h45
Les gars du parking ont encore plus halluciné de nous revoir repartir cinq minutes plus tard. Y'en a qui hallucinent pour pas grand chose. Moi, ce qui m'a fait halluciner, c'est que mon coloc qui se levait à cinq heures le landemain matin, et qui ne voyait même pas de quel pull je parlais passe presque trois heures pour m'aider à remettre la main dessus, alors que même moi je n'y croyais pas en partant!!

Sur le chemin du retour, j'ai expérimenté la conduite de nuit en Espagne. Alors c'est définitif, je préfère l'auroroute en voiture, et la ville à pied, mieux vaut cela que le contraire. En Espagne, si à l'instant exact où le feu devient vert tu n'as pas redémarré, tu reçois une douche de klaxons. Si pour te venger, tu ralentis à l'orange, au feu suivant, alors là, c'est limite on défonce ta voiture à coups de barre de métal. Non, vraiment, l'humour, c'est très culturel.

00h35
La journée, déjà bien remplie, se termine là, mon pull contre mon visage, et du sable plein mon lit, mes cheveux et mes dents...

3 commentaires:

  1. All is weel that ends well !
    c'est beau les histoires d'amour qui finissent bien :)

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  2. Et puis comme c'est rare, je voulais en faire profiter tout le monde!

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  3. Oh, la belle histoire !
    Tout ça pour un pull siii laid ? Ca montre bien que la beauté n'est qu'accessoire !

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