mardi 31 mars 2009

La cuiller de Godbout


Godbout, c'est une ville (au moins 500 habitants!!!) de la côte Nord, au Québec. De Godbout, une fois par jour toute l'année, deux fois en été, part un bateau pour Matane, sur l'autre rive du Saint Laurent. C'est la dernière ville de la côte qui propose la traversée du fleuve.
Godbout, c'est aussi une très jolie ville, avec un musée amérindien que je n'ai pas visité, une rivière rouge, comme toutes les rivières de la côte nord, qui se jette dans le Saint Laurent, au bout de la route qui longe le rivage d'un côté, le village de l'autre. Sur cette route, j'ai rencontré Tintin et Milou plusieurs fois. Sérieusement. On ne s'est pas parlé, je ne peux pas vous dire s'il avait un accent begle ou québecois. Cette route et la rivière forment un angle droit tout au bout du village, et sur cet angle droit, se trouve un terrain inhabité et inexploité, sur lequel jusqu'à cet automne, il était permis de poser sa tente ou son camping-car pour quelques jours, tant qu'on ne gênait pas.
A Godbout, j'ai dormi pour la première fois en "camping sauvage", sachant qu'en l'occurrence, le mot "sauvage" n'est pas tout à fait approprié.
Mais c'est vrai que se laver dans une rivière qui a la couleur du thé noir sur un coin de rivage désert, et se laisser sécher par le soleil en comptant les mouches noires qui prennent commande autour de vous (le menu du jour, c'est salade de sang, gratin de sang, et glace au sang...), ça donne une impression de liberté qu'une douche avec ses trois murs protecteurs n'offre pas.

Godbout, c'est aussi là où j'ai compris pourquoi les québecois ne parlent jamais des "mouches noires", mais toujours des "asties de mouches noires", ou des "astie de tabarnak de mouches noires".
Enfin, Godbout, c'est là que j'ai définitivement compris que au Québec, quand quelqu'un vous offre quelque chose, on accepte, sans faire de manière. On m'a toujours appris à refuser d'abord une invitation, et à attendre que l'autre insiste pour accepter. En stop, c'est une très mauvaise technique, car si la voiture s'arrête, on monte (sauf si c'est manifestement le grand méchant loup qui est au volant, mais là, c'est une autre histoire). Si on commence à faire le concours du plus poli, on va surtout gagner celui du plus moisi, planté au bord de la route, à la merci des intempéries.
Quelques jours avant Godbout, j'avais perdu ma cuiller. Je n'avais pas eu le courage de la redemander à des gens qui m'avaient gentiment invitée à dîner, et n'osant accepter complètement, j'avais apporté mon beurre de cacahouète et ma cuiller comme contribution.
J'avais donc bien mérité de perdre ma cuiller, et la leçon était bien passée.
A Godbout, session de rattrapage: lorsque mes voisins de camping sauvage (sauvage: le camping, pas les voisins) m'ont invitée à dîner, j'ai accepté avec plaisir, sourire, et sans me faire prier. La vie m'a récompensée pour avoir bien appris la leçon, car lorsque je racontai l'histoire de la cuiller à mes hôtes, ils m'en offrir une immédiatement.
C'était ma cuiller de Godbout. On en avait fait beaucoup des kilomètres, ensemble.
Elle me suivait partout, dans la poche de mon sac, et me faisait gagner le respect de bien des gens moins prévoyants, qui se retrouvaient, pour une raison ou pour une autre, en manque de cuiller, et à qui je la prêtai alors avec un sourire condescendant et en ajoutant du bout des lèvres qu'"elle s'appelle reviens".
Mais la vie qui donne reprend, et la leçon suivante fut plus dure.

Dans mon sac de Valence, il y avait la cuiller de Godbout. Que vaudra-t-elle pour ceux qui me l'ont volée? Que dalle! J'y ai plus perdu qu'il n'y ont gagné.

S'il te plaît, lecteur que je prends la liberté de tutoyer sans être bien sûre que nous avons gardé les cochons ensemble, peux-tu faire une minute de silence pour la cuiller de Godbout que je ne retrouverai jamais?

2 commentaires:

  1. ( )
    Ceci était une minute de silence...

    RépondreSupprimer
  2. Salut sista!
    total respect pour ta cuiller.
    -----------------------------------
    passé la minute de silence, je te file le lien suivant. J'ai humé par hasard ce séminaire de passage, genre de proies que tu recherches, je pense (mais comment vas-tu faire sans ta cuiller? C'est une autre affaire):
    http://calenda.revues.org/nouvelle11870.html
    Christian Maracadet travaille pour toi. D'ailleurs, c'est peut-être même ton directeur?
    A +,

    RépondreSupprimer