mardi 8 septembre 2009

L'hôpital et la charité


On m'avait prévenue avant de partir:
"Tu verras, ils sont gentils, beaux, drôles, ils ont un accent charmant et un pays sublime, mais fais gaffe ils sont un peu braques sur certains sujets historiques et linguistiques."
Aussi ne m'attendais-je pas vraiment à ce que je vis et entendis en arrivant.
Les québécois ont généralement une très bonne digestion: fèves au lard ou au sirop d'érable? Les deux mon général. Sur le par-choc, de la cire pour faire briller ou une tête d'orignal pour faire viril? Les deux mon général! Poutine* ou Sous-marin*? Ben les deux pareil, pardi!
Mais il y a certaines choses qui ne passent pas: la défaite des troupes françaises sur la plaine d'Abraham, la déportation des Acadiens par les anglais, l'abandon officiel de la France, le "speak white" quotidien et humiliant qui rythma quelques siècles de colonisation, la condescendance goguenarde des français qui ne les prennent jamais au sérieux.
Alors la francophonie, c'est pas en option.

On s'pique freine cheu et sept tout, ok? Et moi j'étais bien soulagée, en arrivant, de savoir ça, parce que moi, l'anglais, j'aime bien faire semblant de maîtriser, et je tiens une demi-heure, une heure quand je suis en forme, mais après, le pote au roses se dénude tout seul, et ma francophonie compulsive refait surface.

Et en fait c'était vrai, au Québec, non seulement on parle français et pas anglais, mais en plus on parle un français d'une pureté que nous avons depuis longtemps perdue. Ils utilisent plein de mots qui ne font pas du tout partie de notre vocabulaire courant. J'ai beaucoup appris sur la langue française. Par exemple, au début, j'ai cru que les québecquois utilisaient plein de mots anglais dans leur conversation. En fait, je ne pouvais pas me tromper plus. Ils n'utilisent pas de mots anglais, mais des mots d'ancien français, et si par hasard une vague ressemblance phonétique fait illusion, c'est soit par pur hasard, soit parce que les anglais ont longtemps pompé aux français l'incomparable précision et richesse de leur langue.

Alors pour ceux qui iront peut-être, et je le leur souhaite, au Québec, et pour tous ceux qui de façon général ont un minimum de curiosité intellectuelle, et je sais qu'ils sont nombreux, sinon, qu'est ce qui pourrait bien vous mener encore sur ce blog malgré l'incontestable platitude des propos? donc, pour tous ceux-là, je propose un petit lexique de l'ancien français québecquois:

_ Kioute: Vient du mot "cuite". Prononciation périgourdine du XIIIème siècle. Il s'agit d'une jolie métaphore pour dire que la personne ou la chose que l'on qualifie de "kioute" et appétissante comme une pomme "kioute" au four.
Ex: "T'es ben kioute, mais tu vas crisser ton camp très vite, là, ok?". C'est mignon, non?

_ Slipine-bague: Fait allusion à une tradition que pour ma part j'approuve sans conditions, de dormir en slip lorsqu'on campe. On se glisse alors dans son sac de couchage nu comme un doigt dans une bague. Hmmm...
Ex: "Moi, les slipine-bagues, ça me fait toujours quelque chose..." Vu comme ça, à moi aussi!!

_ "Feu qu'est", est l'abréviation d'une vieille expression mayennaise bien connue de nos grand-parents: "feu qu'est dans la maison, comme pied dans un chausson". Le but évident est de faire diplomatiquement remarquer à une personne qu'elle a une conduite pour le moins étrange, et qu'elle suscite l'inquiétude de son entourage.
On dit aujourd'hui: "Il est ben ben feu qu'est ton cousin, dis moi pas qu'il a vraiment trois gosses?!!!"

_ Feune: Il y a encore quelques siècles, l'adjectif invariable en genre "feune" appartenait au lexique champenois. Il permettait de distinguer un "jeune" d'un "faux jeune": un "feune" par contraction.
Ex: "Ma mère, elle est feune, mais ma grand-mère, elle est encore plus feune!"

_ Untcheume: ce substantif masculin vient d'une interjection ardenoise. En effet, dans cette froide région au nord est de la France, on attrape facilement froid l'hiver, comme au Québec, d'ailleurs. L'histoire veut qu'un hiver, deux amis inséparables aient attrapé un gros rhume en janvier après une longue chasse en forêt. Pour se soutenir, ils passèrent leur convalescence ensemble à boire des grogs, enveloppés dans des couvertures, et chaque fois que l'un des deux éternuait: "Uu un unTCHum!" l'autre lui répondait aussitôt: "Un un unTCHum!!!!!". Cette maladie resserra encore leur liens, et ils gardèrent ce "tchum" comme mot symbole de leur amitié.
Ex: "Maman, je sors, je vais voir un tchum.
_ A tes souhaits!"

_ Un flot: On doit aux charentais ce constat: Les enfants, c'est une suite de flots: un flot de sperme, un flot d'eaux et de sang, un flot de lait, un flot de purées diverses et variées, des flots de pipi, des flots de larmes, et des rires en cascade, des flots d'eau du bain avec lesquelles il ne faut pas jeter le bébé si on ne veut pas finir par un gros flop, des flots de rage, d'amour et de tendresse, ...
C'est pourquoi, peu à peu, "un flot" et devenu une unité parentale pour mesurer le nombre de sources à flots au sein du foyer.
Ex: "Mes parents, z'ont eu 26 flots, et tous les flots z'ont eu des flots, alors les réunions de famille, chez nous, ça ressemble à l'embouchure d'un fleuve!"

_ un lift: Le charentais Yves Thério (à ne pas confondre avec le québecquois Yves Thériault) était le maître incontesté de la chanson populaire au XIIème siècle. A ce talent s'ajoutait une vie scandaleuse et mouvementée, si bien qu'il devînt le sujet principal des conversations de toute la région pendant au moins vingt ans. Aussi, lorsqu'un honnête citoyen s'arrêtait pour prendre un vagabond en stop, lui demandait-il invariablement s'il avait des nouvelles des dernières frasques de Yves Thério, et ils finissaient neuf fois sur dix par chanter à tue tête les incontournables du répertoire du chanteur. Un jour, un poète facétieux, et sans doute un peu jaloux introduisit l'expression: "donner un Yves Thério à quelqu'un" pour "prendre quelqu'un dans son char pour un bout de chemin". Les gens trouvèrent cette expression pratique, et à l'usage, au fur et à mesure que Yves Thério perdait la vie et que l'expression perdait de son sens, elle perdit des lettres. On situe la disparition du "rio" vers la fin du XIIème siècle, et celle du "thé" dans les vingt premières années du XIIIème siècle. Quant à l'apparition du "l" en tête du mot, elle est due à un phénomène d'ailisation qui provenait sans doute d'un petit hameau de la Charente du nord, vers les années 1250.
Aujourd'hui encore, on entend les voyageurs dire: "J'te donne un lift si tu me laves mon char... c'est beau?"

Bon, il y en aurait encore beaucoup, et peut-être que de temps en temps, je vous en proposerai d'autres, dans un but avoué d'exhaustivité.

Mais vous comprendrez pourquoi mon front rougit de honte quand je pense à nos "parking", "week end", "pressing", "footing", milk-shake", "fast-food" et autres parasites lexicaux qui peuplent nos langues et polluent nos lèvres au quotidien...





*Poutine: spécialité culinaire dont s'enorgueillissent à juste titre les québecois: des frites, recouvertes de sauce brune et de fromage "couic-couic"
*Sous-marin: un groooooos sandwich avec plein de munitions dedans.

1 commentaire: