dimanche 19 avril 2009

"le vide communicationnel" - conclusion sur le Bando de la Huerta

Voilà cinq jours que j'ai commencé à rédiger le récit du Bando de la Huerta, et je rame.
Je rame, je rame.
Le cœur n'y est pas?
Que se passe-t-il me demanderez-vous avec des tremollos inquiets dans la voix?
Avant de vous répondre, merci pour votre sollicitude, qui me va droit au cœur.
En parlant de cœur, je vous disais justement qu'il n'y est pas.
J'ai rédigé un très long article plein de détails que je croyais truculents, de micro-anecdotes cocasses. Mais si je m'ennuyais un peu en l'écrivant, ce n'était rien comparé à l'épuisement soudain qui me saisit en le relisant. Et si moi je baillais, je n'ose pas imaginer dans quel état de sommeil profond vos proches auraient fini par vous retrouver après quelques jours de silence radio.
En fait, le Bando de la Huerta, ça n'est tout simplement pas intéressant.
Pas du tout intéressant.

Certes, il est très drôle de voir une ville entière sortir dans la rue en jupe-culotte et jarretelles en dentelles blanches pour se mettre minables sur le trottoir.
Certes, il est divertissant d'assister à un défilé de plus d'une heure au cours du quel des murciens dans des chars à feuilles lancent des morceaux de saucisse et de pain à des gens qui se battent pour les attraper au vol.
Indéniablement, il est impressionnant de voir les rues se transformer au fil des heures en décharge digne des plus beaux spécimens du Tiers-Monde, et les caniveaux se remplir de fleuves d'urine, un peu comme les trottoirs d'Hyderabade au début de la saison des pluies, mais en plus répugnant.
Indubitablement, il fallait voir au moins une fois dans sa vie une ville organiser officiellement un concours de comas éthyliques ("Allez les enfants, l'année dernière on en a eu 15, c'était bien, mais on peut faire mieux! beaucoup mieux!! on n'est pas des pucelles, nous!! on va leur montrer! Pensez à la crise économique! Pensez à l'absence totale de perspective professionelle pour vous! Et vous verrez, ça va venir tout seul!!!! Allez, une ptite bouteille avant la dernière qui précédera la prochaine!!! On tient!! Cette année, on met haut la barre, on vise les 30 comas et 5 morts! OK?"). A 11h, on faisait sauter les premiers bouchons. A 15h, 30% des gais lurons étaient déjà bien ronds, à 18h, on atteignait tranquillement un petit 50%, à 21h, c'était l'hécatombe, la ville ressemblait à une fleur des champs bouillie. A 23h, quelques guerriers tenaient encore un peu le coup, juste pour l'esbroufe.

Mais on ne peut pas se le cacher bien longtemps, cette fête souffre d'une grave carence de sens. Pourquoi descend-on dans la rue armés de chariots, de baignoires, de piscines d'alcool? Pourquoi prend-on plaisir à transformer une belle journée en course effrénée à la gueule dans le caniveau? Pourquoi doit-on avoir l'air de trouver ça génial de n'avoir rien à dire à son voisin, et de lui resservir un wisky-cocacola pour combler le vide communicationnel? Pourquoi doit-on faire comme s'il était normal de ne pouvoir apprécier la fête que lorsqu'on la voit en triple exemplaire? Pourquoi un exemplaire ne peut-il pas suffire?
Fête du printemps? mais pas un mot n'est prononcé à ce sujet, pas un rituel n'est célébré, pas un élément fédérateur n'est convoqué en dehors de la très sainte ivresse et du très laid costume.
Consommer à outrance et salir une ville, ça n'a rien de printanier, rien de traditionnel, rien de poétique.
Vider le tube de lubrifiant, ça ne suffit pas pour s'amuser, car "s'il n'entend le cœur qui bat, le corps non plus ne bronche pas".
Je crois qu'on peut faire mieux.

C'est pourquoi je ne vous raconterai pas le Bando de la Huerta.

1 commentaire:

  1. tu as très bien pas-raconté le Bando de la Huerta, on le visualise parfaitement et sans grande envie d'y participer l'année prochaine. c'est décidément très étrange cette manie de se dégrader, de devenir une loque humaine pour avoir l'impression de s'amuser.
    merci pour le clin d'oeil à Hyderabad ;-)

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