jeudi 30 avril 2009

Opération bikini


Souvent, dans la vie, les évènements suivent une logique en forme de W, ou de O, selon que l'on se sent une préférence pour les voyelles ou pour les consonnes.
En général, je préfère les voyelles, je les trouve plus ludique, allez savoir pourquoi, mais là, le W me parle plus. En fait, l'avantage du W, c'est qu'on ne recommence pas toujours la même route. L'inconvénient, c'est qu'on se prend les angles assez violemment à chaque tournant, puisque les angles du W sont bien plus aigus que ceux du O (j'ai gardé des bases assez solides en géométrie, toujours terrifiée à l'idée que certaines boîtes, parmi les plus branchées, comme la Platonlive Fever, refusent l'entrée à ceux qui ne sont pas géomètres, même si elles sont munies d'une jupe de forme rectangulaire et de deux jambes parfaitement parallèles, ce qui n'est déjà pas mon cas... ). Mais je parle, je parle, et nous nous égarons. La suite devrait vous éclairer sur ce que sont les angles aigus du W.

Samedi soir, j'avais reçu un message de mes futurs employeurs, qui avaient sollicité mes services au sein de leur entreprise, pour ouvrir à celle-ci des perspectives françaises en plein contexte d'absence de perspective, sous forme de classes collectives de français à leurs employés grands débutants.
Tout est une question de perspective, et d'ailleurs quand on perd de vue le point de fuite sur la ligne d'horizon, on perd les perspectives au passage. C'est comme ça, pour avoir le relief, il faut envisager la fuite.
Donc, des perspectives françaises dans une entreprise, que je me réjouissais d'aller ouvrir, parce que l'entreprise, c'est un autre théâtre, et tout nouveau théâtre est bon à prendre.
Le message que je reçus samedi me disait qu'en fait, on allait s'en tenir là question perspectives, parce que les 30-40€ que je demandais par heure n'étaient pas à la portée de leur bourse. Samedi soir, j'étais tout à la fois surprise et peinée de cette rupture pré-natale de mes relations avec l'entreprise.

Lundi, j'étais donc en petite forme, en bas du W, dans le creux de la vague, les pieds loin de mon assiette, les fesses sur la selle, et le nez au vent sur une bicyclette, pour être plus précise, car Eve et moi avions pris la belle décision d'aller brûler quelques calories au soleil d'avril (qui crâme plus qu'un soleil d'août à Paris), munies du joli prétexte d'aller refaire les réserves de citrons et d'oranges de l'appartement.
Au retour, je sortis mon téléphone de mon sac, et ne fus pas peu surprise de voir qu'un numéro que je n'avais pas alors le plaisir de connaître avait passé la matinée entière à tenter en vain de me joindre. Une telle insistance ayant piqué ma curiosité, j'appelai à mon tour.

Voilà plus ou moins résumée-romancée la conversation que nous eûmes alors:
"_ Allo, bonjour, vous m'avez appelée ce matin...
_ Oui oui oui, nous sommes le collège de Santa Maria de la Paz à Murcia, on est grave en galère de prof de français. T'as un taf ces temps-ci?
_ Pantoute pantoute...
_ Bon, alors ce serait pour 10 heures par semaine, des cours de français.
_ ... A partir de quand?
_ Hem hem... euh... demain matin?
_ OK... ben c'est l'fun... moi je suis partante, mais je voudrais bien passer vous voir un peu avant tout de même, parce que là, c'est violent...
_ Ouais, un peu, on sait, on est désolés..."
La suite de la conversation concerne principalement la fixation d'un rendez-vous deux heures plus tard, détail trivial qui n'intéresse personne.
Car la vie est majoritairement composée de ce genre de détails triviaux qui n'intéressent personne, fort peu photogéniques, mais qui sont le ciment des miracles et catastrophes que nous attendons tous avec une impatience non dissimulée.

Avec une excitation inquiète, je chaussai mes lunettes, choisis une tenue la plus sérieuse possible, et enfourchant la bicyclette, je partis vers le collège.

Là, on me vit arriver avec un soulagement mêlé de scepticisme et de condescendance. Ben oui, je ne fais pas mes 18ans... Après une visite expéditive du collège, la responsable me laissa au secrétariat où l'on me fit savoir qu'il allait falloir que je réunisse le plus vite possible:
_ la version originale des diplômes que je me targue d'avoir domptés
_ un numéro de sécurité sociale
_ un numéro de compte
_ un NIE (numéro d'identité des étrangers)
_ un certificat de résidence

Je parvins à négocier la présentation de mes diplômes en version scanée dans un premier lieu. Pour le tout le reste, commençait une course contre la montre et contre le bon sens et la logique.

Sécu:
On me fit savoir qu'il fallait un pré-contrat pour avoir un numéro de sécu. Je retournai donc au collège où l'on me répondit que c'était bien la première fois qu'ils entendaient pareille sottise, mais qu'ils allaient se plier à cette exigence si ça faisait plaisir à Dame Sécu.
Je retournai donc à la sécu une ou deux heures plus tard, et l'on me fit mon numéro de sécurité sociale espagnole, que je pus aller transmettre au secrétariat du collège, où l'on n'attendait que moi et mon numéro pour me lancer officiellement sur le marché de l'emploi espagnol.

NIE et certificat de résidence:
J'avais déjà tenté de me faire un NIE en février, avec un enthousiasme plutôt démotivé. L'accueil à la maison des étrangers avait achevé de dégonfler la baudruche molle de ma motivation, et j'avais lâché l'affaire quand, après quelques siècles d'attente on m'avait fait savoir qu'il fallait payer 16€ pour avoir ce numéro de rien du tout. Mettre des chiffres les uns après les autres, je ne suis pas une flèche en maths, mais je suis capable de le faire. Pffff!!
En effet, je pensais très naïvement que le NIE n'était qu'une formalité administrative à laquelle devaient se plier les européens. Eh non! c'est une formalité administrative payante! une FAP. A l'envers, ça fait PAF. Et c'est effectivement comme un PAF dans la gueule que je me le suis pris cette semaine. Déjà, j'ai fait un scandale dans le bureau, clamant, du haut du palatin de ma conscience de citoyenne qu'il était inadmissible d'avoir à payer au sein de la communauté européenne pour un simple numéro d'identification, que moi, je m'identifie très bien sans numéro et que c'est bien hypocrite, ça, dans une politique d'ouverture des frontières!! Les trois policiers qui organisent l'accès aux bureaux et le mec du guichet principal me regardaient avec une exaspération amusée.
Mais le système est généralement le plus fort, et je partis à la banque, la queue entre les jambes et la rage en boule dans la gorge, payer ces malheureux 16€, en maugréant comme une vieille des malédictions sur les députés qui ne font pas leur travail et les démocraties malades.
Lorsque je revins on me fit passer en priorité, sous une pluie de quolibets: "Eh t'as de l'argent, cette fois??!!" "ça va te faire cher! Jeje". Nan, mais l'humour espagnol, c'est une autre culture... On me fit mon NIE en deux temps et trois mouvements. Le vieux du guichet me dit qu'en Espagne, tout se paie, même les cartes d'identité obligatoires des espagnols, et qu'il n'y était pour rien. Nous nous quittâmes bons amis, et nous nous retrouvâmes très vite, puisque au collège, on trouva bizarre que mon numéro commence par un "y" et non par un "x", et on me somma de retourner m'enquérir de ce qui était sûrement une erreur d'inattention.
Une demi-heure plus tard, à la porte de la casa de les extranjeros, on m'expliquait donc avec une ironie acide que mon numéro commençait par un "y" parce que les "x" étaient épuisés, et qu'en toute logique, on avait choisi de suivre l'ordre alphabétique.
Je revins une fois encore le lendemain pour prendre le formulaire pour le certificat de résident, que j'avais complètement oublié la veille, et qui allait me coûter encore 10€, puis je revins encore trois fois ce matin:
_ pour le numéro de résident, payé par moi et tamponné par la banque
_ pour ajouter la photo d'identité manquante à mon dossier de résidente
_ pour photocopier la loi qui explique comment et combien il faut payer pour obtenir quels certificats qui donnent droit à quoi.
On s'est quittés tellement amis qu'on se serait presque échangé les numéros pour se télébouffer un de ces jours.
Cette Odyssée fut ponctuée de réguliers aller-retours au secrétariat du collège pour déposer les papiers, informer de mes démarches, rassurer sur mes compétences administratives en plus de mes compétences professionnelles ...

La banque
La dame du bureau m'a ouvert un compte sans me dire une seule parole sur les conditions d'ouverture, d'utilisation et de clôture. Elle avait d'avantage envie de me parler de Paris où elle avait passé quelques mois pour son travail, mais qui, malgré tout son charme, était tout de même sensiblement plus froid que Murcia. Ah oui, ça ma bonne dame, vous avez mille fois raison.


Pour clore la course aux papiers, je fis un dernier aller-retour au secrétariat du collège, où je franchis sous les acclamations passionnées du public la ligne d'arrivée, prouvant par là au monde sceptique que le marathon de "la maison qui rend fou" peut se gagner en moins de trois jours, et en vélo, s'il vous plaît!

"Mes impressions? Ben... beaucoup de sueur, ouais, et quelques passages difficiles, quand même. Ben , quand il a fallut retourner pour la cinquième fois en moins de deux jours à la casa de los extranjeros, c'était pas facile, mais bon, j'ai réussi, et je suis fière,... je crois que c'est un bel exploit qui représente un vrai travail d'équipe, parce que bon, ce titre, je l'ai pas gagné toute seule, c'est clair!! ... Je tiens à remercier les policiers de la casa de los extranjeros pour leur humour et leur soutien dans les moments difficiles, et les secrétaires du collège, qui n'ont pas hésité à me pousser au delà de mes limites en me fixant des moratoires tous les quart d'heure chaque fois que je montrais moins de motivation, quoi... , ou en m'appelant sur mon portable autant de fois que c'était nécessaire pour que j'oublie pas le challenge...Euh... Ben à tous, un grand merci et un grand bravo, je penserai bien fort à vous sur la plage, avec ma taille de guêpe et mes cuisses de lutteur gréco-romain!!!"

3 commentaires:

  1. et ben, tu parles d'une mission !! ça me rappelle mon enregistrement au FRRO. C'est (pas du tout) rassurant de voir que finalement ça se passe pareil partout...
    mais maintenant tu as un taff alors ça valait le coup :)

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  2. j'espère que le taff en vaut la peine!
    tu nous raconteras?

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  3. j'apprécie particulièrement la pertinence des illustrations que tu as choisies à ton propos :-)

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